Une vie épicée

Cet article fut publié le 29 août 2008 sur mon premier blog. Je vivais alors aux USA, où je résistais vigoureusement contre la malbouffe. Je l’ai un peu retouché pour l’adapter… 

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Manger et cuisiner, c’est un peu, pour moi en tout cas, une sorte de célébration de la vie. On se guérit en pétrissant la pâte, hachant menu, triturant, mélangeant, farcissant. On reprend vie en mangeant, avec des êtres chers, un plat savoureux. Je ne parle pas forcément de « grande cuisine », mais de ce qu’on fait avec une base de recette de maman ou d’ailleurs, un zeste de « osons malgré tout ceci aussi », et une bonne poignée de joie.

Gérard Dou - La cuisinière hollandaise 1635-40

Gérard Dou – La cuisinière hollandaise 1635-40

Ma mère moi adorions lire Jean Ray, et si je ne me trompe pas, dans les Contes du whisky notamment, il y avait des descriptions affolantes de plats rustiques qui nous semblaient succulents. Je me souviens d’une choucroute au vin blanc avec des saucisses ruisselantes de graisse dorée (alors, on ne parlait pas de diète ni de light… heureuse époque) que le héros d’un conte noir dégustait, si je ne me trompe pas, dans un buffet de gare (on était loin des paquets de chips et sandwichs sucrés aux illusions de jambon ou fromage), et nous en avions les papilles gustatives en émoi. Et que ces descriptions d’un bon vivant, bon mangeur et bon buveur donnaient de la réalité à ses personnages!

Heureuses celles qui ont hérité des recettes de leur mère, et qui la retrouvent dans sa fameuse quiche lorraine ou son célèbre bouilli aux pruneaux quand la nostalgie de l’enfance se fait sentir. Je perpétue une tradition familiale du côté de mon père où le plat favori était les chicons au gratin. Un peu comme pour dire « nous mangeons ça de mère en fils et de père en fille ».

Et que dire de ces goûts tout nouveaux que nous ramenons d’autres endroits visités dans le monde et qui, si nous trouvons les ingrédients, nous déposent sur la table un peu de ces émotions volées sur place?

On l’a compris, j’aime cuisiner, et y trouve la paix, quels que soient les tumultes de mon âme. Cuisiner, c’est chanter, c’est s’emplir de parfums, toucher des textures maternantes, créer une communion pour nos invités.

Cuisiner, c’est aussi le plaisir des yeux quand on regarde faire: ma belle-soeur est Thailandaise, et je n’ai aucune envie de l’aider mais au contraire de jouir du spectacle : ce petit colibri souriant qui manie la hachette et les lames avec la dextérité d’un lanceur de couteau, tord adroitement des herbes étranges entre ses petites mains sans pitié, presse le limon vert, ajoute le lait de coco, concentrée et heureuse, c’est tout un spectacle visuel et olfactif, car elle est nimbée dans les parfums subtils du coriandre, de la citronnelle, de la noix de coco, du limon, du chili…

Oh combien désolantes sont les recettes que l’on vend ou publie aux USA : achetez des morceaux de poulet au parmesan (oui, du poulet au parmesan…), versez dessus une sauce spaghetti au basilic, mettez au four, servez avec des crackers (on n’ajoute pas et avec du coca cola, mais on le devine!). Un jour j’ai acheté un livre de recettes « casserole », et l’ai jeté avec frustration: il ne s’agissait que d’ouvrir des boîtes de quelque chose, de mélanger avec un sachet d’autre chose, de recouvrir le tout d’un bouillon préparé, d’épices pré-mélangées. et je suppose que la seule chose « naturelle » qui y finissait était le morceau de boeuf aux hormones. Où est donc le plaisir de cuisiner là-dedans?

Maintenant, pour être honnête… il y avait moyen de bien manger là-bas aussi, surtout dans les grandes villes ou leurs succursales. Et j’ai mangé un homard au beurre à Mystic dont je me demande comment il se fait que je n’en rêve pas encore!

Mais qu’on se le dise: la bonne chère, pour moi, c’est une des façons d’aimer la vie!

37 réflexions sur “Une vie épicée

  1. Armelle B. dit :

    Oui, que de souvenirs sont rattachés à la cuisine et aux mets dont nos papilles, excellentes mémorialistes, sont toujours prêtes à nous resservir les soirs de nostalgie. Les goûts de l’enfance sont des évocateurs puissants qui égayent un simple repas de fulgurances exotiques : celles du passé.

    • Edmée dit :

      Et ça ouvre la porte à tant d’évocations toujours heureuse, même l’affreux ragoût de la tante Machin… (moi ce sont les « vieilles pommes de terre » que je détestais, mais que je retrouvais à chaque repas – et privée de dessert – jusqu’à ce que je les aie mangées. J’ai vite appris à les avaler sans y penser 🙂

  2. bizak dit :

    Tout à fait d’accord avec toi Edmée, le plaisir de la table est un moment de bonheur partagé et de convivialité. N’est ce pas que la cuisine est un art culinaire. Préparer une recette en mettant tous les ingrédients appropriés, c’est comme peindre un paysage, écrire une nouvelle, savourer le moment avant même de se mettre à table. J’aime la citation de Guitry: Un livre de cuisine, ce n’est pas un livre de dépenses, mais un livre de recettes.
    Belle journée Edmée et beau week end

    • Edmée dit :

      Comme il avait raison, Sacha… Il y a bien plus d’ailleurs dans un livre de cuisine que des dépenses, calories et proportions : il y a la recette et puis ce que la ménagère en fait, avec son sens de l’aventure et du goût! Beau week-end aussi Bizak!

  3. Angedra dit :

    Comme ton récit me parle et fleure bon les plaisirs d’une véritable famille qui aime se retrouver autour d’une table pour un bon repas préparé dans un mélange de mains ou du moins sous des regards gourmands.
    Je suis comme toi, j’ai hérité des recettes et du goût pour la cuisine de maman et j’ai transmis cela à mon fils, et maintenant mes petits enfants. Quel plaisir de les voir éplucher, couper, participer ! Bien entendu cela demande plus de patience, beaucoup plus de temps (et plus de légumes car l’épluchage est parfois douloureux…pour le légumes !!). Mamie a beaucoup plus de travail ensuite pour tout remettre en ordre, notamment lorsque la farine devient volatile !!! Mais pour beaucoup de joie.
    Moi aussi j’en ai assez d’entendre parler de cuisine sans gras et du tout vapeur sans aucune saveur. En dehors de la maladie, nous pouvons manger sain en choisissant de bons produits sans supprimer le plaisir.
    J’apprends à déguster les différentes huiles d’olives à mes petits, ils goûtent l’huile sur le doigt puis sur un morceau de pain afin de retrouver le véritable goût de l’olive pressée à froid d’une couleur bien sombre… Encore une fois, le partage et la transmission sont présents même autour d’une simple cuillère d’huile qui se transforme en amour de la vie.
    Bel article.
    Agréable fin de semaine… pour le repas de dimanche mon fils m’a passé commande de la part de ses fils pour une quiche. La quiche de ma maman qui est devenue la référence…

    • Edmée dit :

      Inutile de dire combien j’aime ton commentaire et ton univers. Transmettre son goût de la bonne table est transmettre le plaisir de vivre, partager et c’est toute une éducation. Un pétillement dans le regard et un frémissement content des narines qui ne disparaîtront jamais, grâce aux passeuses de la cérémonie discrète mais pénétrante de la cène…

  4. Adèle Girard dit :

    Mmmmm le souvenir des homards Américains……

    • Edmée dit :

      Ça dépend desquels, ceux de New Haven ne sont pas aussi savoureux. Mais à Mystic, mmmmmmmmmmmmh! Mmmmmmmmmmmmh. J’insiste : Mmmmmmmmmmmmmh!

  5. colo dit :

    Pour moi aussi cuisiner est un moment de relax, de créativité, de joie. Certaines recettes héritées de ma mère belge, d’autres de ma belle-mère espagnole, des saveurs souvenirs, d’autres nouvelles que mes enfants referont, referont…ici les femmes cuisinent vraiment beaucoup, alors quand ces messieurs qui ont des conversation « sérieuses, eux, sur le foot, nous on parle recettes et j’adore ça!

  6. gazou dit :

    Hier j’ai entendu quelqu’un dire que lire un bon livre ou savourer un bon repas , c’était à peu près équivalent

    • Edmée dit :

      Sous certains aspects mais lire un bon livre se fait seul (même si après on partage peut-être son impression de lecture…). Mais l’évasion est bien la même!

  7. sandrinelag dit :

    Des « saucisses ruisselantes de graisse dorée »… j’en salive!
    Je pense au gigot de 8 heures de ma mère, cuit en croûte dans un plat en terre… de la viande confite qui fondait au palais…
    Et ces vieilles recettes des années 70, qu’on ne fait quasiment plus aujourd’hui: poulet à la basquaise, fondue bourguignonne…
    J’en reviens à tes saucisses : je crois qu’elles vont m’obséder toute la journée!

  8. laurehadrien dit :

    Personnellement ma mère me chassait de sa cuisine… Mais j’ai tout découvert grâce à Raymond Oliver dont les livres de recettes ornent les étagères de ma cuisine …. au point qu’aujourd’hui ma mère me demande comment je prépare ceci ou cela hihihi…

    • Edmée dit :

      Ha ha! Moi je faisais surtout des desserts, qu’elle détestait faire, mais elle ne se voyait pas du tout comme la reine des lieux et donc je pouvais y « zieuter ». C’est quand même à l’âge adulte que je lui ai demandé ses recettes et lui en donnais d’autres!

  9. Mais oui, les recettes de mère en fille, quelle joie! Et je pense a frérot qui vient se régaler chez sa soeurette …

  10. Binh An dit :

    Entre étudiants, nous préparions nos repas à la vietnamienne dans nos chambres, c’était rigoureusement interdit, risque d’incendie, mais les femmes de chambres ne nous dénonçaient pas. Recettes limitées, mais inventions sans limites. Adules célibataires, nos discussions concernaient surtout restaurants, vins et alcools. Mariés, trop pris par le boulot et les enfants, on mettait et desservait la table. Maintenant, ma spécialité, et domaine réservé, est celui des desserts. Seulement, nos goûts sont simplifiés, et il ‘agit simplement de proportions, variétés et saveurs.
    J’ai écrit un long article en vietnamien sur l’art de manger en 8 points et avec les 5 sens. Trop long à traduire. Remercier la vie qui vous donne la paix et ce que vous mangez. Espace propre, calme et clair. Silence. L’art de ranger chaque chose sur la table. Utiliser les cinq sens lors du repas, admirer couleurs et textures de chaque aliments, toucher le fruit frais, savourer le goût du pain sur la langue, humer l’odeur de chaque met, écouter la pomme qui claque sur les dents, mâcher longtemps pour saliver mixer et alléger l’estomac, ne rien laisser, même un grain de riz, une miette de pain, question d’hygiène et d’écologie, etc etc… Un très long article que nous mettons en pratique… de temps en temps, comme un rite religieux, pour le plaisir de vivre…

    • Edmée dit :

      C’est tout un très beau rituel, qui pourtant diffère pour certains points du nôtre: si en effet on ne « parlait pas à table » quand j’étais enfant, la conversation étant réservée aux parents et plutôt rare il me semble, les grands repas de famille sont aussi de grands échanges de nouvelles, discordes, rires, souvenirs évoqués avec la règle qu’on ne parle ni de politique ni d’argent (alors il était évident que nous ne parlions pas de religion car il s’agissait souvent de la même, sujet peu intéressant 🙂 ). Quant à ne rien laisser sur son assiette (et manger de tout), j’ai fini par m’autoriser à déroger à la règle, parce que je me rendais parfois malade pour, par politesse, finir une nourriture que je détestais. Et ma bonne tante Louise qui, voyant que j’avais si bien mangé, m’en re-servait une portion! Ou bien au Maroc, si on termine tout, ça signifie qu’on a encore faim, et on t’en donne encore…:-O

      Merci pour cet échange!

  11. blogadrienne dit :

    chez moi, le fin cuisinier, c’était mon père, pour ce qui est de la cuisine raffinée, et ma grand-mère maternelle, pour ce qui est de la cuisine du « terroir ». J’ai toujours adoré les regarder faire, les aider, apprendre d’eux. Ce sont de merveilleux souvenirs. J’ai suivi leur exemple pendant toute ma vie de femme mariée, j’avais un mari très exigeant côté cuisine. Depuis que je vis seule, je ne cuisine quasiment plus

    • Edmée dit :

      Comme toi… J’avais trois tantes qui avaient une (ou deux dans un des cas) cuisinière, et quand ma mère rendait visite on m’envoyait leur dire bonjour à la cuisine, entresol. Un monde merveilleux où on me gâtait à outrance en échange d’une « aide » (tourner la fourchette dans l’omelette ou enlever la peau du lait 🙂 ) …

      Je cuisine moins aussi pour la même raison que toi mais j’adore encore m’y mettre pour des invités! C’est plus gai quand ça se partage…

  12. Dédé dit :

    J’avoue que je n’aime pas trop cuisiner. Par manque de patience et aussi manque de temps. Mais j’adore aller au restaurant et découvrir de nouvelles saveurs. Pour moi, manger un bon plat et boire un bon vin fait partie des plaisirs de la vie. L’Italie est pour moi un pays merveilleux pour goûter les plaisirs de la table.

    Célébrer la vie en mangeant… Et dire qu’il y a encore des régions du monde où les hommes n’ont pas à manger. Quel triste constat.
    Bises alpines.

    • Edmée dit :

      Oui c’est vrai, il y a des pays où on n’a pas à manger. Le peu qu’on a se donne à ceux que l’on destine à survivre. C’est une différence bien amère…
      Moi j’aime cuisiner mais comme toi j’adore découvrir des saveurs! Et manger en compagnie (même si je mange souvent seule et ma foi, ma compagnie ne me pèse pas trop 🙂

  13. Célestine dit :

    Un délice de gourmande, de gourmette, ce billet tout en joie et en saveurs.
    Comme ils ne connaissent rien à ce plaisir subtil, ce qui avalent de tristes choses au coin d’une table triste…
    Et combien nous devrions nous réjouir chaque jour d’avoir à manger et de pouvoir préparer de bonnes choses simples avec un « zeste de joie ».Manger c’est comme faire l’amour, il y a l’érotisme et la pornographie…chacun son truc.
    Baci sorella
    ¸¸.•*¨*• ☆

  14. missycornish dit :

    je ne suis pas étonnée de votre commentaire concernant la mauvaise cuisine américaine. Ce n’est pas dans leur culture, je trouve leurs aliments trop gras. J’aime cuisiner mais je ne prends malheureusement pas le temps nécessaire pour pratiquer cette activité régulière.

    • Edmée dit :

      Hélas, c’est vrai qu’aux USA on mange plutôt mal sauf si on fait très attention et paye cher. Même en cuisinant moi-même (jamais un plat préparé ou une conserve…) j’avais pris 10 kgs. Ceci dit, à la visite médicale pour le boulot, on me trouvait « mince », ha ha ha! Ce n’était pas ma version de mince mais bon…

      Je ne cuisine pas tous les jours de grandes choses, quand même pas, mais je cuisine. Et très rarement j’achète du « prêt », juste en cas de gourmandise pour un plat que je ne sais pas préparer. Et je suis toujours déçue…

      • missycornish dit :

        Oula c’est risqué alors. J’ai entendu dire qu’il y avait beaucoup de problèmes cardiaques là-bas. C’est dommage, il y a tellement d’états que j’aimerais pouvoir un jour visiter.

      • Edmée dit :

        Il faut y aller, on ne risque qu’une chose en visitant : d’être enchanté! Le pays et les paysages sont superbes, et à petites doses on trouve que tout est bon parce qu’on n’y est pas habitués. C’est sur la durée qu’on s’écoeure de tout 😀

  15. PHILIPPE D dit :

    Tu me donnes faim ! J’aimerais cuisiner mais je n’en trouve pas le temps et puis j’ai une cuisinière à la maison…

    • Edmée dit :

      Mais tu soignes tes fleurs, et tu lis avidement… on ne peut pas tout faire, surtout quand on a une cuisinière à la maison 🙂

  16. Alain dit :

    Aujourd’hui, Jean-Christophe est privé de ce plaisir. Cuisiner. Il a ce talent rare de faire un repas pour fins gourmets avec ce qui lui tombe sous la main.
    Ces moments intimes, ou entre amis, nous manquent à l’un comme à l’autre. Nous tentons de compenser par toutes les bonnes tables de la région.
    Un vrai périple mais toujours le bonheur renouvelé de partager des moments ensemble. Celui aussi un bonheur de lever nos verres à notre santé, mais oui, mais aussi pour toutes celles et ceux qui ne sont plus là aussi. Ces moments-là sont forts, indispensables, aussi, compte tenu de la situation. Juste pour le plaisir de l’instant présent et « rester dans la vie. »

    • Edmée dit :

      Vrai que ça doit être triste d’avoir le talent et de ne plus pouvoir en jouer… Mais il reste celui de jouir des plaisirs de la table ainsi développés dans des temps plus indulgents… Oui, lever son verre aux amis, à la vie et aux bonnes choses, c’est la communion 🙂

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