Bredouille dans mes recherches « sérieuses » de travail, au sortir de l’école, j’ai accepté que ma mère demande à un ami qu’il demande à un ami qui … et, sans savoir où j’allais, j’ai pris le petit train de mon avenir, qui démarrait avec un boulot de vendeuse. Me voici donc dans un magasin BCBG hideusement décoré de fauteuils Louis XV version cinéma américain, avec une moquette si velue qu’on y avait le vertige, et deux statues représentant des esclaves noirs langoureux portant une torche de carton-pâte à bout de bras. Sous la houlette, cravache et claquement de bottes du patron, dont roses et canaris s’échappaient du sourire destiné aux clientes, et crapauds et chardons du rictus qu’il nous réservait. L’orphelinat de Jane Eyre au travail, c’était nous, les humbles vendeuses petites mains à tout faire qui lui devions reconnaissances éternelle et à genoux pour cette splendide carrière qui s’ouvrait devant nous.
C’est là que j’ai connu A*** et J*** qui sont encore des amies une vie presqu’entière plus tard. Oui. Nous avons survécu. Car nous avions un secret : nous nous en fichions éperdument. Même si à l’époque notre rébellion consistait plus dans de savoureuses revanches discrètement prises lorsque les patrons n’étaient pas en vue.
ll faut dire que nos patrons – mari et femme -, si les clients ne se montraient pas en abondance, n’aimaient pas l’idée de « nous payer pour nous tourner les pouces », et nous envoyaient alors faire le ménage chez eux – dans un appartement aussi hideusement décoré que le magasin, empire de dorures, velours rouges, chaises riquiqui qui se croyaient « de style », et moquette avec un pelage encore plus volumineux que celui du magasin. Il fallait aussi aller chercher la robe de « la petite » au pressing ou son petit goûter. Ou ils nous faisaient cirer les chaussures de toute la famille. Bon… nous crachions abondamment dessus, ce qui nous mettait le cœur à l’ouvrage. C’est encore agréable d’y penser. Ils nous envoyaient aussi prendre les poussières à la cave. Oui. Si, je vous assure. Comme une de ces caves se trouvait juste sous le salon du magasin, J*** et moi avions trouvé plus amusant de prendre les poussières en criant « A l’aiiiiiide ! Laissez-moi sortiiiiir ! Pitiééééééé ! » et A*** nous décrivait ensuite l’expression interdite des clients qui soudainement tendaient l’oreille, le regard incertain alors que, souriante, elle demandait avec entrain s’ils voulaient essayer la même paire avec une demi-pointure de plus.
Le salon avait deux ouvertures donnant vers la réserve, et des tringles métalliques couraient sous le plafond pour que l’on puisse y accrocher la haute échelle qui nous permettait de grimper à la cueillette des boites de chaussures. J*** et moi, les jours d’absence de nos patrons tant aimés, nous suspendions à ces tringles juste devant les ouvertures, espérant qu’à la vue de deux pendues inertes dans l’arrière-boutique du magasin, les acheteurs passeraient leur chemin. Nous arrivions même à avoir des fous-rires sans bouger.
A***, souvent plus « sage » en apparence, se déchaînait pourtant plus que volontiers, comme le jour où elle a joué à Tarzan, lançant l’échelle le long de la tringle pour lui donner un joli mouvement de liane, tout en hurlant Ah yaaaaaaaah hiya hiyaaaaaaaaaaaaa ! Elle a si bien effectué son saut dans la jungle de cuir et carton que c’est avec stupeur que nous avons vu qu’elle avait perforé une boite et…une chaussure avec les crochets.
Ça nous fait encore plaisir. Si, je vous assure…
Je me suis un jour fâchée « toute rouge » contre le patron, je ne sais plus pourquoi mais … ça m’a donné le grand bonheur de me faire renvoyer. Cerise sur le gâteau, ce monsieur si agréable m’a fait signer ma lettre de préavis en me faisant croire qu’il s’agissait de mon « nouveau salaire »… Le courage d’un lion ! J’aurais dû lui dire que j’avais craché sur ses chaussures, je regrette un peu de ne pas y avoir pensé…
Tu m’as arraché des larmes….de rire!
🙂
🙂
Comme tu dis….
héhé… cracher sur les chaussures du patron!!
en voilà une idée qu’elle est bonne!
Ravie qu’elle te plaise aussi. S’ils avaient su pourquoi ça brillait autant 😉
Je reconnais bien là ton côté frondeur et insoumis, avec cette merveilleuse capacité de prendre les choses du bon côté et d’en rire !
Je dois dire que le rire nous a sauvées. Dans un sens… on s’amusait à tout tourner en ridicule…
J’ai bien ri !!!
Merci Edmée, j’adore ton humour et ton attitude légère quand la vie se fait lourde et ennuyeuse 🙂
C’est mieux que m’adonner à la boisson, ha ha ha!
j’ai adore lire cette anecdote. belle photo. De bons souvenirs alors finalement….
Plutôt, oui! 🙂
sublime
mdr
bon week-end sous le soleil
Le soleil n’est pas trop de mise ce dimanche…
Ah, j’ai les yeux mouillés de rire…savoir tirer profit des situations les plus affreuses en faisant des bêtises! Quel talent de vie!
Je suppose que ça nous faisait nous sentir quelque peu « dédommagées » et comme ils ne le savaient pas, ils n’en pas souffert. Mais si seulement ils savaient au moins que j’ai craché sur leurs chaussures, ça m’ajouterait un petit plaisir 🙂
Ce que je retiens de ton histoire, jubilatoire comme toujours, c’est que tu as un caractère sacrément positif, et que c’est une chance inouïe que je partage avec toi.
Connais-tu la chanson de Thomas Fersen « Le Chat Botté »?
de quoi te réconcilier avec les magasins de chaussures…
Je t’embrasse
Le lien de la chanson:
Oui c’est vrai, c’est une chance… que nous cultivons en souriant. Merci pour le chat botté, ha ha ha!
Si je comprends bien , c’était le grand amour entre toi et tes patrons….heureusement qu’il y avait les copines
Je ne les aimais pas du tout, et personne ne les aimait. Ils n’étaient pas aimables 🙂
Très rigolo. Bon dimanche ensoleillé.
Bon dimanche à toi aussi cher Petit Belge
Je ne savais pas qu’à l’époque où je suivais le MLF et dormais sur les bances du grand amphi de la Sorbonne, 3 jeunes vendeuses faisaient aussi leur révolution dans un magasin de chaussures de luxe….sourire
Il y en a, des méthodes de révolte à disposition 🙂
bon lundi et bisous
Coucou Edmée !
Je reviens cahin-caha sur les blogs, car j’en ai assez de rester à l’écart de tout et de ne pouvoir mettre mon grain de sel. Pourtant j’ai encore bien mal et ne peux faire grand-chose.
Merci pour tes gentils coms pendant ma pause, ils nous ont bien fait plaisir !
Oui, tu m’as fait rire avec ton histoire. Elle m’a reportée autour de mes 20 ans, lorsque je devais me faire de l’argent pour pouvoir commencer ma vie d’artiste. Moi, c’était une patronne d’un magasin de vêtements sur la côte. Pas mal non plus. En pleine saison, je lui ai envoyé son aspirateur à la figure (ou presque) en lui sortant ses 4 vérités et je suis partie en claquant la porte.
Gros bisous Edmée et bonne semaine !
Florence
Je vois que toi non plus, tu ne te laissais pas faire, ha ha! ll faut dire qu’à cette époque les « patrons » avaient encore des pouvoirs étranges, on se serait crues au pensionnat!
Bonne semaine chère Florence et contente de te retrouver!
Jolie cette petite révolte ! Est-ce cet apprentissage aussi peu agréable qui te donne aujourd’hui des ailes pour l’écriture ? En tout cas voilà bien une page qui fait du bien, qui fait sourire aussi. Un grand merci.
Je réalise en effet que je ne me suis jamais laissée faire, mais hélas je ne dosais pas bien et alternais les moments de « révolte des gueux » avec ceux du chant des esclaves 🙂
L’échelle et la tarzane, super ça! J’ai bien ri en tout ças. Et dire qu’il en existe encore, de tels patrons…Tous les gosses en apprentissage (tous ou presque) connaissent ce genre de situation. Hélas.
Oui, il en avait plein, des patrons exploiteurs de ce genre… et on a toutes trouvé, je suppose, le moyen d’en rire!
Quel talent ! Comment fais-tu pour re-créer ces moments avec une vie telle …qu’on s’y croirait et que l’on rit avec vous.
Merci pour ce bon moment
Comme tu le vois, Denise, j’aime à me rappeler de ce qui fut amusant. Ou bon. Et il m’arrive parfois de m’épater moi-même de ces impertinences si amusantes, ça me fait rire et je me dis : mais il faut en parler, c’est si comique!
Voilà une belle façon de résister lorsque l’on n’a pas d’autre arme que son humour et sa jeunesse ! Ceci dit…. l’histoire de faire briller les chaussures en crachant est une chose qui se pratiquait couramment à l’époque notamment dans l’armée d’après ce que je sais !
Voilà des souvenirs comme je les apprécie, vivants alors qu’ils remontent à des décennies, frais et sans aucun pathos malgré des patrons à la « Ceausescu » !!!
Très agréable façon de narrer ces instants qui ont marqué l’entrée dans le monde du travail sans en garder de la rancoeur.
Remonter ainsi le chemin de nos souvenirs n’est absolument pas nostalgique.
C’est vrai que cracher est parfait pour les chaussures. Donc on leur rendait service 🙂 Mais ce n’était pas dans ce but que nous crachions, ha ha !
En effet ça ne laisse rien de désagréable comme souvenir et plus tôt on apprend à « compenser » ses frustrations par rébellion ouverte ou astuce et moins on portera de fardeaux inutiles durant toute sa vie 😀
hello et bel aprem
bibises
🙂
Tu n’étais pas très sage, comme fille, toi, il me semble!
A quoi m’aurait servi la sagesse pour travailler avec un être aussi lamentable? 😉
BELLE NUIT°_°
et bon weeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeekkkkkkkkkkkk -eeeeeeeeeeenddddddddddddddddd
bisousssssssssssss
Bonjour, c’est Alain qui m’a conseillé votre blog que je découvre avec beaucoup d’intérêt et plus particulièrement cette page. Dans ma jeunesse j’ai également travaillé chez des chausseurs. j’ai retrouvé dans vos lignes certains souvenirs, tels que ménage et rangements successifs. Nous avions vu avec ma collègue un « Sissi », je ne sais plus lequel, dans lequel Romy Schneider crachaient sur les bottes pour les faire briller. Nos patrons se glorifiaient du brillant de leurs chaussures qu’ils nous faisaient nettoyer. Ils n’ont jamais su de quelle façon nous arrivions à ce résultat. Pour le coup, je regrette de ne jamais leur avoir dit.
Merci à Alain et à vous pour votre visite et témoignage…Il semble que cracher sur les chaussures soit une excellente vengeance (mais incomplète car on garde le secret… 🙂 ) et si même Sissi le faisait, ça a une certaine classe, comme vendetta!
Les patrons autrefois avaient souvent un fouet invisible à la main…