Je me souviens du “choc culturel” ressenti en arrivant aux USA. Plutôt, en y mettant racine, moment où on « se rend compte » de la réalité quotidienne. A la télévision, c’était le pain quotidien de terreur : documentaires sur des serial killers connus, leçons de survie (genre les recettes de grandma, mais là c’était plus musclé) où on vous donnait des trucs simples et efficaces pour résister à un home jacking (par exemple, pour avoir un enfant sain, dynamique, responsable et bien préparé genre viking au combat, il dormait avec une corde à nœuds et une lampe de poche sous le lit, prêt à sauter par la fenêtre pour aller chercher des secours dans la nuit – froide et neigeuse si possible – en suivant un itinéraire qu’on lui faisait parcourir régulièrement au triple galop ; quant au reste de la famille, chacun avait son rôle délicat qu’il répétait mensuellement aussi, pour ne louper aucune étape une fois le grand jour venu…), à un car jacking (même genre de répétitions). Que la possibilité que ça leur arrive était pratiquement nulle, ça ne les effleurait pas, et ainsi l’angoisse se revivait à chaque répétition générale, à l’idée que Kevin, tu dois descendre plus vite le long de ta corde, et ne pas écraser la plate-bande, et quant à toi, darling, tu dois changer de pantoufles car celles-ci glissent sur le carrelage, je ne veux pas avoir à te ramasser en plus de tenir les intrus en respect…
Une de mes amies me racontait comment, lors de la célébrissime époque de la Baie des cochons, à l’école on leur faisait un entrainement à la guerre, hop sous les pupitres, hop on court dans les caves, bravo les enfants mais pas toi Dorinda-Lee, tu as encore demandé à Brendan de t’aider à courir, tu dois mieux t’entrainer à la gym…
Tout le monde se souviendra du Y2K, l’apocalypse de la fin de millénaire, annoncée jusqu’à plus soif. Des mois à l’avance, la presse (notre distributeur de grandes vérités pour notre bien) détaillait les possibilités atroces en vue : tous les ordinateurs du monde allaient s’arrêter à minuit car leurs dates n’étaient pas prévues au-delà de 1999. Aucun « savant » n’avait pensé que peut-être le monde continuerait après ça, pas même chez Apple dans les modèles 1999. Non. On était foutus. Car tous les systèmes de sécurité, d’éclairage, de monitoring etc… allaient finir en feu d’artifice. Un chaos de film d’horreur. Au travail on me téléphonait pour me proposer, à un prix vraiment fantastique, d’acheter je ne sais quoi qui prolongerait la survie de mon ordi – il fallait toutefois que moi je survive à l’effondrement de tout le reste, mais en tout cas mon ordi serait tout fier et tout vivant – et je demandais au télévendeur s’il avait le cerveau complètement formé pour en être réduit à ça…
Le personnel des hôpitaux et des entrepôts militaires volait les masques pour les revendre (si jamais ils survivaient, ils seraient riches, ça donnait tout de suite un objectif stimulant) car bien entendu, les conduites de gaz allaient sauter, ainsi que tout ce qui était toxique sur la terre.
Les rayons des supermarchés se vidaient, il semblait que les candidats à la survie considéraient que le plus excitant serait d’avoir du sucre en quantité car plus de sucre en vue, tant pis pour les autres bien entendu.
Mon amie, toujours elle, rodée à cette culture, se désespérait : son voisin infirmier lui avait dit qu’il n’y avait plus de masques volés à revendre. Mais elle avait entendu dire qu’il fallait acheter du scotch tape en quantité pour bien isoler portes et fenêtres, afin que les nuages mortels restent au dehors, et aussi pour réparer une vitre brisée par les explosions en tous genres qui ne manqueraient pas. Elle avait des montagnes de sucre, de biscottes, de papier de toilette, de café, un camping gaz, des lampes de poche. Mais elle angoissait : s’il lui manquait quelque chose ?
Moi j’avais acheté un surplus de bougies… Rien d’autre. Je n’avais pas peur, pas par héroïsme mais je ne croyais à rien du tout de ce scenario ridicule. Elle était inquiète pour moi, gentille amie sincère. Je la faisais rire en lui disant « s’il te manque quelque chose, tu prends un marteau et tu vas le demander aux voisins, les menaçant de casser leurs vitres s‘ils refusent ». On riait quand même, moi vraiment, et elle parce qu’elle en avait bien besoin. Et puis le « réveillon » approchait, le dernier peut-être. Elle n’avait pas la tête à fêter la fin du monde. Et je lui ai dit : « regarde à la TV le passage au nouveau millénaire en Australie : si ça pète, tu auras encore le temps de courir dans ta cave, sinon prépare le champagne ».
Ma Lovely Brunette et moi nous sommes fait nos vœux par téléphone, je lui ai demandé si elle avait pris des précautions… « oh oui, j’ai acheté une bougie ».
La terreur à la carte a débarqué ici.
Il faut raison garder !