Il était une fois l’amour. Aujourd’hui, trop souvent le sexe vient en avant-garde, depuis qu’on lui a dit qu’il n’était pas si important que ça, pas si coupable ni honteux que ci, bref, qu’il était quelque chose de simple comme chou, comme une gourmandise, une petite fantaisie bien amusante qui n’a pas besoin de grands projets ni de grand amour. Et comme il se manifeste en premier, l’attirance vers un être à aimer ne passe plus par le sas de l’appréciation pour un comportement, un ensemble de goûts et opinions, un chapelet de choses et gens en commun, non. Encore qu’un petit détour vers les chants de la chair ne soit pas à proscrire, bien évidemment, et encore moins à négliger.
Mais on finit par penser que l’on se doit d’aimer qui on désire. Autrefois on laissait grandir le désir dans la douceur et le confort de l’amour. On appelait l’âme, on lui parlait, et plus l’écho était profond et plus le désir contenu s’intensifiait, se nourrissant de promesses pour l’avenir. Ah! Toujours dormir et s’éveiller auprès de ce corps aimé, lui offir le dernier baiser du soir et le premier du matin… quoi de plus secret et intime, et tendre, et délicieusement nous deux?
Mes grands-parents ont été fiancés pendant plus de quatre ans, je crois. Il y a eu la première guerre mondiale, et aussi un délai imposé par les parents de ma grand-mère. Leur amour fut nourri d’angoisse (guerre oblige… lui sur le front, même si bien beau dans son uniforme guerrier, et elle volontaire à la Croix Rouge en Hollande, où la famille s’était réfugiée) et de rêves aussi sensuels que sentimentaux. L’impatience en plus. L’imagination en bonus.
A la veille de leur mariage, mon grand-père écrit dans son journal qu’ils se sont étreints dans le vestibule alors qu’elle le raccompagnait à la porte, et qu’il l’a sentie trembler dans ses bras. Il confie au papier toute sa joie à l’idée que le lendemain, ils seront enfin l’un à l’autre. Demain, tu seras mienne, soupire-t-il à la page quadrillée de ce discret confident. On sent toute la plénitude de son bonheur dans cette simple phrase.
Quatre années de promenades, de querelles sans doute (il y en a en tout cas eu une à cause d’un duel qui fit qu’il a cherché à s’engager à la légion étrangère … où heureusement on ne l’a pas pris !), de soirées en famille, jeux de croquet, pique-niques, cueillette au potager, lettres enflammées et … un désir en attente qui bondissait à chaque frôlement de main, à un baiser sur la joue un peu trop centré sur l’impatience des lèvres.
On faisait alors de sa femme LA femme. On faisait de son mariage – quand on avait le grand bonheur de le choisir, ou d’y trouver l’amour au fil des ans – une vraie célébration de l’union. Une tendre idéalisation loyale et fidèle.
L’inconscient des amoureux absorbait le décor entier de leurs émois. Jamais ils n’oublieraient la splendeur de certains instants : comment le reflet de l’eau au soleil faisait voler des papillons de lumière sur une joue ronde, la complicité furtive qui leur a fait serrer les lèvres sur un sourire après s’être frôlés, le regard alarmé d’une vieille tante Emma devant un geste esquissé et vite réprimé. Cette longue attente, cette longue aimance, ces promesses d’un « à jamais » enchanteur les conduisait sensuellement vers cette nuit tant attendue où, enfin, ils ne feraient qu’un.
Je sais que leur chair fut heureuse autant que leurs coeurs, c’était le gai secret que toute la famille se partageait en recommandant de ne pas en parler. Oh, Albert et Suzanne étaient fous-amoureux, hi hi hi … (on traduisait le hi hi hi sans aucune peine).
Tout au long de leur mariage, le respect viendrait à la rescousse lors des moments difficiles. Les souvenirs lisseraient les rides. Ils arriveraient toujours à se voir tel qu’ils étaient lors de ces moments de lumière qui avaient jalonné leurs fiançailles. Ces heures exquises.
L’heure exquise – Paul Verlaine (musique de Reynaldo Hahn)
La lune blanche
Luit dans les bois ;
De chaque branche
Part une voix
Sous la ramée…
O bien aimée.
L’étang reflète,
Profond miroir,
La silhouette
Du saule noir
Où le vent pleure…
Rêvons, c’est l’heure.
Un vaste et tendre
Apaisement
Semble descendre
Du firmament
Que l’astre irise…
C’est l’heure exquise.
L’heure exquise qui nous grise lentement… Beau printemps !!
Merci pour cette heure exquise
It’s my pleasure 😉
Coucou. Quel beau texte qui me tire les larmes des yeux. Si, si. Je suis sensible. 😉 C’est beau cet amour que tu décris. Et tu as raison, on prenait le temps en cette période. Plus que maintenant. Et pourtant, moi je suis adepte de prendre mon temps. Parce que je trouve que c’est bien plus beau quand ce qu’on a attendu arrive enfin. Bises alpines… de loin. P.S. Chez moi, tu peux faire la connaissance de Bluette qui va prendre le relais pendant un temps.
J’ai rencontré Bluette, que j’ai trouvée charmante! Bises!
Et que c’est beau cette heure exquise. Quel délicieux moment. Merci Edmée.
Merci à toi ❤
Le mariage était beaucoup plus un engagement pour la vie qu’aujourd’hui et même si certains couples nous semblent avec le temps très romantiques et merveilleux, je crois aussi que bien souvent cela n’était pas le cas pour des couples qui restaient unis uniquement au travers du contrat de mariage.
L’histoire des tes grands parents est belle, comme celle de mes parents… mais la femme avait tout de même un rôle plus passif, elle devenait « mienne » et dépendait entièrement de son mari.
Aujourd’hui nous pouvons rencontrer une heure exquise aussi, mais cette heure n’est pas à la portée de tout le monde. Il faut en avoir les prémices déjà au fond de soi pour la vouloir, la ressentir, la découvrir afin de la vivre.
Tu as raison. Alors une épouse était heureuse d’être « sienne » pour son mari, ça voulait dire aussi qu’elle serait protégée et respectée. Enfin… ça c’est quand les choses allaient bien :). L’heure exquise, comme tu dis, elle existe aussi de nos jours, et pas pour tous en effet…
Ah l’amour, c’est sans doute ce qu’il y a de plus beau dans une vie ! 🙂
Certainement!
Oui, je connaissais cette histoire de vos grands-parents paternels qui se sont tant attendus et tant aimés. Ils n’ont eu qu’un fils, votre père, je crois. Je crois aussi que votre grand-mère est morte assez jeune d’un cancer et que votre grand-père l’a suivi peu de temps après. Une très belle histoire que vous nous contez avec émotion et qui a inspiré certains de vos livres.
Exact. Ils se sont beaucoup aimés et lui ne lui a survécu qu’un an. Et puis ils se sont tellement ancrés dans le coeur de leur fils qu’ils sont passés dans le mien. Après tout… c’est certainement un atout que d’être issue d’un grand amour 🙂
Ce matin même je fredonnais cette délicieuse chanson qui accompagne si bien ton texte.
Je l’adore, commet ne pas?
Joli texte apaisant en ces temps tourmentés.
Ils ont eu de la chance, de pouvoir vivre cet amour. On ne leur a rien imposé que l’attente, qui attise le désir. Pas de conjoint imposé. Pas de conjoint choisi à la hâte, pour fuir la famille. Pas de ce qui faisait encore souvent le mariage à cette époque.
C’est une belle histoire, qui fait du bien, et ce doit être bon de se dire qu’on vient de là, qu’on vient de ça.
Bise souriante
Oh tu sais… je me suis mariée, bien longtemps après eux… pour partir de chez moi. Et j’en connais tant d’autres. Il n’y a peut-être pas d’époques pires que d’autres, il y a juste des circonstances pires que d’autres.
Bise souriante aussi!
Oui incontestablement c’est une heure exquise que tu as su nous transmettre. La chanson choisie est pleine d’émotion et nous plonge dans l’atmosphère du texte. Beaucoup d’émotion se dégage de ton article.. Merci Edmée pour ce merveilleux moment d’écoute et de lecture. Bonne soirée.
Merci Charef. Comme quoi les émois d’antan touchent encore! Belle soirée…
Quel magnifique texte pour nous conter l’amour qui unissait ce couple de rêve 🙂 Merci pour cette heure exquise 🙂
Mais de rien 🙂 Ils furent heureux et n’eurent qu’un seul enfant, mon papounet. Qui fut fier d’avoir, à l’heure de sa mort, 7 petits enfants!
Oh oui, merci pour ces moments exquis…malgré cette expression qui était si courante amis et donne un peu la chair de poule, »tu seras mienne ».
On sait ce que ça donne ce sentiment d’appartenance:-))
Bon week-end tranquille, très tranquille chère Edmée
On vit ça moins bien aujourd’hui parce que justement, on associe ces mots à la possession. Il y en avait, c’est vrai. Mais c’était aussi… tu seras ma femme, je serai ton mari, on ne prenait que qui… se donnait, après tout 🙂
exquis, oui, vraiment, « le reflet de l’eau au soleil faisait voler des papillons de lumière sur une joue ronde » se laisse fondre doucement comme un bonbon à la violette
🙂 Merci 🙂
Un magnifique texte qui fait du bien et qui, quelque part, me fait penser au couple qu’était mes parents.
Un joli billet qui se termine par un beau morceau musical.
Très belle fin de journée, et gardons le sourire
Merci… Oui, ça rappelle que ça aussi, ça « fonctionnait »… pour certains en tout cas.
Gardons le sourire, comme tu dis!
« Ah! Toujours dormir et s’éveiller auprès de ce corps aimé, lui offrir le dernier baiser du soir et le premier du matin… quoi de plus secret et intime, et tendre, et délicieusement nous deux? »
C’est d’une brûlante actualité pour moi, sorellita…je ne pensais pas que ce serait possible à ce point. 😉
Merci pour ce texte exquis, bella
•.¸¸.•*`*•.¸¸☆
Aaaah je suis heureuse pour toi, très heureuse vraiment. Moi aussi… je vis ça. Sauf que là on est séparés par le Coronavirus, mais … l’impatience a du bon quand elle devient patience forcée, puisque suivra l’heure exquise 🙂 Baci sorellita
Eh oui Edmée, les choses ont bien changé ! L’amour, comme la vie, n’est plus ce qu’il était !
Et bien sûr, c’est dans l’ordre des choses qu’elles changent sans cesse, parfois en mieux, parfois en pire, mais jamais « pour toujours »…
Reynaldo Hahn, qu’aimait tant Proust… Merci pour cette belle évocation d’un couple qui semble idéal. Même dans le grand amour, la lumière vacille parfois – en dehors des heures exquises.
Oui, cette heure exquise sur une musique exquise aussi. Bien sûr, le grand amour rencontre ses démons aussi. Comme, finalement, toutes les relations humaines qui ont leurs nuages ou même tornades. Parfois le beau temps revient, et parfois….