Ce n’était pas prévu par mes prédictions…

Il y a de cela bien longtemps, dans un lointain royaume … non ! Il y avait dans le petit royaume de Belgique une petite fille qui plus tard deviendrait Edmée De Xhavée et qui se posait les habituelles questions sur la mort.

Et comme j’avais une imagination plus que féconde et colorée, il me fallait recourir à bien des stratagèmes pour ne plus avoir peur. Par exemple je conjurais l’idée qu’il y avait peut-être des fantômes dans la maison en décidant que dans ce cas, papa et mammy ne l’auraient pas achetée. Qui donc achèterait une maison hantée ? Et la mort, comme un peu d’astuce ne suffirait pas à l’écarter tout à fait, eh bien j’avais décidé que je mourrais à 63 ans, que jusque là je pouvais dormir tranquille avec le chat ou Poupette, ma poupée !

Ca me semblait suffisamment loin pour me détendre, et c’était le numéro de rue de la maison. J’avais, sans sourciller, affirmé à ma mère que c’était Saint Patrick en personne qui me l’avait dit en rêve. C’était, en somme, ma prédiction!

Bref, le truc a bien marché… jusqu’au jour où j’ai eu 63 ans !!! Et Saint Patrick n’était pas venu, peu avant ça, me donner une prolongation. J’étais un tantinet inquiète, parce que ce chiffre était tellement inscrit dans mes prédictions personnelles que je l’avais chargé d’un message sans appel.

Et puis je suis morte, oui, à la vie d’avant, pour entrer dans la vie d’après. Car étrangement ce fut aussi une année de grands changements.

Mais la mort ne signifie-t-elle pas justement le renouveau qui naît des choses mortes ? Un nouveau souffle, une renaissance, un parcours tout neuf, le phénix renaissant de ses cendres. Des cendres, j’en ai … et oui, cette année fut bien celle du phénix pour moi. Certes, une renaissance n’est pas plus aisée qu’une naissance, il faut couper des fils à la patte, tailler son chemin à la machette, et ne pas perdre sa boussole interne dans la jungle du doute.

Mais j’avance, j’avance, et la jungle s’éclaircissait de plus en plus. Et depuis cet anniversaire fatidique, les contours de ma nouvelle vie continuent de se dessiner jour après jour.

Et là, sept ans plus tard, sept ans qui ont passé comme un missile, traversant parfois le mur du son, je constate que toutes ces années qui meurent pour qu’une autre se déploie ont été parmi les plus riches. Bien sûr c’est l’enthousiasme de vivre qui me fait dire ça, parce que les chagrins n’ont pas manqué, mais l’adaptation aux manques, aux frustrations, aux impatience est bien plus présente quand les années qui restent se savourent d’un bon moment à l’autre, parce qu’on entend parfois le faible appel « terminus, tout le monde descend » et le voyage est pourtant tellement beau encore.

Et pour la première fois de ma vie depuis mon enfance j’ai eu une vraie fête d’anniversaire en famille, entourée de sourires, de regards joyeux, de bonnes histoires qui fendaient l’air, d’une humeur lumineuse. On m’a gâtée, on m’a célébrée, on a mis sur la table des mets pleins de saveur, des bulles dans mon verre, et on m’a tenu la main pour entrer dans cette nouvelle année de vie, vie qui aura aussi ses paquets surprise…

Oui, vive la treizième carte du tarot !

 

 

 

Publicité

83 bougies éteintes et 11 qui m’éclairent

Ma Lovely Brunette chérie,

Le 11 février, c’est et ça reste ton anniversaire. Tu auras 94 ans. Ça se fête avec toi. Pas avec « un gâteau moka à se cacher derrière » (tu sais ce que je veux dire et je t’entends rire, mais je ne peux vraiment pas raconter cette histoire, hein…)

J’ai une lettre de toi qui commence par « Bon-papa aurait eu 100 ans ce jour ». Bon-papa c’était ton papa, le houps comme nous l’appelions parce que pour s’extirper de son transat, il se hissait en ahanant « houps ! ». Toi aussi tu continuais de ressentir la date de son anniversaire comme une perle sur le collier des évènements familiaux.

nismes-1949-ou-50Je pensais que tu le faisais parce que tu étais imprégnée des remembrances familiales d’autrefois, mais non… je sais à présent que les 11 février et 22 août sont les anniversaires de ma Lovely Brunette et de mon Papounet, et sont des jours que je fête discrètement et silencieusement. Mais que je fête…

Tu me manques mais la douleur n’est pas celle du vide, de l’écho qui ne répond plus, de mille jamais plus.  Non tu me manques presque d’une manière heureuse, c’est un manque qui dès que ressenti construit le pont vers toi. C’est chaud et toujours un peu rieur, ou une phrase qui remonte exactement comme tu la prononçais (avec ta grosse voix de gendarme de la fin, dont tu te plaignais en riant). Ou une vieille chanson que nous aimions, tu sais Le petit cheval blanc de Brassens ou Coucouche-panier, papattes en rond… Ou le souvenir amusé de ces mots secrets que nous utilisions pour parler devant le chien qui ne devait pas comprendre que nous allions manger un morceau de chocolat ou partions faire une promenade sans lui. On va à la messe, lui expliquions-nous. Ou un apaisement quand mon esprit contrarié chevauche sa fichue jument de nuit…. « allez ma Puce, calme-toi, tout va s’arranger ».

Alors bon anniversaire à toi, la femme que j’aime le plus au monde et à ma vie, ma mammy, ma Tarzanette, ma maman, ma négresse, ma mammy rose ….

Rien que pour eux…

Quand je tenais mon imprimerie-copy-shop aux USA (où j’avais les fonctions de counter-girl, comptable, graphiste, psychologue pour les clients dingos et ouvriers-imprimeurs drogués ou alcooliques, contremaîtresse, Madame pipi, Madame devis, Madame factures, Madame réapprovisionnement, Madame folle de rage, Madame vous-allez-voir-si-vous-ne-payez-pas etc…), quatre grands évènements familiaux eurent lieu : une réunion de famille (à laquelle je ne pouvais participer, because la « carte verte » qui n’est pas verte), les 50 ans de mon « petit frère », les 80 ans de mon Papounet et deux ans plus tard les 80 ans de Lovely Brunette.

 

Et donc j’ai profité de ma position unique de madame aux commandes de cette nef des fous, et j’ai fait des cadeaux « personnalisés ». Les invitations et la carte généalogique proche pour la famille qui se réunissait, et des petits livres de folie douce pour les trois anniversaires.

 

Pour mon frère j’avais en fait écrit un mini-roman absolument palpitant intitulé « La belle de la rue Xhavée » (dont j’ai, comme on le voit, tiré mon nom d’auteur par la suite). La rue Xhavée est une rue bien connue de ma ville, Verviers pour ne pas la nommer, et « la belle » y vivait une journée insolite en rencontrant tous les gens que nous avions honorés d’un surnom depuis l’enfance. Elle rencontrait « Chille-Achille », la famille Castor, la « Petite Dingo » et « Printil » à qui elle achetait un crapaud pour le manger, chantait Arlequin dans sa boutique, parlait wallon autant qu’elle le pouvait, échangeait quelques mots avec « La justice de Dieu » et le marchand de cliquottes. Je lui rappelais aussi de truculentes anecdotes, personnages marquants et animaux aimés autrefois… Bref, ça ne pouvait faire rire que lui et moi – et Lovely Brunette qui était, ne l’oublions pas, responsable du gène fou-fou dont nous avions hérité – car personne n’y comprend rien, c’est plus obscur que le code des Navajos ou une grammaire tombée d’outre-espace. Au centre du livret, des photos et un petit mot de mon Papounet et un autre de Lovely Brunette…

 

papa-danseusePour mon Papounet, chaque enfant et petit-enfant d’alors a écrit un texte et fourni une photo. Les filles de ma sœur étaient encore bien petites et ont fait des dessins tellement hilarants que je n’ai pas su choisir et les ai tous mis. Il y avait « Papy Jack en danseuse », et elles l’avaient vêtu d’un tutu rose et duveteux, avec sa moustache et son bandeau sur l’œil (qui pour nous était tout à fait normal… on était surpris quand on nous demandait « il a quelque chose à l’œil, ton papa ? »… il nous fallait toujours un moment pour comprendre ce qu’on voulait dire…), « Papy Jack fait de la gymnastique » (au trapèze, car à 78 ans il avait effectivement fait du trapèze devant elles alors que ma sœur blêmissait en silence…) et « Papy Jack nous lit une histoire ».

 

Puis, pour Lovely Brunette, je dois dire qu’ayant beaucoup de travail dans ma nef des fous, et étant dans une période madame est folle de rage, j’avais entamé la chose un peu à contre- cœur, mais qu’au fur et à mesure je riais tellement moi-même que… comment me priver de ce plaisir ?

 

p1100150Pour elle j’avais rassemblé tous les acteurs, personnages de BDs ou de films qu’elle avait aimés, ainsi que quelques membres de la famille parmi les plus spectaculaires. Car elle adorait – le mot est faible – le cinéma et nous lisions chaque semaine les « comics » publiés dans le journal, et certains comics américains. Le fantôme (et sa fiancée collante Diane Palmer), Juliette de mon cœur qui ne se mariait jamais, Tarou le faux Tarzan qui avait le mauvais goût de vivre en singlet, Johnny Weissmuller… Toute cette joyeuse troupe – y-compris la Diane Palmer du fantôme qui dans mon livret errait en bigoudis et charentaises dans la jungle en lisant « Bonne Soirée » – prenait part aux « aventures de Tarzanette », car petite c’était son jeu préféré.

 

Là aussi il aurait fallu un expert en décodage pour comprendre et la pauvre fut bien embarrassée quand d’aventure quelqu’un en lisait quelques pages et puis la regardait en se demandant s’il fallait en parler à son médecin. Mais elle et moi, ainsi que mon frère, nous en pleurions de rire.

 

La vieille Tarzanette de 80 ans n’avait rien perdu de son espièglerie…

Mon V-Day, mon B-Day

Toujours un Cap de Mauvaise Aventure que celui de mon anniversaire. Pas à cause des ans qui s’accumulent et du sablier qui se vide, non. C’est, je pense, quelque chose de mal oublié, de souvenir qui ne veut mourir comme une comptine enfantine très gaie que j’entendrais passer sous la porte dans une autre pièce… que je ne pourrais ouvrir.

6 ans, après une nuit de bigoudis

6 ans, après une nuit de bigoudis

Petite, ils étaient beaux. Je me levais pour aller à l’école et Mademoiselle avait fleuri ma place à table. Des fleurs s’enroulaient autour du dossier de ma chaise, jaillissaient de mon rond de serviette, entouraient la soucoupe de ma tasse de chocolat chaud. Et elle m’en avait fait une couronne. Je me souviens de l’odeur, de la rosée (ou pluie ? Mon souvenir est peut-être indulgent) qui les rendait fraiches, et du soleil que tout ça évoquait. J’étais vraiment fêtée. Je me sentais spéciale tout le jour, et recevais mes cadeaux au retour de l’école. On faisait une belle photo de moi au jardin, devant les fleurs, avec mon gâteau ou le chien ou chat. C’étaient vraiment des joyeux anniversaires.

7 ans ... tenue de classe

7 ans … tenue de classe

J’ai aussi eu deux goûters d’anniversaires dont je me souviens. Un où on avait organisé des courses en sac dans le jardin et aussi une course avec une pomme de terre dans une cuiller. Je perdais à tout, pas du tout adroite, mais je suis bonne perdante et n’y voyais pas d’humiliation mais juste la confirmation que j’étais née avec deux mains gauches et deux pieds bots. Lors de cet anniversaire, mes parents étaient encore ensemble, car mon père avait organisé une projection de films de Charlot dans le grand salon, et je ne sais pourquoi il y avait aussi eu un petit documentaire où on voyait skier quelqu’un…

8 ans avec la fidèle Kiddy

8 ans avec la fidèle Kiddy

Pour le second – mes 10 ans – j’avais invité quelques amies, c à d ma « meilleure amie » Titanic (la petite Annick), ma voisine Denise et son amie Marie-Hélène, et Christine, avec qui je n’étais pas tellement amie, mais peut-être ma mère et sa sienne l’étaient-elles.

En tout cas je me souviens que Christine m’avait offert un album des Aventures de Monsieur Lambique, et que mon frère était tombé amoureux d’elle. Comme il avait 8 ans ce drame avait pu se vivre en public dans le jardin entre un jeu de cache-cache et une ronde enfantine.

Et puis, ma nature a changé, et la vie aussi. Moins de joie à la maison – enfin, surtout : beaucoup de chagrin pour ma mère – et j’ai commencé à « cacher » la date de mon anniversaire. Je regrettais, sans doute, ma petite couronne de fleurs et mon trône odorant. Mes parents me l’ont toujours souhaité, comme je souhaitais le leur, mais j’ai vécu loin d’eux la plupart du temps (ou eux de moi…) et la couronne s’est fanée… a séché.

Je ne « sens » plus mon anniversaire. Et je ne sens plus celui des autres non plus, d’ailleurs. C’est devenu un jour comme un autre. Il a souvent, même, été pire que les autres…

10 ans - uniforme et chaussettes en entonnoir, avec Bari

10 ans – uniforme et chaussettes en entonnoir, avec Bari

Mais c’est mon V-Day, une année de plus toute pour moi, à vivre d’un bout à l’autre.

Septembre…

C’est le mois de mon anniversaire. Peu à peu je commence même à l’aimer. Car il paraît que nous sommes nombreux à ne pas aimer notre anniversaire. Je n’en révélais jamais la date, sans aucune coquetterie en fait… c’était un jour comme les autres je suppose, et ça l’est resté.

Je me souviens d’un goûter d’anniversaire alors que mes parents étaient encore ensemble. Donc peut-être le 5ème… On m’avait mis des bigoudis – tiens c’est peut-être pour ça que je n’aimais pas mes anniversaires : ma mère me mettait des bigoudis, torture nocturne pour un résultat qui m’horrifiait mais elle était absolument ravie. Ca me traumatisait tellement, ces rouleaux de fer, que j’ai plusieurs fois rêvé que j’allais à l’école … en pantoufles et bigoudis !

 

 

Trois ans... ma mère était folle de Shirley Temple

Trois ans… ma mère était folle de Shirley Temple

 

Six ans... j'ai survécu à la nuit de bigoudis

Six ans… j’ai survécu à la nuit de bigoudis

Mais pour en revenir à cet anniversaire, mes parents avaient organisé des jeux dans le jardin (saut dans un sac à pomme de terre – je suis tombée – et course avec une cuiller contenant une pomme de terre – elle est tombée). Puis on avait visionné un film dans le grand salon, je suppose un Charlie Chaplin mais je ne sais pourquoi j’ai le souvenir d’un skieur dans la neige. Quelqu’un a mis un bug dans mon souvenir.

Une autre fois on a invité d’autres « petites amies » (dont Titanic – petite Annick qui est toujours mon amie) et mon frère est tombé follement amoureux, tout l’après-midi, d’une petite blonde.

Mais le souvenir le plus merveilleux, il me vient de notre gouvernante Sibylla. Cet anniversaire tombait hélas juste après la rentrée des classes. Mais lorsque je descendais à la salle à manger pour le petit déjeuner, Sibylla avait parcouru le jardin dès son lever, sécateur à la main, comme une vestale matinale, et dans l’anse de ses bras avait posé des fleurs de toutes tailles, larmoyant encore de rosée. Puis elle en avait orné le dossier de ma chaise et entouré l’assiette, en enfilant même dans le rond de serviette. La salle embaumait du chœur sucré des pétales et feuillages, et je me sentais fière, débordante de fierté, alors que je prenais place. Rien n’était plus beau que cet hommage à l’éblouissante simplicité. C’était vraiment « mon » jour de fête.

Je ne sais même plus si je recevais mon cadeau à ce moment ou si on attendait le retour de l’école, et d’ailleurs je n’ai souvenir que de deux cadeaux : deux albums des Aventures de Bob et Bobette … un offert par mon père (Les mousquetaires endiablés) et l’autre par la blondinette (La trompette magique) qui bouleversa le cœur de mon frère le temps de quelques jeux.

Je réalise à présent combien cette mise en scène florale était un geste d’amour, qui ne coûtait rien et donnait tant. J’ai reçu, il y a quelques jours, un bouquet de jardin de solidago, et ai revu leur or flamboyant sur la nappe de cette petite fille qui avait bien de la chance…

Salon retouché

Dans son Herbier légendaire, Marie Gevers donne à cette fleur la même date anniversaire que moi…

Portrait retouché

Une beauté encombrante et un anniversaire

Ne vous méprenez pas. Je ne cherche pas un chœur de dénégations si je dis ici que, grâce au ciel, je n’ai jamais été une grande beauté. Non non, je n’étais pas moche non plus, et j’ai eu des  moments – instants, mois, années – de beauté mais bon… je me suis toujours vue comme faisant partie de cet immense club des « pas mal, plutôt bien ». Rien de plus. Et si je savais couper le souffle parfois (vous voyez que je ne suis pas si modeste que ça) c’était dû, surtout à mon grand appétit de vivre, de rire, de voleter comme une heureuse mésange.

A la demande de Delphine je vous joins une photo de moi à l’époque enfants des fleurs, 1976 à Aix-en-Provence. Les sandalettes et la chemise indiennes, le collier … apache, oui, apache, et reçu d’un Apache vrai de vrai rencontré dans mon p’tit restau favori, les cheveux libres comme la tête…

Mais quel privilège que de n’être que pas mal, plutôt bien. Et pas éblouissante, médusante, inoubliable… Quelle liberté. Ne pas devoir arroser, cultiver, préserver, garder, corriger une beauté extérieure que les autres ne veulent pas voir se flétrir, en éteignant par la même occasion tout ce qui illumine l’intérieur et donne au regard cette séduction scintillante et particulière. Pour autant qu’il y ait jamais eu de la lumière à l’intérieur …

Les rides m’ennuient, comme tout le monde, mais je les laisse témoigner de ma vie et de mon âge. Ma silhouette se disperse un peu aussi et je ruse à l’aide de « bonnes coupes » et bonnes teintes… Mais je reste moi. Je me ressemble encore.

Que ferais-je de moi si je me retrouvais avec ce ridicule sourire de poupée ventriloque contre lequel certaines ont troqué le leur, fatigué mais si typiquement à elles ? Que ferais-je si on disait de moi que mon dernier lifting est un succès ? Que resterait-il de ma joie de vivre si ma vie n’était plus que … sauver la façade ?