Trocs et croqueuses

Petite, je donnais trop facilement mes « affaires ». Si des amies venaient jouer à la maison, et qu’elles poussaient de joyeux cris d’admiration devant poupées ou services de dînettes etc… j’insistais « prends-le ! ». Sauf que Lovely Brunette, qui veillait au grain et à mes faiblesses, attendait les petiotes en bas de l’escalier quand il était temps pour elles de partir. « Qu’est-ce que tu as reçu ? » demandait-elle, et les gentilles petites un peu décoiffées de nos jeux, les joues rouges, exhibaient fièrement leur butin. Lovely Brunette leur expliquait ensuite, bien calmement, que certaines de ces choses avaient une valeur que je ne connaissais pas, et elle troquait – oh l’habile femme ! – l’objet contre un bonbon, tellement plus agréable en fin de compte.

Mais il y eut cette maman arnaqueuse, oui. J’ai échangé, à l’école, une corde à sauter en plastique contre trois petits bracelets d’ivoire que mon papounet m’avait envoyés. Naturellement, la mignonne fillette qui avait fait cet échange avantageux avec moi n’avait aucune idée de la valeur des objets, ni moi. Nous étions ravies de notre bonne affaire. Mais quand Lovely Brunette a téléphoné pour demander de refaire l’échange dans le sens contraire « car ce sont des petites filles, et elles ne savent pas ce que ça vaut »… la maman a refusé avec fermeté, affirmant que donné, c’est donné. Inutile de dire que la papeterie de la maman est devenue pour nous symbole de la Géhenne authentique, et qu’on aurait préféré mourir que d’y pénétrer. Et que la maman nous regardait comme si nous étions les malpropres et pas elle. Nous, les petites filles, nous ne nous sommes pas immiscées dans les démêlés maternels, mais on sentait bien que quelque chose de pas trop catholique était arrivé et que nos mamans ressemblaient à des pitbulls quand elles se voyaient.

Ou cette femme de ménage à laquelle nous donnions les jouets boudés et mis aux arrêts dans les tiroirs pour amuser ses petits-enfants : au passage elle en prenait d’autres, prétendant qu’elle avait cru que, et quand Lovely Brunette lui demandait de les rapporter, elle avait droit à une réplique indignée « mais enfin, la petite est si contente, vous n’allez quand même pas le lui reprendre !!! ».

Bien plus tard, en vacances en Yougoslavie, j’ai cédé sous les assauts amicaux d’une jeune fille du coin qui affirmait être la fille du directeur de l’hôtel tout en étant réceptionniste. Le mensonge ne l’a jamais étouffée. Sur le temps de midi elle arrivait à se faufiler parmi notre petit groupe d’amis, avec son tailleur et ses escarpins à talons, et me demandait alors de lui prêter des vêtements (en fait, elle disait donne-moi ! En français dans le texte et assez répétitivement ). Ainsi elle était en tenue balnéaire pendant sa pause de quelques heures, et est ainsi arrivée à rendre ma valise bien plus légère au retour car elle s’attachait tant aux vêtements de son amie préférée de la quinzaine qu’elle n’a pas rendu grand-chose…

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40 réflexions sur “Trocs et croqueuses

  1. Les plus beaux cadeaux ne sont pas matériels ! 🙂

    • Edmée dit :

      Non certes, mais enfants, ils ont leur rôle 🙂 C’est plus tard qu’on comprend…

      • Oui c’est vrai.
        Enfant j’avais échangé une trousse en plastique contre les photos de soldat de la Guerre d’Indochine du père d’un de mes camarades de classe, pour lui faire plaisir. Enfant, nous ne sommes pas rendu compte de ce que nous faisions. Nos mamans nous ont fait rendre ces objets et faire l’échange.
        Les cadeaux font certes toujours plaisir, surtout pour les enfants.. Cependant le partage, l’amitié et l’amour sont vraiment le plus important ! 🙂

      • Edmée dit :

        Tu as tout à fait raison. Les cadeaux sont un bonus, disons… Et comme je vois, ton ami n’était pas meilleur que moi en « affaires » mais heureusement… les mamans ont été correctes, elles 🙂

  2. Dédé dit :

    Coucou. Je me rappelle de ces invitations que les enfants se faisaient dans la cour d’école pour les anniversaires. Quand il s’agissait de mon anniversaire, ma maman faisait un succulent cake et mettait les petits plats dans les grands. Et elle mettait à côté des assiettes des petits présents pour les invités (boîtes de Smarties, petites figurines, bonbons et chocolats, etc.). Ce qui sans doute enlevait aux invités l’envie de s’approprier mes jouets et autres trésors que de toutes façons, je n’aurais absolument pas cédés! :-)) Ce qui fait de moi sans doute une fille vénale et matérialiste. Mais je m’en fous! :-)) (rires!) Bises alpines très ensoleillées et chants de mésanges en prime.

    • Edmée dit :

      Vénale et matérialiste, ha ha ha! Mais tu sais, il est très probable que ma « générosité » n’était qu’un moyen de m’acheter l’affection des petites filles, donc pas si généreuse que ça. J’étais mis de côté à l’école à cause du divorce de mes parents (faute punie de l’enfer au minimum…) et donc il est très possible que j’aie trouvé comment éviter l’ostracisme. Je n’en sais rien. Je suis encore généreuse mais plus sélective, et n’oublie pas un manque, j’ai une mémoire éléphantesque et très hostile aux distraits.. ou profiteurs!
      Bises liégesoises!

  3. La Baladine dit :

    Tu étais naïve, c’était de ton âge, candide, itou, et généreuse. Je parie que la troisième option vaut toujours. Sauf que maintenant, tu sais 😉
    J’ai surtout vu disparaître des livres, quand j’étais enfant. Je prêtais tout ce que j’aimais, et je lisais beaucoup… Je garde de certaines disparitions un chagrin inconsolable…
    Bises d’après la pluie le beau temps 🙂

    • Edmée dit :

      Oh oui, beaucoup de livres aussi, et ça m’a souvent contrariée. Je suis moins prêteuse et moins donneuse, avec le temps on apprend à… ne pas donner de perles aux cochons 😀
      Bises sous les nuages, on ne peut pas parler de beau temps ici …

  4. SBP dit :

    C’est mignon comme tout! 🙂
    Mais c’est là aussi qu’on voit la petitesse de certains adultes : cette papetière mal embouchée (aaah! ces commerçants!…), quand même!

    • Edmée dit :

      Je ne peux pas penser à cette maman (heureusement j’ai oublié son visage et il ne me hante pas dans mes rêves 🙂 ) sans être encore « choquée » de cette malhonnêteté. Qui sait si sa fille, devenue grande, y aura pensé?

  5. Adrienne dit :

    c’est fou, ça!
    (je me serais drôlement fait gronder si j’avais fait du troc ou des cadeaux!)

  6. celestine dit :

    C’est pour toi que l’expression « Ton bon coeur te perdra » a été inventée ? 😉 Mais quand même, elle était gonflée d’avoir gardé les bracelets en ivoire…
    Baci sorella
    •.¸¸.•*`*•.¸¸☆

    • Edmée dit :

      J’ai quand même appris à mesurer ma générosité par la suite 🙂

      Je trouve aussi que cette maman était honteusement gonflée!

      Baci sorella!!!

  7. Angedra dit :

    Cela a toujours était mon grand « défaut » être trop généreuse et de céder bien trop facilement … Heureusement mon fils me retenait contrairement à toi c est lui qui reprenait certains jouets que ses copains tentaient d obtenir. Je dois reconnaître que c est lui qui avait raison. Je sais aujourd’hui que mon comportement m attire plus de mauvaises surprises mais difficile de changer.
    Un bel exemple que tu donnes avec cette mère qui préfère perdre sa dignité pour des bracelets !!!

    • Edmée dit :

      Oui, cette maman a l’oscar de la profiteuse…
      Je suis moins prompte à donner, suite à pas mal d’abus en tous genres, mais je suis restée généreuse…

  8. Carine-laure Desguin dit :

    Petite, je donnais assez bien aussi. Ensuite, j’ai changé, je ne sais pas trop bien pourquoi.

  9. Xoulec dit :

    Bien mal acquis ne profite jamais, enfin, j’espère… !
    Enfant, nous ne possédions pas grand chose, l’échange était plus difficile. Nous gardions. D’ailleurs, il me reste encore un modèle réduit d’une petite voiture en acier, échelle 1/43, dont je n’ai pu seulement me résoudre de prêter à mes enfants, alors échanger ?
    Et puis le « côté auvergnat » fait que tout échange ou transaction est soumis à suspicions…
    Il n’empêche pas, j’aime assez donner ce que je fais de mes mains.

    • Edmée dit :

      J’aimais faire plaisir, et avoir des amies contentes aussi, puisqu’elles se sont raréfiées drastiquement lors du divorce de mes parents. Peut-être avais-je déjà compris qu’on n’attrape pas des mouches avec du vinaigre 😀

  10. J’étais comme vous Edmée, j’aimais beaucoup donner ou au moins partager, d’autant qu’enfant unique, je tentais de créer des liens aussi étroits que possible avec mes petites compagnes. Maman ne réagissait pas vraiment. Elle me disait si tu as donné, eh bien tu as donné, on n’en parle plus. Mais il est vrai que cela restait du domaine des jouets, livres ou autres présents sans valeur particulière, que sentimentale. Plus tard, avec les garçons, c’était eux qui me donnaient et, là, maman veillait au grain.

  11. AlainX dit :

    J’ai très peu connu cette pratique d’échange de jouets. J’en avais peu d’ailleurs. Alors pas question d’en donner. En revanche j’enviais certains camarades où j’étais invité qui avaient une chambre qui en débordait. Mais il ne me serait pas venu à l’idée de demander quoi que ce soit. J’aurais eu honte je crois.

    En revanche, ton texte m’a rappelé que chez ma tante à la campagne, on jouait beaucoup aux billes dans la rue où devait passer deux ou trois voitures par jour maximum…
    On jouait à la tiquette, à l’enclos, au trou. Ces jeux permettaient de gagner des billes des adversaires.

    À la fin des jeux on pouvait pratiquer des échanges. C’était du sérieux ! Tout était tarifé. Comme les cours de la bourse.
    Déjà il fallait distinguer les billes en terre et les billes en verre. J’ai évidemment oublié les barèmes ! Mais enfin c’était du genre à taille identique une bille en verre valait une 10 ou 15 billes en terre.
    On échangeait tout ça comme des pièces d’or de diverses valeurs… selon que la bille était en bon état ou abîmée, selon sa taille etc. Les discussions étaient parfois rudes. Dans les litiges un « plus grand » tranchait.
    Je me souviens de certains noms : l’agate, la pépite, le shoulet, le boulet, le calot, le tigre, le berlingot, le mastar, etc.…

    Cela fait belle lurette que je n’ai pas vu les enfants jouer aux billes.

    • Edmée dit :

      Je jouais aussi aux billes 🙂 Je n’aurais non plus jamais demandé un jouet ou un vêtement, et ne le fais toujours pas (pour les jouets ça me semble assez normal 😀 )

  12. Et bien, moi, je n’ai jamais prêté mes affaires ni en tant qu’enfant, ni en tant qu’adulte… J’ai toujours peur qu’on ne me le rende pas.

  13. charef dit :

    Bonsoir Edmée, une histoire qui nous a fait aimer le petite fille généreuse que tu étais. Les choses que tu échangeais n’avaient pas de valeur matérielle . mais ludique. Elles correspondaient au plaisir que tu pouvais en tirer dans l’immédiat. Elles n’avaient pas une valeur marchande. Bonne soirée Edmée.

  14. gazou dit :

    Toujours intéressant de t’entendre évoquer tes souvenirs….Bonne soirée

  15. grandlangue dit :

    Pour tant de gens, troquer et sortir gagnant de l’échange constitue l’essence même de la vie. On peut même s’enrichir de cette façon! Pourtant, il y a toujours moyen de rendre tout le monde heureux.

    Vaut-il mieux accumuler des choses ou vivre avec l’essentiel? On se pose toujours la question, un peu trop tard, quand on réalise que les objets encombrement plus qu’ils ne servent.

    Et puis, réaliser qu’on s’est fait avoir lors d’un échange d’objets constitue un modeste prix à payer pour apprendre qu’on doit se méfier de telle ou telle personne. Il y en a qui ont perdu leur vie pour avoir fait trop confiance.

    N’empêche, les cadeaux que vous faisiez à vos amies confirment que vous êtes de nature généreuse. Vous n’avez donc rien perdu!

    • Edmée dit :

      Non, dans mon esprit je n’avais rien perdu en effet car j’aimais mieux la corde à sauter que les bracelets 🙂 Et j’ai gagné en leçon : les grandes personnes ne sont pas automatiquement de bonnes personnes! Je suis restée généreuse mais je n’oublie pas qu’on ne donne pas des perles aux cochons 🙂

  16. PHILIPPE D dit :

    Eh bien ! tu étais si bonne que ça, toi ? Je suppose qu’après tu as compris et que tu es devenue plus méfiante, non?
    Moi, je pense que je n’ai jamais rien donné qui m’appartenait, mais j’ai laissé les « copains » tricher en leur montrant mes feuilles d’examens. C’est fou comme ils pouvaient m’aimer en période d’examens ! Ils se battaient pour s’asseoir près de moi !

    • Edmée dit :

      J’étais comme ça, oui, mais j’ai appris peu à peu. Ceci dit, j’étais comme toi au moment des interros, mais je me faisais payer, na! Il faut dire que nous avions 17 ou 18 ans et que les collants coûtaient cher, et qu’après tout, je faisais une dissertation en 5 minutes, ça valait le prix 😀

  17. Oh enfant la naïveté prends le dessus…. pas plus tard que la semaine dernière ma fille a échangé mon collier, ce collier que j’avais depuis presque 20 ans!!!! Heureusement c’est les parents eux même qui m’ont contacté….

  18. emma dit :

    ah oui, qu’est ce que la valeur marchande pour un enfant ? merci, Edmée pour ces délicieuses anecdotes

    • Edmée dit :

      😀 On n’a aucune idée du prix des choses, de leur durée, ni de la nôtre. Tout sera « pour toujours », et on vit merveilleusement dans le présent. On est enfants, et c’est si bon!

  19. Pascale MD dit :

    Je faisais pareil étant petite, je donnais facilement, et parfois, il y en a qui en abuses. Plus grands, on devient plus… raisonnable dirais-je 😉
    Cela dit je n’entasse pas, je continue de donner dès lors que je n’utilise plus.
    Merci pour le partage de ce billet que j’ai eu plaisir à lire.
    Bonne soirée

    • Edmée dit :

      Merci. Moi aussi j’ai appris à mieux gérer mes élans généreux. Comme toi je n’entasse pas, un peu parce que j’ai souvent déménagé et que les « choses », c’est lourd à transporter, et sans doute aussi par un besoin naturel de ne pas tésauriser…

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