La richesse des vieux

Mon papounet, à 91 ans, avait 91 ans ou presque de souvenirs. Lui seul pouvait me donner un timide écho de qui fut son grand-père maternel, Henri, qui adorait écouter Les pêcheurs de perles, achetait des tableaux et sculptures des grands artistes de son temps, fit enseigner le piano à sa fille. Lui seul connassait encore les mauvais tours joués par mon arrière-grand-oncle Charles, cet élégant peintre-dandy aux cheveux roux qui avait épousé une jolie et célèbre violoniste. Mon père était le lien vivant entre ces gens – qu’il avait connus – et moi. Il avait entendu leurs voix, mangé avec eux, connu les dernières danses de charleston et les traversées de l’océan où on emportait du bétail à bord.

Ma mère, elle, elle se souvenait que jeune fille elle n’avait jamais osé dire à sa mère qu’elle avait – enfin ! – besoin d’un soutien-gorge car… on ne parlait pas de ces choses-là ! Elle en avait donc cousu un dans le secret de sa chambre. Je ne veux pas savoir à quoi il ressemblait, quoique ce serait comique malgré tout. Elle était dans un pensionnat où elle devait prendre son bain revêtue d’une longue tunique… elle ne pouvait pas découvrir à quoi elle ressemblait car Dieu qui pourtant nous a créés à Son image et ressemblance devait trouver que c’était trop choquant à voir. Elle avait rencontré Maurice Chevalier qu’elle avait conduit quelque part dans sa petite calèche, un jour qu’il était de passage à Verviers. Elle avait des lettres de Jean Marais… elle savait que sa grand-mère Justine adorait chanter des cramignons liégeois en wallon avec ses soeurs, et qu’elles se déchainaient toutes au piano en roucoulant « les mains des femmes sont des bijoux » quand les maris n’étaient pas là.

Ma vieille tante Louise est morte à 104 ans, et j’ai encore ses vœux de Noël écrits à 101 ans où elle s’excuse de ne plus écrire droit mais m’explique que le Bon Dieu ne veut pas encore la reprendre…

Sans ces joyeux témoignages, nous ne verrions dans nos photos d’ancêtres que de vieilles dames peu souriantes et de vieux messieurs austères aussi peu souriants, parce que les dents d’alors et les dents d’aujourd’hui, ce n’est pas pareil, et on n’allait pas trop jouer sur le réalisme. Du sérieux, de beaux habits, un air paisible, c’était ce qu’on voulait offrir comme image. Que l’on ait aimé les femmes ou les hommes à la folie, raconté des blagues inoubliables, fait des chutes dans l’escalier chez les machin-chose… sans les souvenirs coquins de nos vieux parents et grands-parents… ça aurait disparu.

Comment pouvons-nous nous passer des vieux, de leurs mémoires lointaines qui sont le pont entre nous et un passé que nous ne concevons pas s’ils ne nous le font pas toucher du doigt ? Comment notre société se retrouve-t-elle à les parquer tous ensemble, entre vieux, dans un environnement où leur statut est… vieux. Pas monsieur untel ou madame untel, pas cette ancienne ravissante modèle d’un peintre ou ce talentueux mime, cet ouvrier si consciencieux, cette enseignante à la pétulance inoubliable, cet ancien flirteur invétéré… non : vieux.

J’ai lu avec délectation dans ma jeunesse la série des Jalna de Mazo de la Roche. Si je me souviens bien l’héroïne de départ était une certaine Adeline, personnage un peu semblable à l’insupportable Scarlett O’Hara, à laquelle on s’attachait tant que j’étais ravie qu’on la garde dans le manoir toute sa vie, même quand elle devient vieille et puis très vieille. On en profite encore. On la garde. Elle continue d’exister, de faire partie du monde et de sa famille. Elle a encore son mot à dire. Et le dit, si mes souvenirs sont bons. Elle vieillit sous le regard quotidien de sa descendance. Si elle tremble un peu en mangeant et radote, c’est sans y prendre garde qu’on s’y est habitués, et les petits-enfants et arrière-petits-enfants n’y trouvent rien de bien étrange. Bonne maman tremble. Bon papa ne se souvient pas de ce qu’on lui dit et s’endort après son verre de vin.

Bien sûr, la plupart d’entre nous n’ont pas de manoirs, et rarement des maisons assez grandes pour toujours avoir la place pour ce vieux ou vieille que nous aimons encore. Et parfois cet être aimé n’est plus vraiment lui-même, ou a besoin de beaucoup de soins. Mais … où sont passés les vieux d’antan et leurs contes aux enfants, leur amour patient et réconfortant, leur sentiment de préparer la jeune génération et de lui donner leur passé ? Et la patience et l’amour qu’on avait à les voir se diluer, moins voir, moins entendre, moins marcher, et perdre de la précision, sans en être effrayés au point de les fuir comme s’ils étaient malades, comme si l’âge était une maladie et en aucune façon… une richesse incroyable à partager pour pas mal d’entre eux encore…

On nous vole nos vieux et nos racines….

Et ce n’est pas seulement pour le passage de mémoires, oh non ! Mon père ce frêle vieillard, je me souviens encore de quand il me prenait dans ses bras pour danser le tango. J’avais trois ans et il me soulevait comme si j’étais un chaton. Assise sur son avant-bras, tendrement cheek-to-cheek, je vivais mon premier amour avec un homme. Comment aurais-je pu, alors qu’il s’appuyait bien plus tard sur mon bras lorsque nous sortions, ne plus le voir que comme… un vieux ? Sans lui et ses lectures destinées à m’endormir, je ne saurais sans doute rien du « Vagabond des étoiles » de Jack London ou de l’Iliade et l’Odyssée. Or… il s’agit sans doute des deux écrits qui m’ont le plus influencée.

Sans lui, qui passait de plus en plus de temps dans une grande salle de cinéma privée où il se projetait le film de sa jeunesse et m’en faisait voir des extraits, je ne pourrais rien savoir de la personnalité quotidienne de ses parents à lui, et ce sapin dans lequel il grimpait jusqu’en haut ne serait qu’un vieux sapin comme un autre. Et je serais un maillon isolé, perdu, sans passé ni avenir.

Ces très vieux d’aujourd’hui sont aussi ces jeunes d’hier. Eux seuls peuvent nous expliquer ce qu’étaient ces randonnées en temps de guerre, où on emportait ses tartines et sa bonne humeur pour … être heureux, en dépit de tout!

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Si tu m’aimes, ris avec moi…

Une chambre a New-York-Edwad Hopper-1932

Une chambre a New-York-Edwad Hopper-1932

Il ou elle ne sourit qu’en demi-teintes, avec une nuance d’indifférence, ou d’exaspération, ou de patiente condescendance… Il ou elle ne comprend pas la joie des autres, s’en distancie avec soin, a mis au point, pour s’en expliquer, l’idée que c’est futile, bête, enfantillages, manque de maturité, sottise, inutiles illusions…

L’appétit de vie ne l’a jamais touché (e)… il/elle vit un jour à la fois sans rien en espérer sinon qu’il passe sans faire mal. Sans cris, lueurs, sottises, passions, imprévus ou prévus…

Il ou elle est un conjoint que l’on se tue à espérer rendre heureux (se). Cent fois on s’est interrogé (e) : mais où donc se trouve sa porte du bonheur ?

Quand on s’est impatienté (e), on se le reproche : ce n’est pas sa faute. On a cherché mille raisons à cette tiédeur dans le grand art de vivre : une enfance comme ci, des parents comme ça, une (més) aventure mal vécue, pas de fratrie, trop de fratrie, une maîtresse d’école tyrannique ou un curé trop insidieux…

Et on est perdu (e), seul (e), dans un labyrinthe aux sons étouffés dans la pénombre. On a besoin, tellement besoin, d’être celui ou celle qui apporte un sourire dansant jusqu’aux yeux en s’apercevant au loin dans la foule, celui ou celle qui possède l’étreinte qui conforte et accueille. D’avoir la voix qui réjouit, la démarche que l’on guette  de loin… On est affamé (e) d’exister aux yeux ravis de l’autre, d’être aimé (e) de son cœur qui s’attendrit chaudement à notre pensée. On se languit de partager des sourires et des regards qui disent « on est bien ensemble, non ? ».

Mais on est abandonné (e), ignoré (e), délaissé (e). Seul (e). Invisiblement seul (e).

C’est une violence sans bruit, de celles qui font du mariage une voie sans issue et sans but…

Quittés, quitteurs, trompés et trompeurs : même combat

Moi, on ne m’a jamais quitté/e… Ah bon ? Est-ce un tel privilège, et ensuite… est-ce si vrai que ça ? Car on peut quitter quelqu’un sans partir. On ne s’y intéresse plus, on se replie dans l’amertume ou on s’épanouit dans « sa vie » dont on ne sort que pour les apparences rassurantes. Ils sont toujours mariés. Ils sont toujours ensemble. Hum. Si mariés signifie unis par papiers, dettes, enfants et frousses diverses, en effet.

Au départ il y eut l’amour. Vrai, imité, imaginé, profond, juste assez pour harponner, ça va venir avec le temps, si c’est pas maintenant il sera trop tard et ça deviendra plus difficile, c’est la même loterie pour tous, ça durera ce que ça durera mais entretemps il y aura les enfants, le ciment bien connu. Etc…

Mariages groupés

Et tant de choses se passent pendant ce départ dans la vie et le mariage que bien malins ceux qui y voient clair. Tout en devenant un couple, on prend aussi la barre de sa nef de vie  – remplie d’échéances, de plan de carrière, d’un fils deux filles ou deux fils, de choses qu’on veut faire, de lieux qu’on veut voir. Tout va si vite et si fort que puisqu’on est là tous les deux et qu’on aime aller au cinéma le soir, inviter les couples d’amis qui ont des enfants jouant ensemble, choisir les destinations de rêve pour les vacances… on n’a pas le recul pour comprendre si les maux de tête permanents, la boulimie du travail, les insomnies, le changement de poids, d’humeur etc… sont dus à un héritage génétique indécent ou… à la nébuleuse conscience d’avoir fait, un jour, fausse route et de vouloir la quitter. Ou la rectifier.

Alors, que l’on trompe ou soit trompé, que l’on quitte ou soit quitté, le fait est qu’on n’est pas mal tout seul dans son mariage, il faut être deux pour être heureux ou malheureux. Et il appartient à chacun de faire face, à chaque couple d’accepter le signal, et de faire de nouveaux plans. Adaptation, changements, séparation – provisoire ou décisive –, concessions… Le mariage peut survivre et même « live happily ever after » si amour un jour il y eut, et que seules des erreurs d’aiguillage ont été faites.

La seule mauvaise formule est la geôle fermée d’une porte qui dit « Tu m’appartiens ». Elle est la preuve qu’amour il n’y eut jamais.

Faire reluire ses ors…

Ma mère me réquisitionnait pour nettoyer l’argenterie. Il est temps, on dirait de l’or, insistait-elle, amusée, car ce n’est pas que c’était une corvée mais plutôt qu’on la remettait à demain et demain et encore le demain de demain. Sur ce temps, effectivement, l’argenterie luisait de tout son or un peu partout.

On s’installait à la table de cuisine, qu’on recouvrait de papier journal. Puis on sortait du petit placard au fouillis une vieille boîte à biscuits en métal, décorée d’un sujet pastoral tout griffé et noirci par endroits – la bergère était une souillon et le pâtre sortait sans doute de la mare. Elle contenait les chiffons et les flacons de produit pour l’argenterie, une brosse à dents aux poils écartés et noircis, et des gants de caoutchouc.

Puis on allait rassembler notre devoir du jour : le service à café art déco, le miroir écossais, les plateaux, les ronds de serviette, la bonbonnière, la  boîte à biscuits d’apéritif, la casserole en Vallauris cerclée d’argent, les couverts, des couvercles perforés de vases, quelques objets éparpillés dans la maison. On en avait pour l’après-midi, et au fond… c’était une tâche que nous adorions, puisqu’elle nous occupait les mains en nous laissant l’esprit délicieusement libre, et nous bavardions. De tout.

Nous étions d’avides bibliophiles et cinéphiles. Ça nous permettait de ne jamais être à court de sujets, d’autant que ma mère n’a jamais eu de thèmes tabous. Pas pratiquante puisque dangereuse pécheresse reconnue par le Guide de la charité chrétienne de A à Z, elle se moquait volontiers des culs bénis mais pas de la foi ou de la religion. Réservée, elle riait sous cape et me suppliait de ne dire à personne que nous avions lu toute les deux « L’amant d’ébène », un livre acheté au supermarché, au thème peu rigoureux mais d’une écriture finalement assez châtiée (les scènes torrides se concluaient sur il la prit dans ses bras et lui arracha un cri rauque de plaisir). Nous compatissions en parlant cinéma à l’idée que les actrices devaient embrasser les acteurs sur la bouche, et pensions que ça devait être dégoûtant comme travail. Nous ne pensions pas aux acteurs qui devaient embrasser les actrices à la bouche pâteuse de rouge, et il est probable que nous allions jusqu’à imaginer qu’ils devenaient acteurs rien que pour embrasser des « tas de femmes ». Après tout, le petit voisin, fils du docteur, annonçait ravi qu’il allait devenir docteur pour voir des pètes de femmes… une vocation qui prenait ainsi tout son sens.

Nous remontions dans nos souvenirs par des est-ce que tu te rappelles de film allemand avec une jeune fille qui avait la leucémie et guérissait lorsque l’homme qu’elle aimait depuis toute petite l’épousait ? Oooooh oui ! Et puis elle mourrait de leucémie quelques années plus tard parce qu’elle croyait qu’il la trompait… ooooh c’était triste ! Et on enchainait sur les comédies musicales allemandes qu’on allait voir, avec d’interminables scènes de jodle dans des vallées émeraudes parcourues par des vaches enclochées, des nymphes en dirndls et princes charmants en culottes de cuir. De là on partait sur ma tante Yvonne qui adorait venir voir ces films avec nous, ce qu’on préférait aux films bibliques auxquels elle nous avait aussi invités : tante Yvonne et son mari étaient absolument anticléricaux et on avait espéré que ça nous aurait sauvés de Ben-Hur et Le roi des rois, mais pas du tout. Nous détestions la Bible revue et corrigée par Hollywood. Et ça avait valu un rituel bien agaçant pour ma mère : mon frère et moi nous délections à répondre, lorsqu’elle nous disait, impatiente, met- ça là je te dis, « oui Ben Hur ». Nous ne rations pas une occasion, non pas que nous trouvions ce trait d’esprit particulièrement génial, mais elle s’était laissée piéger avec son mets-ça là… et elle serrait les lèvres de frustration dès qu’elle le réalisait.

Fil d'Ariane 003

Pendant ce temps-là, on frottait et frottait, on s’empruntait la brosse à dents écartelée pour entrer dans les ciselures, on tenait l’objet à bout de bras pour en inspecter la brillance parfaite et s’assurer qu’on n’avait pas semé des traces crayeuses. La cuisine embaumait l’ammoniaque, et notre or redevenait argent scintillant. Le soir était tombé, nous étions repues de bavardage, d’intimité, de ce flot de mots qui auraient pu paraître inutiles – certes, nous n’avions pas changé le cours du monde – mais avaient ajouté quelques longueurs au tissu de notre lien, ce tissu qui encore aujourd’hui que ma mère n’est plus (ici), ne s’est pas rompu.

Quand je nettoie mon argenterie, elle n’est jamais loin…

Une auréole en toc : la démissionnaire

Pablo Picasso: Femme au chignon

Pablo Picasso: Femme au chignon

Comment ose-t-on geindre 10, 25, 30, 35 ans ou plus après, que l’on a été « soumise toute sa vie » et porter un front plissé en toutes lettres « femme sacrifiée au bien-être du mari » ?…

Oui, comment peut-on ? Je ne parle pas des malchanceuses qui ont épousé des cogneurs, et j’aimerais que toutes celles-là se rebellent et sortent du mariage sur leurs deux jambes en chantant et non pas les pieds devant alors que les autres chantent…

Non, je parle de celles qui ont épousé un homme – alors un tout jeune homme ! – volontaire. Choisi justement pour ça. Il fera et je suivrai. Ce sera comme avec papa et maman ou à l’école.

Jeune époux qui, au début de cette longue épopée familiale, a soit reproduit ce qu’il a vu faire par son père, ou s’est appliqué à faire tout le contraire.  De faire « mieux ». Un jeune homme inquiet devant un avenir d’interminables responsabilités auquel il venait de souscrire : il lui faudra travailler, mettre de l’argent de côté, savoir se priver, se comporter en père alors qu’il se sent si incertain encore, et feindre que tout va bien même quand il est consterné devant la crainte qu’il voit parfois sur le visage de sa jeune épouse. Elle est toute perdue, pensera-t-il maintes fois, et je suis seul maître à bord.

Et il risque, oui, d’être trop exigeant de peur de ne pas l’être assez. Parce qu’il est volontaire et veut bien faire.

Et oui, au début… elle va se soumettre, parce qu’elle n’est pas du genre à s’affirmer, et que tous les deux cherchent l’équilibre dans cette barque fragile qu’ils viennent de mettre à l’eau et qui tangue sous le poids de leurs espoirs et projets, et elle « obéit ». Pendant un an, deux ans, peut-être un peu plus. Et c’est normal. Elle suit le guide, elle suit l’exemple maternel, elle suit David Crockett sur la piste toute fraiche, parce qu’il semble avoir une idée d’où on va et aussi qu’il a la carabine.

Mais si elle continue d’obéir toute sa vie, si au cours de toutes ces années elle n’a jamais assez envie de quelque chose pour le demander, ou jamais assez horreur d’autre chose pour dire non, si elle a préféré céder « pour avoir la paix » souvent sans même avoir fait comprendre ce que ça signifiait pour elle…, a-t-elle le droit de plus tard reprocher à David Crockett une vie uniquement orientée à faire « ses caprices et quatre volontés » parce qu’elle réalise qu’elle est passée à côté d’autres choses et qu’elle le regrette ?

Eh bien moi je dis qu’elle n’a pas été soumise mais planquée, a uniquement cherché à éviter les prises de position et les responsabilités. Qu’elle a laissé son mari seul face à toutes les décisions importantes (oh oui, elle a imposé ses coussins de satin pêche au salon et la bordure de tulipes, et même cessé de cuisiner le boudin aux pommes qu’elle n’aime pas…), se désintéressant de son mariage et de son époux en même temps, au profit d’une petite survie pépère où on la voit, elle, comme l’épouse. Sa frustration devant son propre manque d’audace se retourne année après année contre le mari, qui est devenu celui à qui il vaut mieux donner raison pour avoir la paix, celui dont on dit tu connais ton père aux fils et filles, ou on sait qui commande tout ici aux autres, avec une mimique entendue.

Et je dis qu’elle n’a pas fait son devoir. Ni envers elle, ni envers son époux. Ni envers ses enfants d’ailleurs, auxquels elle donne une image déformée du mariage vu par les femmes.

Parce qu’un mariage se réussit ou se ternit à deux, et que si jamais elle n’a pris le temps de discuter avec ce jeune homme d’alors pour lui expliquer son point de vue, faire valoir son avis autour d’un verre de vin ou dans un chemin en bord de falaises où le vent leur donne les joues rouges et leur creuse l’appétit… elle n’a pas donné ses chances à cet époux de comprendre comment la rencontrer dans leur voyage commun, et de le rendre agréable et complice. Elle n’a pas tendu les mains, offert ses sourires, expliqué avec un amour encore jeune et en vie. Discuté, indiqué la voie du compromis, d’un mieux vivre à deux, et puis à trois ou plus. Et, alors que peut-être il s’est montré trop dur ou impatient avec des enfants qu’il comprenait mal, elle ne lui a pas pris la main pour la poser sur leurs fronts et lui faire percevoir la fragilité qui dormait derrière. Non, là aussi, elle a fait « toutes ses volontés ». En égoïste. En lâche et en planquée.

Elle ne s’est pas épanouie dans la prison qu’elle a érigée, et silencieusement en accuse le mari qui lui, ma foi… a continué à défricher sa piste de David Crockett, cessant de la tirer par la main.

Et non, on ne porte pas l’auréole de la sainte dans ce cas-là !

Une année toute neuve

Le long du lac réduitSoyons heureux, quels que soient nos soucis. Recensons paisiblement les raisons que nous avons de l’être au lieu de nous perdre dans le boulier compteur de ce qui ne va pas. Toute l’année, il y a ce qui ne va pas. Et certaines sont plus douloureuses que d’autres. Mais la vie reste un capital que rien n’égale, car vie veut dire amour, soirs et matins, goûts dans la bouche, odeurs et arômes dans l’air, mélodies, souvenirs, souffrances et résurrections, surprises, rires, petites et grandes attentes.

Le son d’une voix aimée qui nous entre dans la chair et l’incendie, la vie pulsant dans une paume qui frôle une peau cent fois frôlée et dont le pouvoir ne s’use pas. La beauté lue dans un regard aimant.

A tous et toutes je souhaite la chaleur de l’amour, le réconfort d’une main ou de lèvres, d’une paire d’yeux amoureux. Le bonheur de bientôt voir, derrière une vitre embuée, renaître la nature et jaillir sans bruit de la neige en bourgeons, pousses et dévalement d’eaux joyeuses.

A tous et toutes je rappelle de ne pas ouvrir la porte à l’indifférence  à soi-même : c’est l’abandon. Se faire plaisir sans honte, sans le qualifier d’égoïsme et en profiter. Nous avons le devoir de trouver grâce et beauté là où nous le pouvons, de nous en emplir les sens. De ne pas oublier comment allonger les doigts vers une fleur, la lumière mobile d’une bougie, la joue arrondie d’un sourire sur le visage d’une jeune fille. Toucher le ciel du doigt.

Bonne année…

Les abandons silencieux

Plainte au manque d'amour - William Bouguereau 1899

Plainte au manque d’amour – William Bouguereau 1899

Ils sont là, fidèles au poste,  jouant avec maestria l’époux ou épouse irréprochable. Les projecteurs  les chauffent presque à blanc dans le rôle du grand bafoué d’une pièce au scenario bien cruel. Car on les a trompés, ou quittés ;  on leur a crié dessus avec impatience devant des témoins abasourdis  … alors qu’ils semblent tout supporter avec une dignité sans tache.

Mais s’ils sont là… ils n’y sont pas, en réalité. Ils ont silencieusement abandonné leur mariage et leur conjoint sur la pointe des pieds. Oh, automates parfaits, robots programmés pour faire reluire une image idéale, ils échappent à tout reproche : la cuisine et le ménage sont faits, tout comme la tonte de la pelouse, la recherche d’emplois et les demandes d’augmentations, les sorties avec les enfants, les économies s’il en faut, les bricolages de plomberie et d’électricité si nécessaire. Ils sont même fidèles, de cette fidélité qui brille dans le noir comme les saintes vierges fluorescentes qu’on mettait sur la table de nuit. Un zeste de martyre, aussi : une soumission soulignée ça et là par des soupirs résignés, des remarques accompagnées d’un sourire que seul le conjoint reconnaît pour être une morsure, des rappels ponctuels.  Oui, l’emballage de luxe d’une union made in heaven est bien là, et les amis du conjoint ne se lassent pas de lui souligner la chance qu’il a. Ce qui le laisse en proie à un vertige qu’il ne s’explique pas. Il se traite de jamais content, d’affreux égoïste, s’accuse de trop attendre de la vie. Se demande ce qui ne va pas en lui – ou elle.

C’est que l’emballage ne contient plus rien. Et que le mariage est devenu une souffrance obscure, un cœur noir de solitude. Car l’abandon s’est fait discrètement, dans la lente évaporation des images d’amour. Oh, bien entendu, l’absent(e) se manifeste avec un dévouement en technicolor si l’autre a un gros coup dur. Il ou elle lui tient la main, comme le ferait d’ailleurs tout ami ou parent. Il ne sera jamais surpris en état d’indifférence affichée, il ne sera pas en reste avec, justement, les autres amis et parents. C’est, après tout… son image qu’il défend, celle d’un être à qui on ne peut rien reprocher, n’est-ce-pas. Et le conjoint en détresse sent battre en lui le marteau des remords : moi qui ne suis jamais content(e), quel ingrat(e) ! Toute cette inquiétude, ces prévenances rien que pour moi… comment ai-je pu douter et me sentir lésé(e) ?

Et pourtant, la présence d’un amour qui pépie quotidiennement, le regard qui s’attarde sur l’autre avec plaisir, l’écoute que l’on donne à ce qu’il pense tout haut, le besoin de lui dire en soupirant que sa peau est douce et son odeur aimée… c’est parti à tout jamais, emporté dans le balluchon du déserteur de l’amour conjugal.

Ennui by Walter Sickert at Ashmoelan Museum.

Ennui by Walter Sickert at Ashmoelan Museum.

Abandonné dans un lieu vide où on lui dit qu’il ou elle a tout, l’abandonné disparaît peu à peu dans une solitude où ses joies, maladies, doutes, rêves, projets, enthousiasmes ou défaites cruelles ne trouvent en réponse à ses confidences que des mots distraits, dictés par le devoir et sans l’ardeur de l’amour.

Il meurt tout doucettement, à la recherche de cette chose inexplicable dont il a besoin : l’amour. Ou il éclate en hurlant je veux vivre, j’veux d’l’amour, je suis là, moi

Il y a si longtemps qu’on l’a quitté tout en laissant un robot pour lui tenir compagnie…