Et si on en parlait, des femmes exemplaires ? Celles qui vivent une vie de sacrifice avec ce sourire tremblotant, le cou rentré et une criante invisibilité. Qui ont un mari qui, elles le laissent deviner sans trop de mots, est aussi lourd à porter qu’une croix en béton armé mais se retranchent dans un « loyal » mais non, c’est pas si terrible tu sais… j’ai l’habitude quand on compatit. Car elles sont … soumises, acceptent la dure et injuste loi de l’homme sous laquelle leur mère, déjà, a courbé l’échine. Ces femmes sans révolte que l’on félicite pour leur courage, leur soumission et discrétion, dont on loue les incontestables talents de maîtresse de maison. Des modèles à mettre en vitrine au magasin de l’épouse parfaite.
Je ne parle pas des malheureuses qui ont épousé un vrai monstre. Qui de toute façon devraient partir, mais les liens psychologiques sont souvent bien noués jusque dans les tissus de la chair. Ou un vrai égoïste, et qui devraient partir aussi.
Non, je parle de ces tièdes et indécises qui se sont mariées parce que la vie est comme le Monopoly : la case mariage est la case obligée. Et elles adorent faire comme tout le monde. Juste un peu mieux, même. Et soumises, elles ne le sont qu’en apparence. Car ce n’est pas l’homme qu’elles épousent, c’est le mariage. Telles le lierre ou le liseron elles s’enroulent en silence avec cet air humble et inoffensif, et serrent la prise toujours d’avantage. Comme les mantes religieuses elles arrachent la tête du géniteur quand elles ont eu leurs enfants. Les migraines et les dures journées ont raison de la complicité des draps, la tendresse déserte le lit et les belles cérémonies de la chair, et se déplace dans la tarte du dimanche et les plats en sauce, les pilules à prendre que l’on dépose près du verre. Me voici infirmière et cuisinière, je ne sers qu’à ça.
Les petits mots d’amour un peu idiots ne sont plus ressortis que machinalement quand on veut obtenir quelque chose plus vite.
Et le mari, que l’on accuse de plus en plus ouvertement de ne penser qu’à ça comme s’il était un gamin qui veut jouer avec son train électrique au lieu de faire ses devoirs s’efforce de ne plus y penser, se dit avec courage que c’est la vie. Il fuit peu à peu, se saoule de travail – ou se saoule tout court – pour ne pas se demander où ont fini les enthousiasmes d’autrefois, et se voit alors reprocher de ne jamais être là, de ne penser qu’à lui. D’année en année c’est consentant qu’il endosse l’habit du mauvais, de l’éternel absent, du rustre égoïste. Et qu’il a honte d’être un aussi piètre père et mari. Lui qui a une femme exemplaire qui en plus … ne va pas même voir ailleurs. Il ignore qu’ailleurs signifie pour elle aussi dans d’autres draps et qu’elle a eu assez de mal à se libérer de ceux-ci pour vouloir tout recommencer.
Tout le monde le lui dit… il ne sait pas la chance qu’il a de manger à la table d’un roi tous les jours dans une maison dont la poussière ne connaît pas le chemin. Oh qu’il se sent mesquin de cet étrange vide dans son coeur qui a durci sa voix et son regard…
Elle a pris les commandes en douceur, nantie d’un instinct infaillible. Il y a toujours le prétexte de la famille qu’il ne faut pas décevoir, de sa santé qui n’est pas brillante pour l’instant, de ce petit plaisir qu’on peut bien lui faire pour une fois. Jusqu’au jour où il n’y a plus rien à céder parce que la femme soumise a tout en main sans que l’époux, cet ingrat dont on la plaint, ait rien vu venir. On invite les amis qu’elle veut quand elle veut, on fait les vacances qu’elle veut, et le carrousel de ses routines à elle emporte le manège. Les oui chéri ont cédé la place à comme tu voudras, remplacés peu à peu par d’adroits on doit toujours faire comme tu veux et pour une fois, pourrais-tu me faire plaisir ?
Et comme amour et loyauté, elle lègue de lui à ses enfants l’image d’un égoïste, d’un emmerdeur, d’un dominateur, d’un jamais-content-jamais-là qui la laisse seule avec les enfants. On chuchote quand il arrive, on glousse. On le craint et ne le respecte pas.
En silence, elle a tué le bonheur dans leur mariage. Et gardé le mariage.
Ne le disait-on pas assez…: méfiez-vous des eaux dormantes!
Bien entendu, on me dira que maintenant ce n’est plus comme ça, puisqu’on est bien plus libres de se marier ou pas, et que l’autonomie de la femme l’a libérée du « devoir rester ». C’est sans compter sur la nature humaine qui veut que les parasites cherchent des organismes nourriciers, que les créatures peu sociables se servent des capacités charismatiques de qui pourra leur apporter le « cercle d’amis » des gens comme tout le monde. C’est oublier que le piège à la grossesse-surprise est toujours à la mode, et c’est surtout oublier qu’à deux salaires et un loyer on vit mieux qu’à un.