Terreur à la carte

Je me souviens du “choc culturel” ressenti en arrivant aux USA. Plutôt, en y mettant racine, moment où on « se rend compte » de la réalité quotidienne. A la télévision, c’était le pain quotidien de terreur : documentaires sur des serial killers connus, leçons de survie (genre les recettes de grandma, mais là c’était plus musclé) où on vous donnait des trucs simples et efficaces pour résister à un home jacking (par exemple, pour avoir un enfant sain, dynamique, responsable et bien préparé genre viking au combat, il dormait avec une corde à nœuds et une lampe de poche sous le lit, prêt à sauter par la fenêtre pour aller chercher des secours dans la nuit – froide et neigeuse si possible – en suivant un itinéraire qu’on lui faisait parcourir régulièrement au triple galop ; quant au reste de la famille, chacun avait son rôle délicat qu’il répétait mensuellement aussi, pour ne louper aucune étape une fois le grand jour venu…), à un car jacking (même genre de répétitions). Que la possibilité que ça leur arrive était pratiquement nulle, ça ne les effleurait pas, et ainsi l’angoisse se revivait à chaque répétition générale, à l’idée que Kevin, tu dois descendre plus vite le long de ta corde, et ne pas écraser la plate-bande, et quant à toi, darling, tu dois changer de pantoufles car celles-ci glissent sur le carrelage, je ne veux pas avoir à te ramasser en plus de tenir les intrus en respect…

Une de mes amies me racontait comment, lors de la célébrissime époque de la Baie des cochons, à l’école on leur faisait un entrainement à la guerre, hop sous les pupitres, hop on court dans les caves, bravo les enfants mais pas toi Dorinda-Lee, tu as encore demandé à Brendan de t’aider à courir, tu dois mieux t’entrainer à la gym…

Tout le monde se souviendra du Y2K, l’apocalypse de la fin de millénaire, annoncée jusqu’à plus soif. Des mois à l’avance, la presse (notre distributeur de grandes vérités pour notre bien) détaillait les possibilités atroces en vue : tous les ordinateurs du monde allaient s’arrêter à minuit car leurs dates n’étaient pas prévues au-delà de 1999. Aucun « savant » n’avait pensé que peut-être le monde continuerait après ça, pas même chez Apple dans les modèles 1999. Non. On était foutus. Car tous les systèmes de sécurité, d’éclairage, de monitoring etc… allaient finir en feu d’artifice. Un chaos de film d’horreur. Au travail on me téléphonait pour me proposer, à un prix vraiment fantastique, d’acheter je ne sais quoi qui prolongerait la survie de mon ordi – il fallait toutefois que moi je survive à l’effondrement de tout le reste, mais en tout cas mon ordi serait tout fier et tout vivant – et je demandais au télévendeur s’il avait le cerveau complètement formé pour en être réduit à ça…

Le personnel des hôpitaux et des entrepôts militaires volait les masques pour les revendre (si jamais ils survivaient, ils seraient riches, ça donnait tout de suite un objectif stimulant) car bien entendu, les conduites de gaz allaient sauter, ainsi que tout ce qui était toxique sur la terre.

Les rayons des supermarchés se vidaient, il semblait que les candidats à la survie considéraient que le plus excitant serait d’avoir du sucre en quantité car plus de sucre en vue, tant pis pour les autres bien entendu.

Mon amie, toujours elle, rodée à cette culture, se désespérait : son voisin infirmier lui avait dit qu’il n’y avait plus de masques volés à revendre. Mais elle avait entendu dire qu’il fallait acheter du scotch tape en quantité pour bien isoler portes et fenêtres, afin que les nuages mortels restent au dehors, et aussi pour réparer une vitre brisée par les explosions en tous genres qui ne manqueraient pas. Elle avait des montagnes de sucre, de biscottes, de papier de toilette, de café, un camping gaz, des lampes de poche. Mais elle angoissait : s’il lui manquait quelque chose ?

Moi j’avais acheté un surplus de bougies… Rien d’autre. Je n’avais pas peur, pas par héroïsme mais je ne croyais à rien du tout de ce scenario ridicule. Elle était inquiète pour moi, gentille amie sincère. Je la faisais rire en lui disant « s’il te manque quelque chose, tu prends un marteau et tu vas le demander aux voisins, les menaçant de casser leurs vitres s‘ils refusent ». On riait quand même, moi vraiment, et elle parce qu’elle en avait bien besoin. Et puis le « réveillon » approchait, le dernier peut-être. Elle n’avait pas la tête à fêter la fin du monde. Et je lui ai dit : « regarde à la TV le passage au nouveau millénaire en Australie : si ça pète, tu auras encore le temps de courir dans ta cave, sinon prépare le champagne ».

Ma Lovely Brunette et moi nous sommes fait nos vœux par téléphone, je lui ai demandé si elle avait pris des précautions… « oh oui, j’ai acheté une bougie ».

La terreur à la carte a débarqué ici.

Il faut raison garder !

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Lovely Brunette et l’Hydre de Lerne

Amis et amie de plume, c’était la passion de Lovely Brunette, presque sa vie sociale. Et, tout comme ses recettes, son goût des chapeaux « bien chauds » – et de moins en moins jolis selon leur degré de confort -, elle m’a donné ce goût dès que j’ai su écrire.

À 16 ou 17 ans, par un concours de circonstances trop compliquées pour que je vous en fatigue par le menu, je me suis retrouvée avec plus de 600 demandes de correspondance provenant d’Italie. Il y en avait tant que j’avais perdu le plaisir de les lire, et que beaucoup de ces lettres d’ailleurs n’ont jamais été ouvertes, liées par liasses dans une petite valise. Pauvre de moi, je ne voulais que perfectionner mon italien, appris senza sforzo toute seule avec Assimil. Une petite annonce de ma part, accompagnée d’une chaste photo de mon minois souriant et souligné d’un col Claudine avec un feston de dentelle, et me voilà la bête noire du facteur. Faut-il le dire, la plupart de ces lettres émanaient d’hommes et de garçons proclamant mes charmes avec les expressions les plus fleuries. Dépassée par cette avalanche, mais amusée et curieuse, j’ai surtout ouvert les enveloppes dans lesquelles on sentait la présence d’une photo, et le tri était vite fait. Plein de vieux en maillot de bain, tarzans des plages au sourire de Sheetah, le ventre rentré comme celui d’un lévrier. J’avais 17 ans, et les vieux d’alors étaient plus jeunes que je ne le suis aujourd’hui, mais ainsi en est-il des notions de l’âge et de la grisante sensation d’éternité de la jeunesse !

Finalement, Lovely Brunette a récupéré l’un ou l’autre de ces vieux. Pour voir…

Nous écrivions la lettre ensemble (en riant beaucoup parfois), puisqu’elle ne connaissait pas l’italien, et je lui lisais les réponses. La plupart de ces correspondants croyaient surtout entendre la corne des brumes des femmes du nord, solitaires et mal aimées par des hommes à la pâleur de navet et l’énergie anémique, et offraient sans détours leurs services d’étalons qu’ils assuraient être épuisants et vraiment inoubliables. D’autres étaient plus discrets, et parmi eux, il y avait Lerno.

Il venait du centre de l’Italie, et une ou deux lettres – des plus chastes ! – à peine avaient été échangées entre Lovely Brunette et lui, qu’il s’était enhardi à demander si elle ne viendrait pas en Italie pour ses vacances. On pensait le voir venir (avec ses gros sabots…), et c’est avec beaucoup de soulagement et de rires étouffés qu’on lui a annoncé que non, nous allions en Yougoslavie, bien loin de chez lui. En décidant d’abandonner cette correspondance qui déviait déjà.

Qu’à cela ne tienne, annonça alors l’impétueux séducteur, je vais venir jusque là !

Horreur ! Et on lui avait dit le nom de l’hôtel, incapables d’imaginer qu’il ferait près de 1.000 kms pour satisfaire son programme de Sea, Sex and Sun… Chaque jour on espérait que l’hydre de Lerne, comme on l’avait surnommé, se découragerait, se perdrait sur la route, tomberait dans un ravin. Et les jours passaient, en effet. Nous étions sous le charme du farniente, du soleil, des petits fjords charmants couronnés de pins. Nous riions devant les premiers efforts de la Yougoslavie pour accueillir avec faste ses touristes : « Cadeaux acceptables » disait une flèche pointant vers les boutiques à souvenirs. « Friseur pour dames » disait une autre. Les suivait-on en souriant, ces flèches cocasses ! Nous achetions des loukoums aux noix avec une gourmandise quotidienne.

Et ce bon Lerno qui ne se montrait pas… Que le soleil était bon, que les cigales chantaient fort, que nous étions bien … Même la moussaka quotidienne nous semblait de plus en plus savoureuse. Jusqu’au jour où, alors que nous rentrions de la plage, Vesna, la réceptionniste – qui se comportait très amicalement avec moi car elle m’empruntait tous mes vêtements avec le projet de m’en rendre le moins possible – nous annonce qu’un monsieur nous avait demandées, et avait loué un pavillon aussi. (L’hôtel était formé d’un bâtiment central comprenant le restaurant, la piscine et le bar, et puis les chambres s’égayaient dans la pinède sous forme de petits pavillons). Lerno, avons-nous dit en chœur.

Et c’est alors que nous finissions notre repas que nous avons remarqué la présence d’un petit homme extrêmement velu qui nous fixait, immobile, depuis la porte. Lerno. Faisons semblant de rien. Mais il s’approche et nous appelle par nos noms. Après tout, il a couvert assez de kilomètres et est si près du but, pense-t-il… Nous jouons les idiotes, moi pas comprendre italiano, mais il se tape sur la poitrine et insiste : Lerno, Lerno ! Bon, on a bien dû sourire, et jouer la surprise ravie. Mal, aussi mal qu’on pouvait se le permettre. Le malheureux, sans doute épuisé d’avoir conduit comme un bolide pour séduire sa correspondante, nous suggère alors un tas de choses : aller sur la plage, aller en ville, sortir le soir pour aller danser… Et nous, non non, on a des amis, on est prises, on a déjà des plans, désolées, mais non vraiment … Demain aussi, et tous les jours en fait… C’est bien dommage mais …  Finalement, nous condescendons à aller en ville pour prendre quelque chose ensemble. Il porte une sorte de singlet jaune atroce à grandes mailles dont sa pilosité s’échappe avec exubérance. Je ne serais pas surprise que nous ayons eu, Lovely Brunette et moi, une moue involontairement écoeurée. Et il nous amène à sa voiture… une fiat 500, la fameuse topolino ! Lovely Brunette, avec ses grandes jambes, est autrement plus encombrante que Minnie Mouse (Topolina) et a du mal à s’asseoir à l’avant, et moi j’hérite de la minuscule banquette arrière, recouverte d’un plaid douteux sur lequel un jeu de cartes à jouer est renversé. Le dos des cartes est une série de pin ups. Le tout sent plutôt mauvais.

En ville, le supplice de notre étrange petit trio s’éternise. Il est décontenancé. Nous sommes mal à l’aise. La situation est grotesque et tous, nous attendons qu’elle se termine d’une façon ou d’une autre. Heureusement, il doit calculer que l’été n’en est qu’à son début et que s’il repart demain matin aux aurores, il pourra peut-être faire une touche avec une Anglaise ou Allemande sur sa plage locale le surlendemain. Il nous reconduit donc à l’hôtel mais non sans faire une ultime tentative : il voudrait voir notre pavillon. Oh non, on ne peut pas y aller en voiture, c’est par ce petit chemin-ci, lui disons-nous, nous éloignant sans hésitation vers le petit chemin en question. Au revoir, bon retour !!! On s’écrira ! (Tu parles, avons-nous tous pensé dans un bel ensemble…).

Nous fonçons dans le petit chemin, pour être certaines qu’il n’aura pas le temps de se garer et de nous suivre, mais nous ne savons pas où il mène. Nous rions, appelons sa voiture « crotte de pou », et regrettons qu’il nous ait tous mis dans une telle position. Et puis… tiens, ça sent bien mauvais… tiens tiens … Et oui, nous arrivons à la décharge clandestine de l’hôtel ! Voilà où menait le petit chemin. Et nous avons pataugé dans les détritus, nous bouchant le nez et riant comme des folles, bien décidées à ne pas faire marche arrière !

Que nous avons changé…

Le cinéma est impitoyable. Les vieux films en noir et blanc nous donnent l’impression que nous avons traversé trois siècles en 40 ans. Voyez donc :

On fume et on boit, les dames aussi, et comment! C’est glamour et high fashion. Le verre de whisky est un fidèle de toutes les scènes, un joli verre de baccarat avec des croisillons. Les bouteilles ou carafes remplies font partie de la décoration d’un salon qui se respecte. La fumée de cigarette est sensuelle et pas nuisible, les volutes ectoplasmiques vont d’une bouche à l’autre et se ruent dans les narines avec une intimité enthousiaste.

Bien entendu, je l’ai déjà évoqué, les codes amoureux d’alors feraient jeter aujourd’hui les écrans et bobines de film au bûcher. Le baiser « volé » (hum… souvent très attendu et deviné par le jeu subtil du je ne suis pas celle que vous croyez mais essayez quand même une fois pour voir…). Une gifle ou un coup de griffes rouge sang étaient tolérables, signe de passion. On ne griffe ou ne gifle bien que qui on aime…

Par contre, monsieur fait toujours le tour de la voiture dont il ouvre gentiment la portière, se rinçant l’œil sur les jambes de madame ou mademoiselle et, s’il a beaucoup de chance, un friselis rose de jarretelle pinçant le bord d’un bas de soie. Il porte les paquets, ouvre les portes, embrasse sur le front quand il joue au protecteur et se montre touche-à-tout quand il endosse le rôle du séducteur. Avec mesure.

Des films des années 50 nous montrent parfois des actrices (ne me demandez pas lesquelles, pour le respect de leur réputation) aux aisselles buissonneuses et même humides sur la petite robe à vichy. Pour les poils aux jambes, j’avoue qu’on ne voit pas d’assez près. Mais un poil de poids superflu et de cellulite n’est pas exclu, on en était encore (en Europe tout au moins, car le cinéma américain avait déjà oublié depuis belle lurette ce que « naturel » voulait dire…) aux femmes non retouchées, si ce n’était une tonne de laque, des faux cils somme des moustaches, et un gros plan sur le derrière ondulant dans l’escalier.

Et les manières, bon sang d’bonsoir ! On jette la cigarette par la fenêtre, ou les cendres dans la terre d’une malheureuse plante qui n’a rien fait. On dépose des valises douteuses sortant d’un coffre de voiture douteux sur le lit (valises, d’ailleurs, que les femmes, pourtant supposées les fées du logis, refont comme si elles remplissaient la machine à laver, tout en boule et en fureur). On pince les fesses des serveuses au restaurant, toute intelligence quitte le regard quand il se pose sur le haut des cuisses d’une naïade gainée dans un costume de bain qui doit l’empêcher de respirer et lui fait les seins pointus comme des obus.

Je ne fais que passer sur l’éducation des enfants, qui ressemble à un rêve exagéré. Les petits Américains d’ailleurs avaient du brylcreem en abondance sur une houpe imperturbable, des taches de rousseur et des voix pédantes insupportables. Et des dents de lapin.

Les manières de table : on utilise sa serviette sans la rouler en boule sale une fois le repas terminé. On parle poliment, sauf dans les films de gangsters, ça va de soi, on n’imagine pas un gangster appelant sa compagne Ma mie, ou Chérie. C’est Ma Poule dans le meilleur des cas. La Poule en question porte un bracelet de cheville pour indiquer qu’elle est de mauvaise vie, on est loin du piercing et des tatouages. Les lèvres en forme de cœur et la voix ronronnante ou couinante, les faux-cils ombrageant plus de la moitié de la joue. Mais quand même, le gangster a un trois pièces et une montre en or, sa cravate est en place ou alors on devine sa bestialité séduisante par une chemise entrouverte sur une toison de bon ton. Pas trop, pas trop peu.

J’ai l’impression que j’aurais dû commencer mon récit par Il était une fois….

Après tout, c’est du cinéma

Confinement oblige (ou pas…) « le petit écran » m’a attirée plus souvent. Attirée, façon de parler, mais bon, il y a bien des choses à faire qui ne monopolisent pas l’entièreté de mon cerveau, comme nettoyer l’argenterie, laver les bibelots, raccommoder, repasser, cirer certaines choses (au choix, ou tout, ou d’autres choses encore…) et si alors je m’adonne à ces joies ménagères devant le petit écran, j’ai la joie de penser que… je fais deux choses à la fois. Une activité débordante, en somme…

Donc, une fois de plus j’ai pu aussi analyser le mauvais travail des scénaristes, regrettant les invraisemblances d’autrefois qui étaient malgré tout moins flagrantes.

Aujourd’hui, mise au parfum par les téléfilms américains ou séries (je suis fidèle aux Feux de l’amour puisque je mange face à Victor tous les jours, juste pour ne pas manger en face du mur. Victor est malgré tout un niveau au-dessus, et tous ces mauvais ignobles réunis dans une seule série, ça donne l’impression que la vraie vie est comme la Mélodie du bonheur…), j’ai réalisé que :

  • Le serial killer n’a jamais le moindre mal à entrer dans une maison car il y a l’imbécile de service qui a laissé une fenêtre ouverte ;
  • L’audacieuse enquêtrice rusée ne manque pas de faire tomber quelque chose en se dissimulant aux yeux des mauvais, ce qui donne l’occasion d’une poursuite haletante ;
  • D’ailleurs, toutes les actrices américaines de série B semblant avoir arrêté leur croissance à 1,25 m, et donc porter des échasses, la dite audacieuse enquêtrice – ou la proie terrifiée du serial killer – trouve pourtant le moyen de courir plus vite que le grand dadais armé qui la poursuit, surtout dans les escaliers et les sous-bois ;
  • Personne n’est ce qu’on croit qu’il est. Surtout l’homme ou la femme séduisante. Et son ou sa partenaire crédule a des œillères de cheval de trait ;
  • Méfiez-vous des baby-sitters ou des jeunes hommes à tout faire, on ne vous le dira jamais assez : ils installent des caméras et veulent voler votre parfaite petite famille ;
  • Dans ces maisons somptueuses avec piscine, 600 € de fleurs fraiches quotidiennes au salon, et où il faut des lunettes noires pour se protéger des étincelles de propreté, pas de personnel, juste la souriante maîtresse des lieux qui cuisine uniquement des spaghetti bolognaise après avoir haché menu un peu de céleri. Son mari s’évanouit de plaisir en goûtant la sauce (en boite) ;
  • Les gens les plus simples sont des génies informaticiens, et peuvent hacker sans problème le site de la nasa s’il le faut… Il faut quand même préciser qu’en général ils ont des lunettes et un peu d’acné, mais ils sont très utiles et héroïques dans l’histoire ;
  • Dans les petites villes les plus reculées on trouve un célibataire moulé au fitness qui n’attend que l’arrivée de l’héroïne arrivant de New York et qu’il séduira à coups de couchers de soleil et de yodeling dans la paille… Oy la la you houuuuuuu !
  • Les femmes ont plus d’extensions que de vrais cheveux, et les hommes ont les sourcils épilés ainsi que le torse, souvent… Les poils font désordre, c’est ainsi que je le comprends…

Bref… On continue de s’instruire, non ?

Bon confinement, tant que nous ne confinons pas à la folie tout ira bien…

Un écrin de mystère

Il y a plusieurs années, un homme m’a offert une bague. Oh, rien du genre « prends ô Bien Aimée cet anneau en gage de mon amour », non. C’était plus « Pfffff, une vieillerie oubliée dans le tiroir de ma grand-mère… tu la veux ? ». C’était une bague en or, ou supposée l’être, avec un diamant au centre et un saphir de chaque côté. Un de ces deux saphirs avait d’ailleurs pris la fuite. Ça trainait dans un joli petit écrin à incrustations de nacre, au fond d’un tiroir avec des chapelets, des cubes de bouillon oubliés et lyophilisés, des tickets de bus et d’autres choses abandonnées là pour le cas où elles pourraient servir dans l’éventualité où on les aurait cherchées et découvertes.

Puis récemment je l’ai retrouvée. Je ne l’avais jamais portée. Et je me suis dit Ma foi, ce petit bijou n’est pas si mal, je vais y faire sertir un nouveau saphir et me réjouir des rayons du soleil faisant étinceler les pierres sur mes vieux doigts. À la bijouterie, surprise. Les pierres sont en toc garanti, du toc vintage assez ancien (ce qui ne lui donne pas plus de valeur, que du contraire…). Par contre, autre surprise, la bague est du joli travail, du bel or, du beau tout. Étrange, du toc sur du beau. Je n’ai fait ni une ni deux, c’est un saphir en toc qui est venu compléter le joyau.

Mais le mystère devient passionnant car alors que je parlais à un ami de cet anneau, il a sursauté. La douce mère-grand à qui il appartenait – et que cet ami a connue dans son enfance – avait été la pétulante maîtresse d’un voleur notoire, qui dépouillait les dames de leurs tiares, colliers, boucles d’oreilles, bracelets, bagues, et anneaux de nez si quelque originale allait jusque-là. En 1920, je doute. Mais cette histoire est si rocambolesque que pourquoi pas ? Bref, il semblerait alors qu’il ait offert à sa belle l’anneau mais en ait vendu les pierres. Un livre sur la vie exaltante de cet Arsène Lupin lointain révèle que son butin était caché chez Mère-grand, qui n’a jamais dit où.

Après avoir mis au monde une fillette au caractère trop bien trempé pour la qualifier de gentille petiote, elle s’est mariée à un aimable amoureux qui a reconnu le fruit de ces amours torrides comme étant le sien. Mais quand le couple se disputait, l’aimable amoureux savait faire taire la femme de sa vie en la menaçant d’un Si tu continues, je vais chercher le livre. Le livre mentionné plus haut et qui racontait par le menu la vie édifiante du voleur de bijoux et de sa passionnée compagne.

Et c’est ainsi que je possède une bague volée à une gente dame ou une bégum locale puis offerte à une sacrée coquine, déshabillée de diams et saphirs pour être parée de pacotille, et que l’on m’a offerte plutôt que de la balancer avec le chapelet et les cubes Knorr séchés…

Caballeros en balade…

Cette photo-carte postale a été envoyée à mes arrière-grands-parents en 1915, d’Argentine. Toute une époque, tout un monde…

L’élégance, oui. Inutile de dire qu’ils ne fichaient rien et que tout le boulot était abattu par leurs femmes, d’autant qu’ici ce sont de bons bourgeois qui ont nanti leurs épouses d’une flopée de demoiselles de tous âges et tous calibres, dévouées aux travaux ménagers et parfois aussi aux plaisirs défendus. Ils se trouvent bien mis, dignes d’une photo souvenir. Ils doivent sentir bon. Ont les joues douces, la moustache pomponnée, le sourcil impérieux. Malgré leur vie de rusés patachons, ils ne sont pas gros. Ils sont des hommes d’affaires, liés certainement au commerce de la laine qui était celui de mes aïeux. Au centre, le look différent dénonce le Belge. Il a une canne, pas de moustache et l’expression tranquille de qui a dépassé le stade du dépaysement depuis un bail. Il est devenu, plus tard, le parrain de mon père. Monsieur Jung. J’ai une photo de sa belle-fille, une souriante Argentine nommée Olga, et d’autres où un de ses fils, Carlito, en visite en Belgique chez mes grands-parents, faisait tomber les meilleures résolutions des jeunes filles avec son aspect sud-Américain. Or il était 100% pur Belge, mais le pouvoir de la gomina et de l’accent espagnol est imprévisible. Mon Papounet, plus jeune, en était très impressionné et a dû en tirer quelques leçons de baratin et sourires confiants.

Mirez-moi donc les chaussures cirées ! Les costumes de tous les jours, portés un peu chiffonnés avec style, on  sent qu’ils n’en font pas tout un plat, ils seront allés à l’hippodrome Palermo ou juste faire une promenade et boire un maté quelque part…

Ils ont parlé affaires, de l’arrivée du paquebot Gelria attendu la semaine suivante, avec un acheteur de laine, ou une fiancée que l’on espère à coups de pensées érotiques. Ah ! Ses cheveux qu’elle frictionne à l’eau de Cologne, ah ces chevilles un peu épaisses qui annoncent les mollets musclés et les cuisses tièdes mais prudentes. De la revue française que l’on peut voir en ce moment au théâtre, et d’un asado auquel ils sont tous conviés avec leurs familles dans un mois.

Ils ont ri des soucis domestiques avec lesquelles leurs épouses se débattent : l’impertinence de Lupita qui, parce qu’elle plait au jeune fils de la maison qui l’honore de ses maladresses, s’imagine qu’elle n’a plus à battre les tapis avec la vieille Felicia. Une épouse qui vit d’une migraine à l’autre depuis des années, dans le noir et dans l’oubli de sa chambre aux volets clos, il paraît qu’elle a grossi mais comment savoir, Don Pascual ne l’a plus approchée depuis … il ne se souvient pas, heureusement que sa maîtresse passionnée, Esmeralda, entretient ses sens et son humeur avec savoir-faire et dévotion. Les perroquets de la véranda qui font un raffut infernal…

Toute une époque, je vous dis !

Merci, mon chien!

Lovely Brunette était une écuyère émérite, que ce soit pour des promenades sur ses chevaux chéris ou… que ce soit parce qu’elle était très à cheval sur les bonnes manières.

Mon frère a fait, pendant un temps, le baisemain à ses amies en visite (qui gloussaient comme de grosses poules de Malines) et moi j’en étais quitte avec la révérence. Non, je ne blague pas, j’en ai l’air ? Heureusement ça n’a pas duré longtemps, en tout cas je ne m’en souviens pas. Ceci dit, je devais aussi faire la révérence aux « chères sœurs » de l’école, que, comme on le sait désormais, je détestais. C’était aussi suave que de faire la génuflexion devant Zeke le loup si j’avais été un des trois petits cochons…

Quand nous allions au cinéma avec Lovely Brunette (chaque semaine et parfois plus, car elle adorait ça !), nous ne manquions jamais, à la sortie, de clamer de deux petites voix trompettantes, Merci Mammy ! Sinon gare aux représailles. Et si par malheur dans notre bavardage passionnant « et quand John Wayne tue le mauvais, tu as vu… ? » nous osions oublier le Mammy, elle nous freinait net dans notre enthousiasme par un « Merci qui ? Merci mon chien ? ». Il y eut bien des moments de taquinerie rebelle où nous risquions un Merci mon chien enjoué, mais il ne fallait pas abuser de cet excellent mot d’esprit…

Nos manières de table étaient dignes du palais (lequel, vous choisissez…). On s’essuyait les lèvres avant de boire pour ne pas laisser des demi-lunes grasses sur le verre, on utilisait nos serviettes avec raffinement – et on les roulait dans le rond à serviette en fin de repas -, on utilisait nos couverts au complet (on avait commencé par « le pousse-manger »…), on ne parlait pas à table (et si ça nous échappait, on nous envoyait manger dans le vestibule ou dans le poulailler si le temps le permettait), on n’aurait pas rêvé de s’en aller ou même de s’agiter avant que le repas soit tout à fait terminé.

On remerciait toujours des cadeaux reçus, même si on n’aimait pas (je me souviens que ma marraine m’avait offert des bonbons au rhum, or je détestais le simple mot « rhum », et son goût et son odeur…), et on portait les affreux pulls faits main offerts par des tantes quand on allait les voir, pour ne pas leur faire de peine et les inciter à en tricoter d’autres pour les années à venir.

On saluait tout qui entrait dans la maison, que ce soit le livreur de charbon, de petits bois, d’eau et bière, un monsieur chic ou un colporteur, ce qui fait que j’allais carrément embrasser le facteur tous les matins et l’appelais « mon petit amour ». J’avais un certain enthousiasme … et aimais recevoir des lettres !

Ceci dit…

Mon petit frère a un jour rampé à quatre pattes pour se glisser sous la jupe plissée de ma grand-mère afin de voir si elle avait une culotte. Nous avons eu pas mal de plaisir à flanquer nos jouets par la fenêtre du second étage. Nous avons mis des cailloux dans la culotte d’une petite fille que nous surnommions « la petite fille poilue » (et en effet elle avait des jambes de velours, elle se sera ruinée en cire à épiler par la suite…). Nous avons ligoté le fils de la femme d’ouvrage au pommier du jardin et avons dansé autour de lui, ce qui a fait qu’elle n’a plus voulu venir travailler chez des enfants aussi mal élevés, et on ne peut lui donner tort (mais on s’était bien amusés et on avait, comme ça nous fut demandé, joué avec le petit José). J’ai jeté à l’eau les tabourets de traite du fermier, aidée de mon cousin, et ensuite nous avons couru sur les draps mis à sécher dans l’herbe ; c’était très gai aussi, même si notre pauvre tante a poussé des hurlements qui semblaient de détresse, et nous ont donné des ailes aux pieds.

Bref, la bonne éducation n’est rien d’autre que de la discipline, tout à fait indolore mais très utile. Il reste bien de la place pour les inspirations impertinentes…

Cacafougnas en dents de scie

Ces moments exceptionnels, qui nous poussent à les raconter dès que possible, et puis que parfois on oublie pendant des années. Un jour Boum ! il sortent comme des cacafougnas, et nous amusent ou nous indignent une nouvelle fois.

À l’attention de ceux ou celles qui penseraient que le wallon n’offre aucun intérêt, voici la traduction de cacafougna, mot wallon que j’emploie avec entrain et fierté…

Cacafougna: Ancien jouet à ressort qui le plus souvent faisait sortir un diable d’une boite. Qualifie quelqu’un ou quelque chose d’hirsute.

Bref, voici donc les cacafougnas du jour :

Oscar de l’imbécile fier de l’être : Quand je vivais à Turin en 1986, l’ami d’un ami, employé de banque. Le fait d’aller travailler en costume et col blanc (avec cravate griffée, of course) lui tendait le mollet, allongeait sa démarche et sa gambette. Il croyait mesurer 5 cm de plus que ce qu’il avait, et en levant le menton il soupçonnait arriver à en gagner 3 autres. Un guichetier impérial, quoi. Un soir il a tenté d’épater la galerie (nous, le petit groupe d’amis en pizzeria Corso Unione Sovietica…) en relatant, indigné, ce qui suit : une touriste japonaise était venue à son guichet et n’avait vraisemblablement pas remarqué sa stature impressionnante, lui demandant simplement s’il parlait l’anglais. Et notre guichetier couronné de laurier avait secoué sa toge en affirmant que non, il ne parlait QUE l’italien. « Je parle l’anglais, cazzo (pas très poli, je ne traduis pas…), mais elle est en Italie et c’est en italien qu’on parle ici !!! ». Une ouverture d’esprit stupéfiante, un sens du service remarquable, et un homme que l’on rêve d’avoir en face de soi pour une discussion profonde et humaine.

Oscar des gentils poussins : Là, j’étais à Aix-en-Provence, encore toute jeunette et pimpante. J’étais dans ce que j’appelais alors « un restaurant », une gargote bien sympathique avec des tables et chaises de formica et métal, de la vaisselle dépareillée, une mère et sa fille au service table, et une furie aux fourneaux minuscules, la grand-mère qu’on entendait hurler comme Vulcain. Deux jeunes garçons avaient fini leur repas, et faisaient de la musique avec la scie du couteau sur le verre, les cuillers faisaient percussion sur l’assiette, bref ils arrivaient je ne sais comment à produire quelque chose d’assez brésilien, et moi, qui ne les connaissais pas, je me dandinais sur ma chaise en terminant ma bière. Ils ont payé et sont partis, puis un des deux est revenu en courant comme pour la course du lièvre à travers les champs, dans le but très galant de m’embrasser sur la joue pour repartir aussi rapidement. J’y repense souvent.

Oscar de la trop familière : Aux USA, alors qu’on cherchait à acheter une maison, il nous fallait trouver une compagnie qui s’occuperait des démarches de crédit. La personne qui s’occuperait de la vente nous avait trouvé cette « perle ». Sauf que quand j’ai téléphoné à la perle pour compléter des informations, non seulement elle mastiquait du chewing gum (heureusement elle ne faisait pas de bulles cependant le bruit de mastication mouillée me parvenait et me faisait retrousser les babines…), mais elle a eu le toupet de m’appeler Honey. Mais où se permet-on de s’adresser à un client par Honey ??? Avec un bruit baveux, en sus ???? J’ai refusé tout net de faire affaire avec cette malotrue, tout comme j’ai refusé de confier mes chaussures à réparer il y a très longtemps à Bruxelles parce que le cordonnier m’a vue arriver et m’a dit « et pour la petite dame, ce sera… ? ». Il ne l’a pas dit naïvement, ou sans y penser, il a eu cet air condescendant qu’il devait avoir envers toutes les femmes qui devenaient aussitôt des petites dames. Ce fut rien, pour la petite dame qui s’en alla ailleurs avec ses chaussures.

Oscar de la bonne volonté : Vacances en Autriche avec Papounet. On arrive au bord de l’Achensee, où Papounet a loué un chalet pour l’été. Vu l’allure où on circulait, le fait qu’on cherchait quelque chose était évident, et un dévoué habitant du coin nous a fait de grands signes amicaux, suivez-moi, suivez-moi, et on l’a suivi pour se retrouver … dans un camping, où on n’allait pas du tout ! On l’a remercié avec des sourires épanouis, attendu qu’il s’en aille après sa bonne action, et repris nos recherches…

Oscar de la pauvre dame qui n’y comprend rien : J’étais en pension à Bruxelles, rue de la Charité (chez les sœurs de Jésus-Marie, pour ceux qui veulent des preuves de mon éducation catholique). Mais j’étais aussi, depuis une semaine, en proie à des colites et une crise d’appendicite. Je marchais comme Quasimodo qui aurait un tournevis planté dans le ventre, avais perdu 4 kgs, et souffrais le martyre. Voici enfin le vendredi, le jour de mon retour à la maison (je ne savais pas ce que j’avais et pensais avoir mal au ventre…). Je fais ma valise, et me rends à l’arrêt de tram, agonisante, direction la gare. J’enregistre qu’il y a une dame à ma gauche. Puis je me rends compte que je vais m’évanouir car je ne vois plus rien et ai très froid, suis couverte de sueur, je me tourne alors vers la dame (que je ne vois pas…) et lui dis « Je vais m’évanouir, pouvez-vous me conduire rue de la Charité ? ». On remarquera au passage que je suis vraiment très organisée. Le hic c’est que la dame parlait néerlandais, avait compris mais pas trop, d’autant que je devais prononcer comme si j’avais une pierre brûlante en bouche, aussi la malheureuse me demande-t-elle, très embêtée : « à la maternité ? à la maternité ? »… Qu’on se rassure, j’ai survécu comme en témoignent ces lignes.

Oscar de la furie de mauvaise foi : Aux USA. Une opulente dame noire aux airs langoureux se présente dans notre copy-shop afin de commander des cartes de visite en papier glacé rose pour son business. Elle rebondit, assez sensuellement je dois dire, de tous les coins où on peut rebondir, et ma foi, elle en jette. Elle porte ses bourrelets, bonnets F et robe moulante avec un aplomb fascinant qui ne manque pas de charme, et m’envoie des mèches de sa perruque au nez tout en me donnant les indications pour la fameuse carte de visite super pro. Elle veut trois noms dessus, trois amies sans doute. Trois jours (ou plus, ou moins…) après, elle revient chercher ses rectangles roses, et j’imagine que sur ce court laps de temps, elle a eu le temps de se disputer avec une des trois « amies », la menacer de la scalper et de lui trouer le dos avec un pic à glaces, que sais-je, toujours est-il qu’elle a le culot de me demander « mais d’où sortez-vous ce nom-là ? Elle ne travaille plus dans la boite ! ». Ma bouche a dû faire « clac » et certainement mon expression a frôlé l’hébétude momentanée. J’étais soufflée de l’aplomb de la femme d’affaire aux dents longues que j’avais en face de moi, la poitrine bondissant de fureur. Mais je tiens bon, et lui explique calmement que non, je ne lui rends pas ses arrhes, car ce nom honni, je ne l’ai pas rêvé, c’est bien elle qui l’a mentionné. Et là, je me retrouve face à un King Kong femelle ayant absorbé de l’ergot de seigle, et j’ai dû m’accroupir sous le comptoir pour échapper au lancer de tout ce qui se trouvait dessus, album d’invitations de mariages ou de Sweet Sixteen, tampons encreurs, agrafeuse, échantillons de cartes de visite, le tout avec en fond des imprécations sonores et à censurer même dans un film de gangsters et pornographes…

Oscar du chevalier blanc à l’armure étincelante : En Yougoslavie, et j’avais 19 ans. Nous étions tout un groupe, des Italiens pour la plupart, sous une clairière champêtre où on servait du petit vin blanc qu’on boit sous la tonnelle, et des ćevapčići délicieux. Des ramures au-dessus de nous tombaient parfois de grosses chenilles jaunes, et des feuilles. Un trio de paysans jouait de l’accordéon et je ne sais quoi d’autre. Le petit vin blanc coulait trop à flot, et moi je m’amusais si bien que je pensais en être encore et toujours au premier verre, qu’on me remplissait avec empressement. Bref, vint le moment où j’aurais dû aller me poudrer le nez, comme on dit dans les vieux films, mais j’étais bien consciente que jamais je ne pourrais enjamber le banc de notre longue table avec élégance, et encore moins aller sans détours suspects vers la cabine aux mille courages (le genre de lieu qu’on n’oublie jamais : la fosse septique qui empeste, pas de papier, pas de verrou, pas de lunette, pas de lumière et la fête qui bat son plein dehors, zim boum boum). À côté de moi, Adolfo, mon Adolfo, avec qui il n’y avait rien d’autre pour moi que de le suivre comme son ombre dans le but unique d’être près de lui. Il le savait et me tolérait avec mansuétude. Je savais avoir de la chance car il avait un fan club féminin long comme le serpent à plumes. Et j’ai demandé à mon Adolfo s’il voulait bien m’accompagner vers ce lieu pestilentiel, et de veiller que je n’y tombais pas. Et il l’a fait. Et il a aussi fait la garde devant cette horrible guérite, et m’a raccompagnée devant mon assiette de ćevapčići comme si rien n’était arrivé. Il n’en a jamais parlé à personne, et a poussé l’esprit chevaleresque jusqu’à l’oublier ! Pas moi…

Je vais tout gâcher mais tant pis

Une atteinte à l’intelligence et au bon goût, ce n’est rien d’autre. Un lavage de « cerveau » avec du savon à l’arôme de rose (ne parlons pas de vraie rose, non, un arôme synthétique qui pique le nez et les yeux…), une purge en bonne et due forme de tout ce qui pourrait ressembler au romantisme délicat, au sens du bon récit, au charme des choses se déroulant sous un autre rythme lors de ce fameux solstice que l’on viole à coups de sonnailles et feux de cheminées.

Je parle, bien entendu, de ces pénibles téléfilms de Noël où on nous fait la leçon en nous demandant de tomber non pas en enfance mais en imbécilité. Pour certains il est vrai qu’ils y retombent sans cesse, voire qu’ils n’en sont jamais sortis…

On a toujours la brillante femme d’affaires, envoyée par Belzébuth and Co qui vient pour avoir à bas prix la peau d’un charmant petit village – Dummies Heights – que la wifi n’atteint pas, et séduit on ne sait comment le seul célibataire encore en âge de procréer, au torse en tablette de chocolat, riche et sentant bon la cannelle, revenu aux valeurs essentielles de la vie en se goinfrant de gingerbread et jingle bells, et qui fait définitivement sa conquête en aidant Evelyn, la vache, à véler malgré la tempête de neige ; ou c’est la jeune femme ayant quitté dix ans plus tôt le lieu de son enfance, havre de paix, pour les fastes et tueries de la grande ville qui revient au chevet d’une tante malade à Hollow Hollow et y retrouve, parmi les sapins de Noël, boules, cup cakes et rouleaux à pâtisiserie, son amour de jeunesse – lié, pour mettre un peu de piment, à la garce locale qui ne se laisse pas faire sans un âpre combat – devenu athlétique et très séduisant quand il mordille un brin de paille ou croque dans un des célèbres gâteaux mauves et roses de sa tante Pixie.

La leçon est évidente : l’argent ne fait pas le bonheur. Bien mal acquis ne profite jamais. Rien de tel qu’un amour et une chaumière. Ce qui compte se trouve dans l’amour des siens.  Et le sapin, et l’eggnog, et les enfants qui chantent faux, et le gingerbread et le café de tante Pixie.

Je ne critique pas le message, mais la manière dont il est asséné. On en aurait la nausée. Et si on faisait « A Christmas in the country, le retour » ?

Ayant perdu son job prestigieux après être tombée amoureuse de la petite ville peinturlurée sous la neige et de son célibataire aux biscottos, la jeune Reneé (oui je sais… mais ça existe, Reneé !) est enfin devenue l’épouse du vétérinaire local, Bertie Biscottos, toujours impeccablement coiffé et musclé. Ses amies sont venues au mariage et personne n’a compris ce qu’elles disaient avec leur accent New Yorkais, elles ont donc fait tapisserie, et c’est assez bien comme ça car en dehors de Bertie, l’âge moyen des cavaliers variait entre 50 ans très usés par le grand air et 80 et quelques… Peu après la St Valentin, Bertie est redevenu ce qu’il était avant le chaos romantique de Noël : un vieux garçon coquet sentant la cannelle et le lifeboy, n’aimant que la tarte aux potirons et noix de maman, que Reneé n’est pas fichue de faire car elle refuse de pétrir la pâte avec ses ongles vernis (elle se fait envoyer le verni par sa very best friend Barbie, qui lui donne ainsi des nouvelles de Ken, son ex, lequel a eu une promotion et occupe un bureau au 15è étage avec vue sur l’Hudson…). Love Bundle, le veau, se promène partout avec un noeud de satin rose autour du cou et Reneé a protesté : Evelyn n’a pas de manières et crotte sur son petiot quand il tête, elle en a assez de laver et repasser le ruban nauséabond. Elle a pris goût au vin chaud qui lui fait oublier ses sous-vêtements de soldat dans la campagne de Russie et s’est habituée à rouler en pick-up truck pour se rendre à la ville voisine (5000 habitants, une métropole en comparaison de Dummies Heights) pour, en grimpant sur le réservoir d’eau près du terrain de foot, capter le réseau s’il n’y a pas de vent. Elle s’est abonnée à « Grandma kitchen’s secrets » et « Christian crosswords », et au catalogue de ventes par correspondance What the heck !

Et là… je n’en suis qu’à trois mois de vie de l’amour né sous les auspices de Noël de Reneé et Bertie.

Par ailleurs, les choses ne sont pas plus riantes pour Mary-Jane à Hollow Hollow. Elle aussi s’est mariée avec Ron, son amour d’enfance, et une des demoiselles d’honneur a été violée par le maire juste après l’échange des alliances, ce qui a fait qu’elle n’a pu rendre sa robe de location, déchirée. Elle collectionne les maux dentaires qui ont vite suivi les nombreuses parties de marshmallows cramés au feu de bois dans la cheminée si rustique. Le dentiste ne vient à Hollow Hollow qu’une fois par mois s’il ne neige pas. Ron l’aime et la respecte trop pour oser la profaner et connaître bibliquement, mais le hic est qu’elle doit dès lors confesser des pensées très impures au pasteur qui bave de plus en plus. Mais lors d’un jour à marquer d’une punaise, alors qu’elle suivait Ron (en bottes crottées et foulard anti blizzard noué sous le menton) pour découvrir sa réserve à brins de paille au cœur de l’hiver, elle l’a surpris grimpant dans le fenil pour s’y ébattre avec la garce locale qu’ainsi elle a pu observer jusqu’à constater que la garce est un gars. S’en ouvrant en pleurs à Tante Pixie, qui lui a aimablement servi une tasse de café et un gingerbread, elle s’est entendu répondre que son devoir d’épouse était de chrétiennement soutenir son mari et de ne pas lui retirer son amour. De remercier Dieu et tous ses anges d’être dispensée du devoir conjugal et de porter des enfants, tâches oh combien fatigantes et ingrates. Sur ce, la tante Pixie l’a encouragée à s’exercer à faire de jolis dessins avec le glaçage des gingerbreads à côté d’elle, lui offrant pour la distraire, de l’inscrire à la chorale de la paroisse.

J’ai tout saboté, vraiment ?

J’en suis ravie.

Wake up, people !

J’ai des filles à vendre, des brunes et des blondes….

Il y a quelques années, avec ma cousine Chonchon nous avons – comme maintes et maintes fois ! – reparlé du temps où nous étions des vaches en robe du soir. Nous sommes issues d’une époque charnière, où les traditions en place depuis bien longtemps refusaient de se taire. Peu après notre prime jeunesse, mai ’68 ferait son travail de révolution, mais nous étions encore soumises aux rituels que nos mères – nous le disaient-elles assez – n’avaient pas toujours eu le bonheur de connaître car leurs 20 ans avaient été marqués par la guerre. Mais nous, nous… ! Nous avions le bonheur de vivre nos 18 ans en temps de paix et de prospérité, et on pouvait nous mettre à l’étalage en grande pompe. Avec projecteurs, musique d’ambiance et tout…

Pour Chonchon et moi, c’était l’horreur.

Il faut dire que, élevées uniquement par nos mères et sans trop d’argent superflu, nous n’avions pas la joyeuse superficialité de tant d’autres jeunes filles dont on entendait les rires et coquetteries aux soirées. Je revois encore cette gentille peste qui racontait d’un ton pointu qu’alors qu’elle reprochait à sa couturière de lui faire des robes trop courtes, l’intrépide femme d’aiguille lui avait répondu qu’avec des genoux comme ça, mademoiselle Machin, ce serait vraiment dommage de les cacher...

Et nos mères avaient pour nous des ambitions qui nous donnaient la chair de poule. Et nous faisaient bâiller d’ennui.

On a donc organisé chez moi une soirée pour « mon entrée dans le monde »…  ce qui signifie que j’étais officiellement sur la liste des jeunes filles épousables dans un rayon de 15 kms. Je me devais de rassembler un bel échantillonnage de filles à marier pour les jeunes gens en âge de se déclarer et de s’engager à jamais. Les mères s’échangeaient des listes. Rusaient. Une telle serait invitée même si on savait qu’elle n’acceptait jamais, mais elle serait obligée de rendre la pareille (obligée ou pas, celle à qui je pense ne l’a pas fait mais ça m’arrangeait très bien) ; un tel était pauvre mais faisait danser les tapisseries donc le malheureux virevoltait avec toutes les moches de soirée en soirée ; un autre tel était un excellent parti et s’il acceptait de venir, il serait lui-aussi obligé de me ré-inviter quelque part (il l’a fait… à une soirée payante. Beau parti radin, merci bien !) … On se retrouvait donc ayant convié les gens de la liste, sans les connaître pour la plupart.

On nous a alors envoyées chez la couturière, chez le coiffeur, on nous a donné des sueurs froides pires qu’au matin d’un examen oral dont notre vie aurait dépendu. On nous a dit de ne pas rire en étalant toutes nos dents (six suffiraient, huit au plus), de ne pas dire de sottises, de danser avec retenue et pas deux fois avec le même cavalier. Ciel ! Oui, presque Ciel mon mari ! car il se cacherait peut-être parmi les invités. Deux de mes cousins m’ont martyrisée dans le salon pour m’apprendre le rock, mais l’un d’eux semblait vouloir me préparer pour le cirque du soleil en m’envoyant par la fenêtre après un passage autour du lustre.

Et puis la soirée eut lieu, celle de ma montée sur le podium des jeunes filles prêtes à l’emploi, les vaches en robe du soir. Et je ne m’en souviens absolument pas. Ou si peu. Les jeunes gens devaient être aussi pétrifiés que nous. Leurs mères avaient dû les mettre en garde contre les accapareuses, les danses trop serrées, les mains moites et les ravages de l’alcool. Il y avait un beau garçon – Daniel – qui m’avait invitée, et ré-invitée et que par instinct je ne supportais pas. Il avait une voiture d’occasion qui avait reçu une balle perdue je ne sais comment, et un de mes cousins insistait : ne voulais-je vraiment pas voir le trou de balle de Daniel ? Sorry pour ma mémoire sélective… Il y a eu un prétentieux jeune homme qui m’a dit qu’il ne savait pas qui organisait la soirée et s’en fichait car lui… il n’était pas invité. Le petit pédant de service qui, sachant que j’étais « en Arts déco » me faisait passer un examen oral des plus fascinants en s’étonnant avec une stupeur choquée quand je ne savais de quel artiste il parlait (un raseur de 18 ans… il a dû en casser des pieds, celui-là, depuis!) Il y avait l’habituelle fille qui riait trop fort et voulait tous les garçons autour d’elle, ce qui semblait très bien fonctionner. Les dames autour d’un verre de sherry qui surveillaient que les bonnes mœurs restaient d’actualité et prenaient note de téléphoner le lendemain à ma mère pour lui dire que tel jeune homme n’était pas recommandable et que telle jeune fille faisait « déclassée »…

Il y  a aussi eu le fait que je m’ennuyais tant que je suis allée dans la cuisine pour laver les verres avec la femme de ménage…

Je suis restée sur le podium pendant quelques mois, allant vaillamment danser avec des garçons dont le charme me plongeait dans une torpeur proche de l’ébahissement. Je n’avais en général pas trop de succès – à ma grande satisfaction – dès que je parlais, car j’ai appris par la suite que mes conversations dérangeaient… Oui! J’ai osé dire à un de ces candidats à la parfaite vie de couple que j’avais lu Psychose et la bouche offusquée il s’en est plaint à ma tante.

Elle n’a pas des conversations de son âge… Je ne sais toujours pas s’il me trouvait trop osée ou retardée… Ou s’il a cru que Norman Bates était mon oncle, voire mon amant???