Depuis que je suis la fée (Clochette) de mon propre logis – et ça remonte à 1972! – mes coups de baguette magique s’abattent sans uniformité sur le décor. Je mélange tout. Je recycle beaucoup. Des rideaux ont été autrefois promus en recouvrement de sofa et chemise d’homme ; une étagère métallique a, pendant des années, séparé mon lit du reste d’un studio, sauvagement envahie de des plantes qui exprimaient leur joie de vivre au demi-mètre de foisonnement ; de vieilles gravures anglaises au chic ancien ont flirté avec des batiks indiens ; le tabouret de bobonne aux pieds de lion a fait face à deux fauteuils indonésiens en rotin sur lesquels je veillais à ce qu’un copain un peu trop replet ne s’asseye jamais sous faute de les réduire en allumettes. Il avait droit au futon au ras du sol qui lui donnait trois têtes de moins que tout le monde. Et mal au dos sans doute.
Aux Etats-Unis, je n’ai jamais trouvé de mobilier qui me plaise, sauf le divan et le fauteuil italiens, massacrés par le chien qui les aimait beaucoup aussi, aidé dans son oeuvre de destructrion par les chats. Alors je ne me suis pas occupée de style mais d’avoir des choses qui me ressemblaient autant que possible (avec French accent, pas intéressé au bingo du samedi soir, mangeant des abats et regardant des Foreign movies comme les intellos New Yorkais), et le vieux et moche bureau oublié par les anciens propriétaires s’est vu corrigé en on ne sait trop quoi de coloré et déconcertant que tout le monde m’admirait au cri de « how wonderful!!!! ».
Parce que voilà… j’habite toujours dans un chez moi qui ne ressemble au chez moi de personne d’autre. Je ne le fais pas exprès, pourtant. Et je ne « décore » pas, je regarde et garde les objets que j’aime. Qu’ils soient de décennies ou continents différents ou pas. Précieux – en ce qui concerne la valeur – ou pas.
Et je comprends maintenant la réflexion de ma mère la désormais célèbre Lovely Brunette, devant ma chambre de jeune fille qui déjà – avec la table de nuit japonaise, les photos de Brigitte Bardot au plafond, le crucifix au-dessus du lit, un dessin aux teintes vives que j’avais fait et qui représentait l’arrière de la maison, le tapis rongé par les mites affamées, et un vieux voile de dentelle noire sur l’abat-jour parce que j’avais lu que c’était très mode – annonçait que je mélangerais tout, me disait « mais quel bazar ! ».
Bref, ce n’est pas la maison de Marie-Claire mais celle de Shéhérazade.
Mon logis n’est pas là pour prouver au monde que j’ai bon goût, mais en revanche je dois y bien vivre, y voir les objets que j’aime et qui me parlent de ceux que j’aime ou ai aimés (et aime encore), me confirment que c’est chez moi, pas impersonnel, rien à voir avec cette ennuyeuse maison de Marie-Claire, laquelle doit piquer une crise si on veut changer une potiche et un album sur des collections de vases tiffany de place ou si on a tout fichu en l’air dans son équilibre parfait entre tableaux, espaces et objets (en fait Marie-Claire trouve qu’on devrait tout acheter parce que c’est preuve de style et de classe mais ensuite on doit tout ranger dans les soupentes pour ne pas surcharger…).
Mon logis n’est pas un musée mais, oui, mon bazar de vie. Et non, on ne s’y ennuie pas et Marie-Claire n’a rien à dire. Chez elle je n’oserais pas m’asseoir de peur de faire une bosse dans le coussin, et je m’en voudrais de l’avoir fait s’évanouir en émiettant – accidentellement – un chips sur son tapis rarissime.
Et puis… trop de prudence est un manque de goût. Marie-Claire calcule tout, et fait en sorte « de ne pas se tromper »… ce n’est pas du goût, ça!