Quand je tenais mon imprimerie-copy-shop aux USA (où j’avais les fonctions de counter-girl, comptable, graphiste, psychologue pour les clients dingos et ouvriers-imprimeurs drogués ou alcooliques, contremaîtresse, Madame pipi, Madame devis, Madame factures, Madame réapprovisionnement, Madame folle de rage, Madame vous-allez-voir-si-vous-ne-payez-pas etc…), quatre grands évènements familiaux eurent lieu : une réunion de famille (à laquelle je ne pouvais participer, because la « carte verte » qui n’est pas verte), les 50 ans de mon « petit frère », les 80 ans de mon Papounet et deux ans plus tard les 80 ans de Lovely Brunette.
Et donc j’ai profité de ma position unique de madame aux commandes de cette nef des fous, et j’ai fait des cadeaux « personnalisés ». Les invitations et la carte généalogique proche pour la famille qui se réunissait, et des petits livres de folie douce pour les trois anniversaires.
Pour mon frère j’avais en fait écrit un mini-roman absolument palpitant intitulé « La belle de la rue Xhavée » (dont j’ai, comme on le voit, tiré mon nom d’auteur par la suite). La rue Xhavée est une rue bien connue de ma ville, Verviers pour ne pas la nommer, et « la belle » y vivait une journée insolite en rencontrant tous les gens que nous avions honorés d’un surnom depuis l’enfance. Elle rencontrait « Chille-Achille », la famille Castor, la « Petite Dingo » et « Printil » à qui elle achetait un crapaud pour le manger, chantait Arlequin dans sa boutique, parlait wallon autant qu’elle le pouvait, échangeait quelques mots avec « La justice de Dieu » et le marchand de cliquottes. Je lui rappelais aussi de truculentes anecdotes, personnages marquants et animaux aimés autrefois… Bref, ça ne pouvait faire rire que lui et moi – et Lovely Brunette qui était, ne l’oublions pas, responsable du gène fou-fou dont nous avions hérité – car personne n’y comprend rien, c’est plus obscur que le code des Navajos ou une grammaire tombée d’outre-espace. Au centre du livret, des photos et un petit mot de mon Papounet et un autre de Lovely Brunette…
Pour mon Papounet, chaque enfant et petit-enfant d’alors a écrit un texte et fourni une photo. Les filles de ma sœur étaient encore bien petites et ont fait des dessins tellement hilarants que je n’ai pas su choisir et les ai tous mis. Il y avait « Papy Jack en danseuse », et elles l’avaient vêtu d’un tutu rose et duveteux, avec sa moustache et son bandeau sur l’œil (qui pour nous était tout à fait normal… on était surpris quand on nous demandait « il a quelque chose à l’œil, ton papa ? »… il nous fallait toujours un moment pour comprendre ce qu’on voulait dire…), « Papy Jack fait de la gymnastique » (au trapèze, car à 78 ans il avait effectivement fait du trapèze devant elles alors que ma sœur blêmissait en silence…) et « Papy Jack nous lit une histoire ».
Puis, pour Lovely Brunette, je dois dire qu’ayant beaucoup de travail dans ma nef des fous, et étant dans une période madame est folle de rage, j’avais entamé la chose un peu à contre- cœur, mais qu’au fur et à mesure je riais tellement moi-même que… comment me priver de ce plaisir ?
Pour elle j’avais rassemblé tous les acteurs, personnages de BDs ou de films qu’elle avait aimés, ainsi que quelques membres de la famille parmi les plus spectaculaires. Car elle adorait – le mot est faible – le cinéma et nous lisions chaque semaine les « comics » publiés dans le journal, et certains comics américains. Le fantôme (et sa fiancée collante Diane Palmer), Juliette de mon cœur qui ne se mariait jamais, Tarou le faux Tarzan qui avait le mauvais goût de vivre en singlet, Johnny Weissmuller… Toute cette joyeuse troupe – y-compris la Diane Palmer du fantôme qui dans mon livret errait en bigoudis et charentaises dans la jungle en lisant « Bonne Soirée » – prenait part aux « aventures de Tarzanette », car petite c’était son jeu préféré.
Là aussi il aurait fallu un expert en décodage pour comprendre et la pauvre fut bien embarrassée quand d’aventure quelqu’un en lisait quelques pages et puis la regardait en se demandant s’il fallait en parler à son médecin. Mais elle et moi, ainsi que mon frère, nous en pleurions de rire.
La vieille Tarzanette de 80 ans n’avait rien perdu de son espièglerie…