Sang bleu, sang rouge… C’est aussi l’Amérique!

Etre un indien – Injun, redskin, big chief – est une étrange destinée. L’identité d’un Indien est devenue un puzzle. Il y a l’indien du tourisme qui, docilement, danse et chante des extraits de son « sacré » pour des spectateurs – qu’il dupe quand même un peu car le sacré-sacré, il ne le laisse pas entrevoir. Pour de l’argent. Pour la survie dans un monde où il n’a plus sa place que comme une curiosité, un souvenir. Dont la silencieuse fierté est sottisée en statues de bois pour les marchands de tabac et en publicité télévisée pour un monde sans pollution.

Il y a l’Indien des documentaires sur les réserves, alcoolique, courant à la mort dans toutes les directions et toutes les bouteilles, gaspillant sa sève et tuant jusqu’à son passé. Celui-là ne veut pas survivre, ni être une curiosité.

Il y a aussi l’Indien qui s’en est sorti, c’est à dire qui n’a pas cessé d’être et a pu avancer dans l’après grande ère des tribus et bisons, l’artiste qu’alors on salue comme si sa parole, sa plume, burin ou pinceau se nourrissait directement dans la chevelure de Ptesan Win, Femme Bison Blanc.  Allan Houser, Sherman Alexie, Graham Greene, Chris Eyre …

 

Allan Houser – Musée de Montclair, New Jersey

Mais surtout, être un Indien c’est être méconnu, avalé par les stéréotypes. L’Indien scalpeur aux avant-bras ensanglantés, l’Indien noble aux joues peintes et de peu de mots – vous savez, celui auquel on attribue des citations absurdes sur les réseaux sociaux, accompagnées d’une photo ou vidéo sirupeuse et romantique -, l’Indien qui vend, accroupi à l’ombre, ses bijoux, pointes de flèches ou poteries, l’Indien-filou qui vous vend un nom indien et un peu de son passé dans une cérémonie d’Inipi pour attrape-nigauds, l’Indien pauvre loque guettant la mort et les visions au fond d’un verre, l’Indien qui ne veut pas couper ses cheveux et ne trouve pas de travail, l’Indien des prisons qui se muscle et se tatoue, propulsant sa détresse dans ses biceps où se croisent Sitting Bull et un entrelacs de barbelés.

Indiens blanchis, Indiens noircis, apples et wannabes…

Hommes de résilience, hommes de grand silence…

Mais jamais un Américain n’est plus fier que lorsqu’il peut se vanter d’avoir un peu de ce sang Indien-là, de ce sang qui vient des dieux anciens, des hommes qui aimaient leur mère la terre, qui vivaient beaux et libres, les cheveux fouettant l’air dans une galopade infinie. Cette goutte de sang, ils la vénèrent. Elle fait d’eux des autochtones. Des vrais Américains. Les premiers habitants du continent. Des enfants du bison, de la prairie, des chants des Cris qui vous glacent et vous comblent de vie, de la danse de l’herbe, des mystères des kivas… Cette goutte-là change l’image qu’ils ont d’eux. Une goutte de vérité, d’intégrité. Une goutte qui n’aurait rien de blanc, d’avide, de menteur, d’impur, de sourd à la nature. Johnny Depp, Rita Coolidge, Shania Twain, Robbie Robertson, Louise Erdrich et tant d’autres. Et quant aux noirs qui ont un peu de ce sang non-noir, de ce sang libre, indigène, ils ne se lassent pas de la mentionner. Tina Turner, Buffy Sainte-Marie, James Brown, Oprah Winfrey, Lena Horne … et d’autres. Ils ont même leurs associations ! (https://www.blackindians.com/)

Etre Indien, c’est toute une histoire !

 

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30 réflexions sur “Sang bleu, sang rouge… C’est aussi l’Amérique!

  1. SPL dit :

    Etre indien, ça semble être très compliqué… Surtout après tant de métissages. C’est intéressant parce que même s’ils n’ont que le quart d’un huitième de sang indien dans les veines, ils se revendiquent comme tels.Une lointaine trisaïeule Peau-Rouge dans une complète ascendance irlandaise par exemple fait donc de toi, si tu l’as décidé, une Indienne? C’est ce qu’on appelle une identité élastique…

    • Edmée dit :

      Il y a l’officiel et le « légendaire » qu’on ne peut prouver mais qui est tenace. Beaucoup d’Amérindiens ont un « enroll number », qui certifie leur ascendance comme étant DOC 🙂 Ceci leur donne droit aux « soins » gratuits, à la vie en réserve, à l' »éducation » etc. Mais au fur et à mesure que ce sang se dilue par la mixité, ils basculent hors du plan, n’ayant plus assez de « sang indien » pour justifier les aides… Certains sont indiens et de type noir ou blanc ou même asiatique, d’autres ont gardé les gènes amérindiens mais ne sont plus considérés comme tels… Compliqué. Comme me l’a dit un amie Pueblo… « Un génocide administratif »

  2. Angedra dit :

    Beaucoup de sangs mêlés se retrouvent dans ta description de ce besoin d appartenir à des aïeux qui nous renvoient à une histoire avec un grand H.
    L Histoire qui crée des héros heureux ou malheureux mais qui parlent à notre cœur.

    • Edmée dit :

      Oui c’est bien ça. Et crois-moi, quand ils sont « purs » (sang pur), ils te le disent et le redisent. Creek Full Blood. Pueblo Full Blood. Ponca Full Blood… 🙂

  3. Tania dit :

    La seule fois où je suis allée aux Etats-Unis, trop brièvement, je cherchais des traces des Indiens, de leur présence, de leur histoire, mais elles semblaient effacées. Nous n’avons vu des objets indiens que dans un seul petit musée.
    J’ai repensé en te lisant aux Indiens du film « Danse avec les loups ».

  4. Armelle B. dit :

    Quand le temps transforme le passé en légende. Et comment l’ascendance indienne ressemble à l’ascendance celte. Chacun cherche à se couler dans le lit des fleuves originels.

  5. laurehadrien dit :

    Très instructif pour moi. Merci !

  6. charef dit :

    Etre un indien est tout une histoire. L’histoire des peuples qui se battent pour leur survie et leur humanité. Les indiens, un exemple à méditer.

  7. Dédé dit :

    Je lis tes lignes et je trouve que la destinée d’un Indien a quelque chose de triste de nos jours. Cela me fait penser à ces peuples du Nord, les Inuits, qui perdent peu à peu leur identité. Le changement climatique qui a pour conséquence une plus grande sédentarisation, peu de débouchés économiques et des fléaux comme l’alcool. Bises alpines toute brumeuses. La neige arrive avec force dès demain. Je vais hiberner. 😉

  8. anne7500 dit :

    C’est amusant, je présente un roman qui se passe en pays ojibwé aujourd’hui. On y parle de transmission, de vécu ou non des connaissances et traditions de ce peuple entre autres.

    • Edmée dit :

      🙂 Louise Erdrich est une excellente narratrice, par exemple. Le premier « Indien » qui j’ai présenté à mon neveu au Smithsonian Museum de New York était un Ojibwé géant et affable qui lui a dit en Français « bonjûûûûr »…

  9. colo dit :

    Comment être et rester soi quand tant de légendes, d’histoires plus ou moins fictives courent sur son peule et soi même?
    Ceux que tu as rencontrés, t’ont-ils parlé de cette difficulté?

    • Edmée dit :

      Ils n’ont confiance que jusqu’à un certain point et il est donc difficile d’entrer dans leur tête. Plusieurs fois j’ai entendu « vous les Blancs, vous… » ou « Les Blancs sont impolis, les Blancs sont curieux » etc… Ils sont aimables et chaleureux (très très rieurs contrairement à ce qu’on croit!) mais on reste un « blanc », ce qui est « moins pire » qu’un wannabe, un qui voudrait être indien, porte des habits et bijoux indiens, fuit sa propre culture pour jouer à l’Indien, ou l’Apple, rouge dehors et blanc dedans, celui qui ressemble à un Indien mais fonctionne comme un blanc. Je pense malgré tout qu’ils ont raison de ne pas se fier à nous, l’essence est trop différente, par contre on peut co-exister très correctement, oui!

  10. gazou dit :

    être soi-même , devenir soi-même , c’est toujours toute une histoire, indien ou pas…Il est vrai que pour certains, c’est encore plus difficile que pour d’autres

    • Edmée dit :

      Ah en effet c’est compliqué, pas seulement pour les Indiens mais eux, je les « connais » un peu mieux (si on peut dire…). J’ai logé, mangé, bavardé chez et avec eux pendant que j’étais là, et ça se passait toujours très amicalement – avec la méfiance dont je parlais dans un com! 🙂

  11. emma dit :

    formidable description et analyse ! l’humanité condensée. Passionnant !
    Les « modes » changent. Le héros n’est plus le pionnier vainqueur du sauvage sanguinaire. Voilà venue l’ère de l’authentique, du vintage et du bio, qu’elle soit dévoyée en objets et spectacles pour touristes, tels les personnages de star war, ou revendiquée dans sa génétique comme un label romanesque.
    Comme si chaque humain ne descendait pas du premier homme, et ne trainait dans sa généalogie une cohorte de gens biens, de criminels, d’artistes et de psychopathes.
    Dans ma mythologie perso de l’indien, ce merveilleux personnage du « vol au dessus d’un nid de coucous » que j’ai déjà vu 10 fois, qui n’a rien à voir avec les clichés, c’est juste un homme https://www.youtube.com/watch?v=t22dazWnr-0

    • Edmée dit :

      Moi aussi j’avais un « boentje » (« crush » en bruxellois…) pour ce grand Sioux qui est mort… Juste des hommes, oui. Un jour sur Washington Square, il y avait deux « clodos » qui jouaient aux cartes assis sur un banc. L’un d’eux était un Amérindien, vêtu de noir et d’un haut chapeau où dansait une plume. Ils semblaient très contents et paisibles. Il y a plus de 30.000 Indiens en plein New YOrk, les plus démunis bien entendu, et ils ont un centre d’accueil où je suis allée : on peut y acheter de petits objets qu’ils font… https://aich.org/

  12. De manière générale, il y a beaucoup de clichés qui circulent sur les « groupes de gens », que ce soient les habitants d’un pays, les religions, les minorités, etc. Il faut aller au-delà des clichés, et tenter de nouer un vrai dialogue. Ce n’est malheureusement plus trop dans l’air du temps, mais les différences nous enrichissent. On peut défendre son histoire et ses traditions, sans rester fermé sur soi-même. Mais on peut aussi comprendre certaines réserves des Indiens. Bon week-end Edmée.

    • Edmée dit :

      Bien sûr, nous sommes tous victimes de stéréotypes. Et nous n’avons pas envie de tout vérifier en personne, ou pas l’occasion. On peut juste prendre tous ces stéréotypes avec un peu de recul et d’intelligence, et bien ouvrir yeux et oreilles quand on en a l’occasion 🙂

      Bon week-end très venteux, Petit Belge!

  13. La Baladine dit :

    Tu livres là un récit à la fois clinique et puissamment émouvant. De l’importance de se souvenir… qui l’on est, d’où l’on vient.
    Merci pour cette splendide réflexion.

    • Edmée dit :

      Merci à toi 🙂 Je ne suis allée vivre aux USA que pour approcher des Amérindiens, qui me captivaient depuis l’enfance. Mon regard a tout à fait changé, mais certainement il est plus profondément aimant qu’il ne l’était « de loin », lorsque le mythe du « noble sauvage » m’habitait encore…

  14. Xoulec dit :

    Ce texte me fait directement penser à l’ excellent livre de Bernard Clavel : Maudits sauvages

  15. philirlande dit :

    la situation est difficile pour les « premiers peuples » spoliés de leurs territoires, Etats-Unis, Amazonie, indiens du Mexique, aborigènes, tous vivent des vies différentes, peut-être pas parfaites, mais qu’ils ont souvent dû subir…
    cela n’enlève en rien leurs origines et leur fierté d’appartenir à Cela

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