Ces moments exceptionnels, qui nous poussent à les raconter dès que possible, et puis que parfois on oublie pendant des années. Un jour Boum ! il sortent comme des cacafougnas, et nous amusent ou nous indignent une nouvelle fois.
À l’attention de ceux ou celles qui penseraient que le wallon n’offre aucun intérêt, voici la traduction de cacafougna, mot wallon que j’emploie avec entrain et fierté…
Cacafougna: Ancien jouet à ressort qui le plus souvent faisait sortir un diable d’une boite. Qualifie quelqu’un ou quelque chose d’hirsute.
Bref, voici donc les cacafougnas du jour :
Oscar de l’imbécile fier de l’être : Quand je vivais à Turin en 1986, l’ami d’un ami, employé de banque. Le fait d’aller travailler en costume et col blanc (avec cravate griffée, of course) lui tendait le mollet, allongeait sa démarche et sa gambette. Il croyait mesurer 5 cm de plus que ce qu’il avait, et en levant le menton il soupçonnait arriver à en gagner 3 autres. Un guichetier impérial, quoi. Un soir il a tenté d’épater la galerie (nous, le petit groupe d’amis en pizzeria Corso Unione Sovietica…) en relatant, indigné, ce qui suit : une touriste japonaise était venue à son guichet et n’avait vraisemblablement pas remarqué sa stature impressionnante, lui demandant simplement s’il parlait l’anglais. Et notre guichetier couronné de laurier avait secoué sa toge en affirmant que non, il ne parlait QUE l’italien. « Je parle l’anglais, cazzo (pas très poli, je ne traduis pas…), mais elle est en Italie et c’est en italien qu’on parle ici !!! ». Une ouverture d’esprit stupéfiante, un sens du service remarquable, et un homme que l’on rêve d’avoir en face de soi pour une discussion profonde et humaine.
Oscar des gentils poussins : Là, j’étais à Aix-en-Provence, encore toute jeunette et pimpante. J’étais dans ce que j’appelais alors « un restaurant », une gargote bien sympathique avec des tables et chaises de formica et métal, de la vaisselle dépareillée, une mère et sa fille au service table, et une furie aux fourneaux minuscules, la grand-mère qu’on entendait hurler comme Vulcain. Deux jeunes garçons avaient fini leur repas, et faisaient de la musique avec la scie du couteau sur le verre, les cuillers faisaient percussion sur l’assiette, bref ils arrivaient je ne sais comment à produire quelque chose d’assez brésilien, et moi, qui ne les connaissais pas, je me dandinais sur ma chaise en terminant ma bière. Ils ont payé et sont partis, puis un des deux est revenu en courant comme pour la course du lièvre à travers les champs, dans le but très galant de m’embrasser sur la joue pour repartir aussi rapidement. J’y repense souvent.
Oscar de la trop familière : Aux USA, alors qu’on cherchait à acheter une maison, il nous fallait trouver une compagnie qui s’occuperait des démarches de crédit. La personne qui s’occuperait de la vente nous avait trouvé cette « perle ». Sauf que quand j’ai téléphoné à la perle pour compléter des informations, non seulement elle mastiquait du chewing gum (heureusement elle ne faisait pas de bulles cependant le bruit de mastication mouillée me parvenait et me faisait retrousser les babines…), mais elle a eu le toupet de m’appeler Honey. Mais où se permet-on de s’adresser à un client par Honey ??? Avec un bruit baveux, en sus ???? J’ai refusé tout net de faire affaire avec cette malotrue, tout comme j’ai refusé de confier mes chaussures à réparer il y a très longtemps à Bruxelles parce que le cordonnier m’a vue arriver et m’a dit « et pour la petite dame, ce sera… ? ». Il ne l’a pas dit naïvement, ou sans y penser, il a eu cet air condescendant qu’il devait avoir envers toutes les femmes qui devenaient aussitôt des petites dames. Ce fut rien, pour la petite dame qui s’en alla ailleurs avec ses chaussures.
Oscar de la bonne volonté : Vacances en Autriche avec Papounet. On arrive au bord de l’Achensee, où Papounet a loué un chalet pour l’été. Vu l’allure où on circulait, le fait qu’on cherchait quelque chose était évident, et un dévoué habitant du coin nous a fait de grands signes amicaux, suivez-moi, suivez-moi, et on l’a suivi pour se retrouver … dans un camping, où on n’allait pas du tout ! On l’a remercié avec des sourires épanouis, attendu qu’il s’en aille après sa bonne action, et repris nos recherches…
Oscar de la pauvre dame qui n’y comprend rien : J’étais en pension à Bruxelles, rue de la Charité (chez les sœurs de Jésus-Marie, pour ceux qui veulent des preuves de mon éducation catholique). Mais j’étais aussi, depuis une semaine, en proie à des colites et une crise d’appendicite. Je marchais comme Quasimodo qui aurait un tournevis planté dans le ventre, avais perdu 4 kgs, et souffrais le martyre. Voici enfin le vendredi, le jour de mon retour à la maison (je ne savais pas ce que j’avais et pensais avoir mal au ventre…). Je fais ma valise, et me rends à l’arrêt de tram, agonisante, direction la gare. J’enregistre qu’il y a une dame à ma gauche. Puis je me rends compte que je vais m’évanouir car je ne vois plus rien et ai très froid, suis couverte de sueur, je me tourne alors vers la dame (que je ne vois pas…) et lui dis « Je vais m’évanouir, pouvez-vous me conduire rue de la Charité ? ». On remarquera au passage que je suis vraiment très organisée. Le hic c’est que la dame parlait néerlandais, avait compris mais pas trop, d’autant que je devais prononcer comme si j’avais une pierre brûlante en bouche, aussi la malheureuse me demande-t-elle, très embêtée : « à la maternité ? à la maternité ? »… Qu’on se rassure, j’ai survécu comme en témoignent ces lignes.
Oscar de la furie de mauvaise foi : Aux USA. Une opulente dame noire aux airs langoureux se présente dans notre copy-shop afin de commander des cartes de visite en papier glacé rose pour son business. Elle rebondit, assez sensuellement je dois dire, de tous les coins où on peut rebondir, et ma foi, elle en jette. Elle porte ses bourrelets, bonnets F et robe moulante avec un aplomb fascinant qui ne manque pas de charme, et m’envoie des mèches de sa perruque au nez tout en me donnant les indications pour la fameuse carte de visite super pro. Elle veut trois noms dessus, trois amies sans doute. Trois jours (ou plus, ou moins…) après, elle revient chercher ses rectangles roses, et j’imagine que sur ce court laps de temps, elle a eu le temps de se disputer avec une des trois « amies », la menacer de la scalper et de lui trouer le dos avec un pic à glaces, que sais-je, toujours est-il qu’elle a le culot de me demander « mais d’où sortez-vous ce nom-là ? Elle ne travaille plus dans la boite ! ». Ma bouche a dû faire « clac » et certainement mon expression a frôlé l’hébétude momentanée. J’étais soufflée de l’aplomb de la femme d’affaire aux dents longues que j’avais en face de moi, la poitrine bondissant de fureur. Mais je tiens bon, et lui explique calmement que non, je ne lui rends pas ses arrhes, car ce nom honni, je ne l’ai pas rêvé, c’est bien elle qui l’a mentionné. Et là, je me retrouve face à un King Kong femelle ayant absorbé de l’ergot de seigle, et j’ai dû m’accroupir sous le comptoir pour échapper au lancer de tout ce qui se trouvait dessus, album d’invitations de mariages ou de Sweet Sixteen, tampons encreurs, agrafeuse, échantillons de cartes de visite, le tout avec en fond des imprécations sonores et à censurer même dans un film de gangsters et pornographes…
Oscar du chevalier blanc à l’armure étincelante : En Yougoslavie, et j’avais 19 ans. Nous étions tout un groupe, des Italiens pour la plupart, sous une clairière champêtre où on servait du petit vin blanc qu’on boit sous la tonnelle, et des ćevapčići délicieux. Des ramures au-dessus de nous tombaient parfois de grosses chenilles jaunes, et des feuilles. Un trio de paysans jouait de l’accordéon et je ne sais quoi d’autre. Le petit vin blanc coulait trop à flot, et moi je m’amusais si bien que je pensais en être encore et toujours au premier verre, qu’on me remplissait avec empressement. Bref, vint le moment où j’aurais dû aller me poudrer le nez, comme on dit dans les vieux films, mais j’étais bien consciente que jamais je ne pourrais enjamber le banc de notre longue table avec élégance, et encore moins aller sans détours suspects vers la cabine aux mille courages (le genre de lieu qu’on n’oublie jamais : la fosse septique qui empeste, pas de papier, pas de verrou, pas de lunette, pas de lumière et la fête qui bat son plein dehors, zim boum boum). À côté de moi, Adolfo, mon Adolfo, avec qui il n’y avait rien d’autre pour moi que de le suivre comme son ombre dans le but unique d’être près de lui. Il le savait et me tolérait avec mansuétude. Je savais avoir de la chance car il avait un fan club féminin long comme le serpent à plumes. Et j’ai demandé à mon Adolfo s’il voulait bien m’accompagner vers ce lieu pestilentiel, et de veiller que je n’y tombais pas. Et il l’a fait. Et il a aussi fait la garde devant cette horrible guérite, et m’a raccompagnée devant mon assiette de ćevapčići comme si rien n’était arrivé. Il n’en a jamais parlé à personne, et a poussé l’esprit chevaleresque jusqu’à l’oublier ! Pas moi…
Tout d’abord, j’adore le terme que je vais ressortir d’une voix forte dans une soirée branchée. :-), si possible au prochain apéro de la boîte. Ensuite, ces cacafougnas sont jouissifs, plein de vie, de souvenirs, de tendresse ou de hargne. Ma préférence au héros Adolfo, qui a dû se boucher le nez tout en restant stoïque et galant. Ce n’est pas donné à tout le monde! Merci pour ces petites tranches de vie. Bises alpines.
😀 Ecoute, ce terme de cacafougnas est tellement pittoresque que des amis américains l’utilisent, c’est trop beau pour laisser dans un placard 🙂 Merci pour ton avis. Oui Adolfo fut d’une galanterie incomparable…
Je ne connaissais pas le terme « cacafougnas ». Je le réutiliserai à l’occasion. C’est une très belle série de portraits.
Merci Rémy. Personne ne connait ce mot, même en Belgique il est peu utilisé, ma mère l’employait souvent comme exclamation, du coup je connaissais bien…
Mot magnifique, jouissif à souhait! De même que tes histoires.
Je suis allée voir sur la Toile et ai trouvé une liste, pas triste du tout, de mots pour ce genre de personnes « Liste des idiots du village »…cacafougnas s’y trouve (dernière page) à côté de « Niks embarras »:-)
C’est ici: http://contre-regard.com/wp-content/uploads/2016/03/Liste-des-idiots-du-village-1.pdf
Bonne journée de rires.
« Yoyoteurs de la touffe! ». :-))
Haha!!!! Ils y vont fort!
Voilà, je sens que Cacafougna va rentrer dans le vocabulaire courant, magnifique 😀
Joli palmarès!
J’ai un faible pour la baiser impromptu du musicien de table et pour l’insupportable culot de la créature du copy-shop.
Quant à Adolfo… mon Dieu! le pauvre! comment est-ce possible de s’appeler encore Adolfo dans les années 70 ??? C’était un fils d’oustachi?? 😀
C’était tout simplement le prénom de son grand-père 🙂
Oui le baiser impromptu fut une riante surprise, je dois dire. Je les ai vus comploter en s’arrêtant, et puis il a foncé, est venu faire son « méfait » et est reparti ventre à terre…
Eh bien, je ne connaissais pas ce mot que je découvre avec amusement car il a de la saveur et du piment. Et qu’il recouvre des faits épicés. Merci de me l’avoir fait connaitre et, en quelque sorte, goûté.
J’ai oublié le r de goûter. Mille excuses, saperlipopette. Cette expression est nantais.
J’ai oublié le r de goûter. Faute impardonnable. Aussi mille excuses, saperlipopette. Cette expression est nantaise.
Je connaissais Saperlipopette, que mon papounet utilisait et qui a donné lieu, ici à Liège, à la fameuse pâtisserie « Une gaufrette saperlipopette » https://une-gaufrette-saperlipopette.be/
jolis portraits 🙂
(je vais essayer de retenir cacafougnas et aller voir le lien de Colo ;-))
Cacafougna est indispensable dans une conversation branchée 😀
Ces cacafougnas sont un délice, une friandise à déguster. J’aime bien celui de l’imbécile fier de l’être 🙂 Je regrette de ne pas avoir assez pratiqué le patois de chez moi. Je suis presque sûr qu’il existe un mot équivalent. Peut-être reviendra t-il dans ma mémoire ? Je me suis régalé de ces gourmandises !
Oui, je pense encore souvent à l’imbécile fier de l’être… Quel minable. Tu devrais aller consulter le lien de Colo qui donne quelques équivalents pour Cacafougna 🙂
J’avoue que, déjantés des Deux-Sèvres, dérangés d’Aurillac, ou bien, bigleux de la voyelle, valent leur pesant de cacahuètes. Tiens, une expression que je n’avais jamais entendu ! « être vif comme un tas de bois ».
Tes cacafougnas sentent très bon et se déroulent comme un feuilleton; J’avais dans mon enfance ce diable qui sortait d’une boîte mais je ne connaissais pas le nom jusqu’à la lecture de ton article. J’aime l’interprétation et l’utilisation que tu en faits. Je t’avoue que je reste admiratif et je vais t’imiter.pour raconter les vieux souvenirs qui s’invitent sans prévenir.
Bon dimanche Edmée.
😉 Merci Charef, bon dimanche à toi aussi!
On devrait parfois ressortir de nos tiroirs de tels mots. Et les employer. A mon avis celui-ci prend son envol…
On le dépoussière, le voici flambant neuf à nouveau 😀
Jolie leçon de vocabulaire et de choses vécues – grand plaisir à les lire. Bon dimanche, Edmée.
Un tout bon dimanche aussi 🙂 Et gare aux cacafougnas 🙂
Merci pour tous ces cacafougnas, j’ai une préférence pour les deux premiers
Et surtout, on n’oublie pas de glisser le mot cacafougna avec élégance ici et là 🙂
Rrrôôô… J’adore enrichir mon vocabulaire de mots surannés ou pittoresques, ou argotiques, je m’en vais donc ajouter le succulent cacafougna à la liste 🙂 et l’utiliser, évidemment, car c’est bien à ça que servent les mots 😀
Magnifique galerie de personnages comme tu sais faire, chaque tableau est précis et bourré d’humour.
Finir par Adolfo, gentleman accompli, grande trouvaille! J’en connais des qui vont rêvasser qu’il est dans leur entourage 😉
😀 Ah non! Il est dans le mien 😀 … Oui, moi aussi j’adore utiliser des mots qui sont en train de disparaître, remplacés par borborygmes et onomatopées diverses. Soyons précises, palsambleu !
un mot gouleyant, aussi jouissif que Popocatepetl , merci Edmée, et quelle mémoire tu as, c’est formidable
😀
Il faut de tout pour faire un Monde! Si jamais vous finissez par trouver normal ou habituel la présence de ces individus, il faudra vous poser quelques questions (rire).
C’est vrai que les remarquer est sans doute un signe de santé mentale 🙂
Et en y pensant bien, je me demande si je n’ai pas été l’Oscar de quelques personnes!
😀 … J’ai dû aussi l’être, je me souviens notamment de « gaffes » sans aucun tact qui ont fait pâlir …
J’admire toujours ton talent de conteuse
Je raconte souvent de ce genre d’anecdotes qui font toujours au moins sourire mais je n’ai jamais pensé à les écrire !!!
Encore bravo pour ces cacafougnas….
Denise
Merci Denise 🙂 Oui, on a tous et toutes de tels souvenirs, c’est vrai!
J’aime bien le wallon , une langue savoureuse.
« On commence par une cacasse à cul nu ensuite un stron d’poye « . Imagine la tête de mes invités hahaha
Je fais l’effort de ne plus juger, je me dis que chaque marmite a son couvercle.
Beau billet 🙂
Ah ben tu vois, moi je ne connais pas la cacasse à cul nu, mais bien le stron d’poye (sur une tartine 😀 )…
cacasse à cul nu : fricassée de pomme de terre au lard
cras stofès : crêpes au fromage
le stron d’poye : c’était , parfois, le goûter au préventorium de Dolhain où j’ai atterri un an après mon arrivée en Belgique
Il faut que je trouve un bouquin avec toutes ces expressions:)
Cette nuit j’ai regardé ton interview de Kroll : super mais on ne peut pas commenter 🙂
Le préventorium de Dolhain… Tu sais qu’il fut offert à la ville par un grand oncle mort à Biarritz très riche et sans enfants? La campagne Lonhienne porte son nom 🙂 J’espère qu’on t’y a bien soignée en tout cas…
Merci pour l’explication de cacasse à cul nu et les cras stofès… 🙂
C’était un homme généreux avec une grande noblesse de cœur, tu as une famille formidable !
Oui j’ai été bien soignée, avec beaucoup d’affection 🙂
J’imagine qu’il était généreux en effet, je ne l’ai pas connu, mais naturellement nous parlions de lui de temps en temps… Au moins grâce à lui en partie, on t’a bien soignée!