Histoires du Nouveau Monde…

Quinze ans dans un autre pays, un autre continent, un autre monde, une autre langue, une autre culture, ça laisse plein de petits pense-bêtes enrubannés. Des gens, des paysages, des animaux, des sons…

Antonio … un Indien du Salvador qui faisait la vaisselle sans un mot, d’un restaurant à l’autre, chaussé de gros godillots de caoutchouc, la bouche sinistre et le regard loin au-delà des murs, loin au-delà de l’Amérique du nord. Il se déplaçait en bicyclette. En zigzaguant. Car Antonio n’avait jamais eu de bicyclette avant d’arriver là à 44 ans. Chacun de ses frères et sœurs venait passer 4 ans d’humiliations aux USA pour envoyer de l’argent là-bas, dans la forêt du Salvador où vivait la mère et où ils achetaient du terrain pour planter des kiwis.

Il ignorait tout de l’anglais, sauf les mots « garbage » (qu’il prononçait garbadgi) et « bleach ». J’ai essayé de lui donner des leçons en me mettant à son espagnol qu’il parlait de sa voix féminine. Mais il n’avait pas été bien loin à l’école, Antonio, et verbes, adjectifs et pronoms se bagarraient dans sa tête. Dans les deux langues. Et ma foi, il fut un élève lamentable qui se désespérait vite.

Il m’aimait beaucoup et c’était réciproque. Un jour il m’a expliqué, fou de joie, que grâce à moi il avait enfin compris que la pancarte du restaurant annonçait : « fermé le dimanche ». Il en était extrêmement ému. Sauf le jour où, voulant me faire un beau cadeau, il m’a offert un démêlant pour les cheveux, moi qui avais les cheveux courts. Il avait pensé que la jolie blonde à la chevelure de fée sur la boîte devait annoncer un présent de rêve. Il a boudé. J’ai dû le chatouiller pour le faire débouder. Mais quand il souriait de sa longue bouche sinistre, quel cadeau ! Une manne de joie…

Certains samedis matins, il venait nous sortir du lit mon mari et moi, ayant pédalé comme un ivrogne aussi vite qu’il le pouvait pendant 6 kms pour m’offrir des pupusas encore chaudes faites pour moi par une amie à lui. Ce sont des sortes d’épaisses tortillas recouvertes d’une sauce si piquante qu’on pleure des flammes et brûle les rideaux en baillant.

Je lui demandais comment on s’habillait chez lui. Oh, un pantalon et une chemise de toile blanche, un chapeau de paille, une cartouchière et un revolver. Quoi !!! Antonio !!! C’est dangereux, chez toi, dis-donc. Non, c’est la mode pour les hommes. Et il dormait dans un hamac, dans son village. A eu peur la première fois où il a dû aller à la toilette chez moi car dans la salle de bain tout était en porcelaine bleue. Il croyait que c’était un objet décoratif…

Antonio, mi hermancito, où que tu sois, j’espère que tu as ta mamacita, ton revolver et tes kiwis !

Connie … une étrange petite madame bien fanée par la vie qui faisait des photocopies d’Indiens dansant. Alors nous avons parlé. Tribus, costumes, danses, les pas pour les hommes et ceux pour les femmes, croyances. Et nous avons sympathisé. Elle aimait danser, les danses traditionnelles de plusieurs folfklores qui lui permettaient de se déguiser et de se sentir magnifique. Jeune, elle avait fait l’école buissonnière pour aller courir avec des enfants Cœurs d’Alène dans les bois. Elle n’avait pas appris la dactylographie mais connaissait la vie. Elle était tombée amoureuse de chaque beau garçon qui avait croisé sa route et ses yeux rieurs. Elle avait été, disait-elle avec détermination, une mère abominable, ce que ses enfants déniaient avec la même détermination. Elle en souffrait car, soutenait-elle, c’était bien parce qu’elle avait été trop mauvaise et qu’ils n’avaient pas le courage d’en parler une bonne fois pour toute, lui ôtant toute chance de s’amender.

Pauvre, survivant de petits boulots, la bouche parée d’un dentier tristement en série, la joie de vivre jaillissait de ses yeux et la sagesse de l’essence de la vie teintait toutes ses réflexions.

A un pow wow Indien où nous l’avions conduite en voiture, nous nous sommes gentiment chamaillées sur le charme d’un tout jeune Sioux que nous admirions. Je l’ai vu la première, gloussions-nous. Le beau jeune homme, heureusement, ignorait jusqu’à notre existence. La danse est affaire sérieuse et même les jolies indiennes aux nattes lisses ne l’intéressaient pas.

Connie, long life to you, Indian Princess!

Rajula … une femme dont la grâce m’avait laissée sans voix. Une femme d’un âge certain mais dont le sourire avait 15 ans au plus. Il vous caressait le visage, entrant loin en vous, si elle vous le donnait. Ce qui prenait du temps. Elle était cliente là où je travaillais. Parfois revêtue d’un sari coloré, mais d’autres fois son corps souple et vigoureux était tout simplement vêtu d’un pantalon et d’un pull gris sombre, avec un châle somptueux qui chantait tout seul.

Et puis nous avons parlé un peu. Rajula avait été danseuse de danses traditionnelles indiennes et avait donné des représentations en Europe. Voilà l’origine de sa classe et de sa longue démarche. Et elle, elle était fascinée parce que j’écrivais, et enthousiaste parce que j’aimais beaucoup Jhumpa Lahiri, une auteure indienne qu’elle aimait aussi. Oh, soyons amies, avons-nous un jour décidé, restons en contact. Aimez-vous la nourriture indienne ? m’a-t-elle alors demandé avec son sourire dans lequel on se noie presque de joie.

Nous nous sommes perdues de vue (de courriels, plus exactement), mais sans en prendre la décision. Mais je sais que nous ne nous sommes pas perdues de pensées.

Clément … oh Clément ! Cher sot Clément … ! Venu du Nigéria pour faire fortune, il avait deux boulots, un de jour et un de nuit. Une femme et deux enfants. Et le week-end, il prêchait dans une de ces nombreuses sous-sous-églises qui naissaient comme des champignons là-bas.

Minuteman

Notre amitié a commencé par une engueulade, lorsque je gérais l’imprimerie Minuteman Press (que le propriétaire suivant, un Coréen, prononçait Minimum Press, chose qui m’amusait au plus haut point). Il avait commandé des affiches pour son église, et c’était urgentissime pour tel jour. J’ai mis plein gaz (en râlant) et … il est venu, tout calme, une semaine en retard. Je lui ai presque arraché les yeux et la langue, le pauvre. Yeux qu’il dardait sur moi dans une rondeur stupéfaite. Il avait toujours une explication. Do you know what happened to me? Et une histoire à arracher des larmes toute prête. A chaque commande, la même chose se représentait. Je lui hurlais que non, je ne voulais pas savoir ce qui lui était arrivé, qu’il était un clou dans mon cercueil, qu’il me tuait à petits feux, et que c’était bien la dernière fois que … et tout recommençait, car je l’adorais. Et il le savait.

Nous avions des fous-rires, admettant que nous étions deux imbéciles qui avions payé notre voyage pour devenir esclaves dans le Land of Opportunities, qu’on n’avait même pas l’excuse d’avoir été enlevés et enchaînés dans la cale. Nous nous étouffions de rire quand il me racontait que tout le monde dans son village pensait qu’il trouvait l’argent par terre et lui demandait des cadeaux et encore plus de cadeaux quand il revenait, alors qu’à lui tout seul il travaillait plus que tout le village.

Il me présentait ses enfants, sa femme Grâce. M’appelait sista, sœur. Me rendait folle. Me rendait affectueuse tiens Clément, prend mon écharpe, tu tousses, tu vas attraper la crève. Le rire de Clément, avec sa grande bouche pleine de dents de requin, irrégulières et terrifiantes, déclenchait toujours le mien. Cet homme riait toujours. Fatigué, las, usé, n’ayant que des nuits minuscules, il riait.

Le jour où une de mes clientes, blancheur bonux et coeur de fonte, m’a dit de lui, alors qu’il s’en allait, qu’il puait à en faire tomber mort tout le quartier, je lui ai froidement rétorqué que ce n’était que de la sueur, et que tout le monde a cette odeur quand une journée ne vous offre que 5 heures de sommeil…

Il est parti au Texas et a ouvert son église. Il est venu faire des photos de moi avant de partir, et il ne riait plus autant. Il allait perdre sa sista. Il me manque. Clément, oui, je voudrais bien savoir ce qui t’est arrivé, cher sot !

Bien entendu, tous mes animaux d’alors me manquent aussi…

Ma gentille Clara, dinde sauvage des bois qui répondait à son nom...

Ma gentille Clara, dinde sauvage des bois qui répondait à son nom…

Et ma Fifi qui m'a suivie en Europe et est morte à 19 ans et demi

Et ma Fifi qui m’a suivie en Europe et est morte à 19 ans et demi

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Les vers à bois

La naissance des réseaux sociaux a aussi aboli la plus élémentaire des politesses pour certains. Je sais bien qu’ils sont « sociaux », ces réseaux et en principe, très souvent et exclusivement, là pour se tisser un filet, comme une belle toile d’araignées avec des points de connexion lumineux. Le but étant d’avoir des milliers de contacts que l’on baptise du nom d’amis pour faire moins intéressés. Certains même les croient amis, et s’indignent publiquement quand l’autre met fin « à leur belle amitié » sans qu’ils en comprennent la raison. On va jusqu’à tester le dévouement (proclamé car pour le mettre à l’épreuve, faudra voir…) avec des panneaux pièges qui circulent du genre « si je sonne chez toi à 3 heures du matin en larmes et en haillons, m’ouvriras-tu ta porte ? ». Les oui enthousiastes cliquent et cliquètent, avec des commentaires braves qui confirment qu’une amitié vraie est justement celle-là.

Bien sûr quand l’ami habite à l’autre côté du monde, on risque peu à se montrer intrépide, mais je connais de ces amis lointains qui ont cherché à utiliser leurs nouveaux amis de réseau comme point de chute « je viens justement en France, et n’y connais personne, pourrais-tu m’héberger ? ». Oui, je connais ça. Ou d’autres « petits services à demander »…

Les brouteurs, finalement, ils sont l’attraction amusante si on n’est pas tombé, en mal d’amour, dans leurs griffes : j’ai eu quelques bons fous-rires grâce à eux, surtout quand un intrépide a remonté le fil de toutes mes amies pour leur raconter, à toutes comme à moi, qu’il « m’avait rencontrée à une soirée chez Gladys » et s’embrouillait au fil de la journée à cause du décalage horaire : il disait bonsoir au petit matin alors qu’il prétendait habiter dans la banlieue parisienne, et son orthographe changeait quand la relève était assurée par un autre brouteur moins lettré qui reprenait la partition au vol. On a bien ri, et encore plus quand on a l’a toutes bloqué en même temps et imaginions sa tête stupéfaite en constatant la fuite de son cheptel tout entier !

Mais une chose que je ne supporte pas, vraiment pas, ce sont les vers à bois. Ceux et celles qui se font « amis » dans le but de chercher dans vos contacts, ceux qui pourraient leur servir. Les faire accéder à un groupe particulier. Il n’y a jamais la moindre justification à la demande d’amitié, on vous a croisé trois secondes (quand on vous a croisé…), on sait que vous êtes ami de… et ça suffit. On vous demande et vous n’avez rien qui vous permette de comprendre pourquoi on vous a « sélectionné » comme le Reader’s Digest. J’admets que j’en ai accepté, me disant qu’il n’y avait pas de mal, sauf qu’en fin de compte ces nouveaux amis passaient notre première journée d’amitié sincère à grimper dans ma liste d’amis pour voir qui pourrait leur servir. Pendant ce temps, ils ne tarissaient pas d’éloges extravagants, tout ce que j’avais publié était superbe, magnifique, divin. C’est aussi leur méthode pour attirer l’attention de mes contacts, qu’ils se mettaient à renifler et louanger avec flagornerie. Et puis comme je ne laisse pas publier sur mon mur, on me bombardait de messages personnels que j’étais supposée partager en chantant La Madelon à tue-tête. Sans un mot gentil, sans un remerciement pour peut-être l’avoir fait. Non. C’est « regarde ce que JE fais, c’est beau hein ? Tes amis seront ravis si tu partages, leur vie en sera illuminée ». Il n’y a aucune amitié ni même sympathie dans la plupart de ces manœuvres, juste parfois des tentatives d’intéresser quelqu’un de force, d’exister à ses yeux, ou surtout de trouver dans ses contacts quelqu’un qui va se laisser capturer. Soyez mon ami, ouvrez-moi la galerie où je vais trouver les vôtres, et puis les leurs, et puis, et puis…

Bien entendu, mes connaissances sont à même de se dépêtrer de la situation, qui n’est pas tragique en tout cas. Mais le comportement du ver à bois dénote d’une déviance de ce qui autrefois s’appelait « faire connaissance ». Et un manque de respect.

Je ne suis pas un contact. Je ne suis pas un relais utilitaire. Je suis une personne. Et en principe, qui m’aime me suit déjà. Qui ne m’aime pas m’évite, et c’est bien comme ça. Et je ne comptabilise pas mes « amis ». D’ailleurs j’en supprime beaucoup le jour de leur anniversaire : si je me demande « qui c’est c’t’ami-là ? » je le supprime. Ça fait propre …

Je ne souhaite pas cracher dans la soupe, j’utilise les réseaux, et j’y trouve ce que j’y cherche. Je n’y suis pas parce qu’il faut bien, même si j’y suis venue dans des buts de promotion, de mon blog et de ce que j’écris… Il y a aussi plein d’autres choses qui font que j’en use volontiers ! J’y ai fait de belles rencontres ; dans le spider web il y a des êtres humains, vivants, gentils, charmants, amusants, qui ne sont jamais des contacts mais des connaissances, qui deviennent parfois des gens que l’on voit et revoit, qui comptent vraiment, que l’on rencontre pour de vrai et qu’on quitte avec le sourire. Mais je n’ai jamais fait de demande « d’amitié » à quelqu’un que je ne connaissais pas ou avais vu en courant d’air pour voir si par hasard il pourrait me servir, à moins qu’il ne se soit passé quelque chose qui justifie cette demande d’amitié.

Et je me souviens qu’autrefois il fallait « montrer patte blanche » pour être accepté dans un cercle social, et ça n’avait rien de ridicule. Pour autant que la patte blanche ne sanctionne pas l’appartenance sociale, raciale, ou les moyens financiers, je trouve qu’engager la responsabilité de celui qui présente quelqu’un à quelqu’un est logique.

Sur mon tremplin, moi… je m’balance

Mon éditeur – Chloé des lys – est un « petit éditeur » belge. Qui, tel un frêle roseau discret, a résisté à bien des tempêtes, a creusé le sol de racines qui ont du mordant, et a vingt ans, oui, vingt ans. Petit éditeur ne veut pas dire petits auteurs, petits bouquins moches, petit boulot, petit tout… ni petite Belgique.

Il y a des reproches à faire et on les fait. Certains sont justifiés. Comme ils le seraient ailleurs. Je suis avec cette maison depuis 2008, année de publication de mon petit premier.

Le plongeur d’Idel Ianchelevici, 1939

Les choses prennent leur temps, oui. Une équipe de bénévoles qui ne vous coûte pas un sou et se dévoue pour l’amour du livre et l’attachement au maître de maison, c’est quand même bon signe et mérite… du temps. Le temps qu’il faut. Le comité de lecture a une lourde tâche, et lit soigneusement ligne après ligne, signale les fautes, les incohérences. Ne se contente pas de parcourir d’un œil mi-clos et soupçonneux les quatre premières et dernières pages pour répondre d’un ton blasé que ça ne correspond pas à l’esprit de la maison. Dans laquelle vous trouvez pourtant souvent de tout, même des esprits frappeurs ! Une graphiste compose les couvertures pour ceux qui ne savent pas s’en charger. Un blog diffuse nos nouvelles dans le  merveilleux monde web du livre… Les mails sont traités toute la journée. Oui, il y a des auteurs qui se révèlent « pas extraordinaires » (restons charitables), je bute sur quelques-uns moi aussi. Mais on les retrouverait ailleurs, en self-édition, ou chez un éditeur éphémère ou spécialisé dans le non-extraordinaire à tout prix. Ils sont là et veulent en être. Il suffit de ne pas persévérer dans l’erreur de les lire et les relire (oh que je suis méchannnnnte…). Et puis soyons objectifs : eux trouvent les autres très mauvais. Moi par exemple. Bon… ça gêne qui, finalement ? Succès ne veut pas dire talent et talent ne veut pas dire succès. Sans quoi Barbara Cartland aurait été une pauvresse, et il n’y a pas qu’elle…

Moi ce que j’ai aimé chez Chloé des lys, quand je les ai « trouvés sur le net », attirée à la fois par le nom aux accents romantiques et le fait que c’était « du belge », c’était cette petite phrase qui brillait comme un rai de soleil sur l’eau vive : notre ligne éditoriale est de ne pas avoir de ligne éditoriale. La maison se disait aussi vouloir être un tremplin pour de nouveaux auteurs qui ensuite seraient forts de ce premier ouvrage publié, leur carte de visite pour les cieux littéraires qu’ils espéraient toucher du doigt.

Et je ne dis pas que ça soit la seule bonne formule, la seule envolée ou plongeon possible. Ça m’est vraiment égal qu’on le pense ou non.

Par contre ce qui ne m’est pas égal, c’est la guéguerre sournoise menée entre éditeurs – les émergeants, ceux qui coulent, ceux qui font des ronds de jambe et flagornent comme des courtisans pour obtenir aides et crédits qui ne leur reviennent pas, ceux qui se prennent pour l’élite de l’édition et sont entre nous mon cher, ceux qui se disent à frais d’éditeur et ne le sont pas, ceux qui font des crocs-en-jambe aux autres. Ne parlons pas des groupes poétiques ou littéraires qui tentent de faire la loi à la manière mafieuse, de lever ou baisser le pouce comme des Nérons des lettres, la lèvre molle et méprisante prononçant un « pouh ! » muet pour disqualifier qui leur fait de l’ombre afin de pistonner le meilleur frotteur de manches du moment, ou le mieux introduit « politiquement parlant ». Financement oblige, pas vrai ?

Les auteurs ne sont pas, d’ailleurs, blancs comme neige non plus, en tout cas certains. Comme écrit dans un mail à quelqu’un, c’est parfois pathétique de voir à quelles bassesses on est prêt pour écraser, pousser, médire afin de se faufiler et faire son trou comme un ver dans le bois.

La jungle est féroce. Les salons bidons, les « concours » payants dont l’heureux gagnant est déjà élu et son prix payé par les gogos concurrents, les fausses « amitiés » pour s’emparer des adresses du fan-club d’un autre auteur et s’y introduire avec un joyeux Hello, je suis ami de et je vous ai remarqué tout de suite, votre supériorité est aveuglante et j’en suis encore sur le derrière… c’est varié et jamais monotone !  L’ennemi a mille visages et est embusqué dans toutes les ouvertures. J’ai le bonheur d’avoir toujours eu un tempérament anti-clique et d’avoir bonne mémoire : qui m’a fait un mauvais coup un jour paiera la note un autre jour, et en attendant… bonne route.

Et surtout, l’avantage de tout ça, c’est que les vrais liens que l’on forme sont comme une belle résille d’or. Tout y est propre et honnête. Et on peut soupirer d’aise et se dire qu’on a une bien belle famille, chez mon petit éditeur ! Et puis, les années passent et je reste sur mon tremplin, non que j’aie peur de sauter, mais j’adore ma piscine champêtre bordée de lys…

No Big Deal

La foire du livre, et toutes les foires un peu importantes (du livre). Je vais chaque année – en visiteuse – à celle de Bruxelles, plus pour la sortie que pour la cohue et la marche dans un sauna bruyant, sortie qui suit le repas très amusant que je prends avec mon ami Denis, qui arrive de Besançon. Occasion pour nous de papoter, rire, parler de bouquins, d’auteurs ou éditeurs que nous connaissons de près ou de loin, et puis une bonne marche vers le plus grand bain de vapeur de la ville, la Foire du livre de Bruxelles, où nous ne nous éternisons pas plus qu’il ne le faut pour faire notre tournée de reconnaissance. On en sort liquéfiés et les joues comme des pommes d’amour.

De l’air ! De l’air frais, et du silence, et la promenade retour le long du canal et puis le quai aux briques, on aime bien ça…

Foire du livre Alain Bustin 2015

Foire du livre, visite d’Alain Bustin 2015

Et il faut avouer qu’on est tout content lorsque, auteur inconnu, on a au moins été une fois faire acte de présence, la plume d’oie bien taillée et l’encrier rempli, le sourire sympa mais pas prédateur. J’y suis allée une seule fois en autographeuse, deux petites heures de ma vie bien remplies, pas désagréables du tout. On y donne rendez-vous aux amis qui habitent du côté de Bruxelles et qu’on ne voit jamais, on fait la photo souvenir (ou deux, ou trois) et on sait ce que c’est que d’avoir été en dédicace dans un grand salon. De loin on a vu le chapeau d’Amélie Nothomb, les deux têtes des frères Bogdanov, celle de Michel Drucker et c’est autre chose que de voir les mêmes visages sur Closer, oui oui oui (pas toujours plus flatteur, je dois dire…). Bien sûr, nous on les a vus, et eux n’ont même pas eu conscience qu’on existait, mais on s’en remet très très bien (au cas où on en aurait été démis…).

Maintenant, honnêtement, il n’y a pas de quoi sonner ni le tocsin ni une joyeuse volée. Personne ne viendra vous voir qui ne vous connaissait déjà suite à un autre salon plus petit mais intime, un achat, ou autre moyen. Personne ne vous y « découvrira ». Et les paparazzi ne s’attarderont pas sur vous, tout au plus vous ferez « le nombre » sur un travelling montrant qu’il y a foule à tel ou tel stand. Les figurants bourdonnants.

Et pourtant, pour le lecteur qui ne connaît pas le système, son auteur localement connu, son poulain favori qui a publié un ou deux livres (le fils de la voisine, l’ancienne première en rédaction du cours de Mlle Machin, le petit ami de la belle-sœur de…), est en train de faire son chemin puisqu’il va à la Foire du Livre de Bruxelles (ou toute autre grosse excitation bouquiniste). On croit qu’il a été choisi, élu, cherché, pourchassé, repéré, puis supplié et que c’est donc bon signe. Même ce grand salon le veut. Même ce grand salon renifle son talent.

2016 en visiteuse avec Carine-Laure Desguin

2016 en visiteuse avec Carine-Laure Desguin

Or la vérité est que tout éditeur qui veut officiellement exister fait de son mieux pour figurer aux salons importants (et pas question de montrer patte blanche mais patte pleine d’écus, florins et ducats ), et convie ses auteurs pour amortir cet investissement prestigieux et ne pas avoir une table jonchée de livres sans petites mains joyeuses pour y écrire de jolies dédicaces.

Mon éditeur ne participe pas (mais il existe oh combien, et la maison d’édition fêtera ses 20 ans la semaine prochaine !), et l’autre éditeur qui m’avait installée sur le trône pendant deux heures ne participe plus. Et donc… moi non plus. Pourtant j’existe, je le jure…

Je vais à peu d’évènements de ce type, privilégiant ma ville d’origine, son libraire dynamique, et parfois un festin de mange-pages si c’est à distance raisonnable, que je suis libre et que je sens l’inspiration. Pour le reste… c’est écrire qui me plaît, et rencontrer ces lectrices (parfois lecteurs, oui oui oui !) avec lesquelles les points communs se sont mis en évidence tous seuls… C’est alors une séance de dédicaces enjouée comme autour d’une tasse de thé, amicale, entrecoupée d’embrassades et de rires. Ça… c’est tout ce que j’aime.

Ceci dit, amis et amis qui dédicacerez jusque dimanche, ne boudez pas votre plaisir et allez-y, hop hop !

Quand on coupait le cordon ombilical… quel délice!

Aller en pension, c’était s’éloigner de la protection et approbation familiale, apprendre à se faire des amies en-dehors du territoire habituel, ne compter que sur soi pour s’attirer des sympathies ou à se sortir des querelles.

C’était aussi, pour moi, sentir cette plénitude apaisante lorsque, le vendredi soir, le paysage vu du train devenait celui du berceau de mon enfance, rassurant et, semblait-il, immuable. Après ce tunnel malodorant il y avait la rivière qui ondulait sur la gauche, avec cette maison neuve sur la gauche, dans la courbe de la route. Et à droite le château de la folie juché sur la colline. Et puis la gare de Pépinster où je me levais pour enfiler mon manteau et descendre ma valise du filet, le coeur galopant de joie. Et le train ralentissait enfin, le long quai de la gare de Verviers venait à sa rencontre. Verviers ceeeeentrahl, Verviers ceeeeentrahl, annonçait une voix morne dans le haut-parleur, m’arrachant un petit sourire gêné. C’est que, voyez-vous, moi… je n’avais pas l’accent de Verviers, on en avait pris grand soin à la maison. Pensais-je! Car si je n’avais pas un accent verviétois trop rocailleux, j’avais le parler lent et articulé du pays de Liège, coloré ça et là, à mon insu, de mots wallons. Mais depuis que j’étais en pension à Bruxelles, ça se compliquait d’intonations un peu brèves et nasillardes, et d’expressions glanées en classe, comme aller acheter des gaietés, que ma mère a gardée pour le plaisir.

Mais quand le dimanche soir je reprenais le train en sens inverse, c’était un autre aspect de ma vie que je partais retrouver, et c’est à Bruxelles central que je me préparais déjà pour sortir à la prochaine station, Bruxelles-midi.

Je n’étais pas en pension, mais en pédagogie, en « péda », un home tenu par des bonnes-soeurs, où les jeunes filles dormaient et mangeaient, allaient à la chapelle quand elles ne pouvaient y  échapper, mais s’éparpillaient chaque matin de par les écoles de la ville, avec une heure « couvre-feu ».

Les soeurs de la première péda étaient beaucoup de choses, mais certainement pas bonnes. J’y ai été acceptée (tolérée est plus exact) à la condition expresse que je ne dirais jamais que mes parents étaient divorcés. La charité n’allait pas loin. La soeur portière était ouvertement traitée par les autres comme une sous-créature. Bien souvent j’ai surpris la soeur Claire, la lippe pendante et maussade, l’oreille collée à une porte, espionnant sans la moindre honte. Et les pauvres Suissesses qui faisaient la cuisine et le ménage, « menus travaux en échange du gîte, couvert et opportunité d’apprendre le français » étaient souvent en larmes dans les couloirs.

Mais l’année suivante on m’a changée de péda, et j’ ai eu deux années de bonheur dans ce nouvel endroit. Les religieuses y étaient gentilles et chantonnaient tout le temps, que ce soit en nous servant à table qu’à la toilette, ce qui nous amusait beaucoup. J’étais dans la toilette à côté de celle de Soeur machin, pouvait-on dire.

A quoi passions-nous le temps, quand nous ne faisions pas nos devoirs?

A faire des blagues. Comme les lettres anonymes brûlantes de passion que nous envoyions à « Pompon et Secrétaire », deux soeurs maussades de l’étage supérieur. Ou le nom de la porte de leur chambre que nous allions mettre sur celle de la toilette. Ou la soutane d’un infortuné prêtre brésilien trop beau pour autant de filles enfermées, qu’il avait déposée devant la chapelle pour enfiler son étole, et que nous avions cachée, Suzon et moi, dans le lit de Dominique. Ou Solange que nous avons, toujours avec Suzon, enfermée à clef dans sa chambre pour qu’elle ne descende pas goûter avec nous. Elle nous agaçait, fille unique un peu péronnelle, qui ne cessait de nous jeter de la poudre aux yeux en nous décrivant leur mobilier ancien et nous expliquant le lundi qu’elle avait été à un dîner « de gala ». A l’entendre elle ne mangeait que les mets les plus fins mais se ruait comme une désespérée sur tout ce que nous n’avions pas le courage de manger dans le réfectoire : salsifis tièdes, pommes de terre collantes, rôti de porc cartonneux, omelette verdâtre (mais sans « fines herbes »).

A parler des garçons. Bien sûr! A 16 et 17 ans, c’eût été malheureux si on n’en avait pas parlé! Certaines étaient déjà fiancées et exhibaient leur bague de fiançailles, nous toisant du haut de leur féminité triomphante comme si nous étions des gamines ridicules, des laiderons destinées à épouser de vieux garçons pâles et couverts d’eczéma. Je me souviens d’une, très gentille, qui nous faisait rêver mieux qu’un roman de gare sentimental ne l’aurait pu:  une fois mariés, son fiancé l’emmènerait dans la plantation de canne à sucre que sa famille possédait à la Martinique! Nous la voyions comme une sorte de Scarlett O’hara. Avec Slie, mon amie Hollandaise, nous sommes arrivées, pour ne pas être en reste, à brièvement faire croire à la fiancée la plus arrogante de la péda que nous, nous étions mariées. Futées, nous avons bien insisté: elle ne devait en parler à personne car les soeurs nous renverraient. Nos maris étaient Américains, et nos parents n’avaient pas osé l’avouer à notre grand-mère… Russe! Oui, nous étions devenues « cousines » et avions mis au point un accent très original (pour qu’elle ne puisse déceler que Slie, Hollandaise, n’avait pas le même que moi) que nous disions avoir acquis malgré nous lors de nos études dans le monde entier. Bien entendu, elle n’a pas gardé la confidence longtemps, s’est sentie ridiculisée et nous a détestées toute l’année. Des jeunes filles d’Argentine et du Pérou me montraient des photos de fiancés indiens aux pommettes larges et à la bouche tombante que je leur enviais beaucoup, mais elles étaient unanimes: le meilleur temps de l’amour, c’est pendant les fiançailles, aussi il faut les faire durer. Shahnaz, jolie Iranienne, nous parlait de Feri, celui qu’elle aimait en secret mais ne pourrait épouser. Lorsque ses parents lui ont écrit « reviens tu es fiancée », en larmes elle a renvoyé à Feri les bijoux qu’il lui avait offerts, et nous avons pleuré avec elle. Un an plus tard elle est venue voir les soeurs avec son mari, et dans son français approximatif a dit que son mari était très bon, très obéissant!

A faire des expériences de vie. Avec Monique nous dévorions des grimoires, des dictionnaires de démonologie, les contes de Claude Seygnolle. Au point que nous nous sommes terrées, livides de frayeur, dans notre chambre en entendant très tôt un matin les gémissements plaintifs d’une fille qui s’était évanouie dans le couloir. Nous pensions que c’était un artifice diabolique! Et les bougies qui dansaient derrière les fenêtres de l’escalier du musée en face, portées par d’étranges personnages coiffés de turbans et vêtus de longs peignoirs nous ont convaincues qu’on y célébrait des messes noires ou des rituels vaudous.

Toujours avec Monique, nous avons un jour décidé de… nous saouler. On voulait savoir. Nous sommes sorties acheter au Sarma le porto le moins cher, et deux cigares, les moins chers aussi. Ensuite, attablées l’une en face de l’autre dans ma chambre, nous avons procédé méthodiquement à l’expérience. Il nous semblait ne rien remarquer, mais nous riions beaucoup, de plus en plus. Plus tard, en allant à la toilette – et grâce au ciel les carrelages au sol me guidaient pour marcher droit! – j’ai vu Monique qui faisait de la gymnastique dans le couloir, en combinaison.

Avec Suzon, dont la chambre était un temple à Jacques Brel, Isabelle et Dominique, nous nous invitions réciproquement et faisions du thé ou du bouillon (de l’Oxo…), mangions des paquets de chips, décortiquions la vie sentimentale de toutes les malheureuses qui s’étaient confiées à nous. Nous écoutions Percy Sledge, James Brown, Scott McKenzie…

A travailler, aussi! Car nous étions en « Arts Déco », et avions des plans, lettres, découpages, études documentaires, illustrations et layouts publicitaires à faire, et nous y tenions. Ainsi que des analyses de textes en général très indigestes.

Ces années heureuses m’ont fait comprendre que j’existais aussi en-dehors de mon entourage d’origine, que j’existerai ailleurs et ailleurs encore. C’était une prise de conscience d’indépendance bien à l’abri des dangers de la vraie indépendance, qui serait à affronter plus tard, et par à coups. C’est là aussi qu’on découvrait quels vêtements nous seyaient le mieux, quel style nous ressemblait, sous la tutelle de toutes ces conseillères venues de partout.

Cette péda n’existe plus, pas plus que la première. Je ne sais même pas si le concept existe encore. Il y a les cots, maintenant. Et le cinéma a remplacé sans doute bien des confidences sur les premiers baisers! Mais alors que ma mère m’a annoncé « tu iras en pension à la rentrée » avec le ton qui annonce une punition sans égal… elle s’est révélée agréable et inoubliable!