Crapauds et serpents

La parole donnée à tous. Un bien, mais souvent aussi un gaspillage et la descente pour chacun dans ses purgatoires ou enfers personnels. N’est pas parleur qui veut. Ne dit pas bien qui veut. J’aime les réseaux sociaux, parce que j’ose penser que je m’en sers avec prudence. Certes j’y ai eu mes rencontres du genre Poltergeist, Amityville et autres dans des moments impétueusement candides et surtout, malgré le soin que je mets à éliminer tout ce que je n’ai pas envie de voir (et ça va des défilés de petits chats avec des rubans ou des fleurs sur la tête au massacres en abattoirs, en passant par mille et une autres délicatesses intermédiaires) je vois quand même passer, sur le réseau social qu’on ne nomme plus, pas mal d’horreurs, de fausses infos, d’appels aux boycotts et au ralliement pour bien des croisades.

Mais bon, j’y suis pour ce que ça offre de bon, des contacts très sympa (qui se sont parfois concrétisés, sans mauvaise surprise je le certifie la main sur le coeur), des échanges de soutien choisis, des rappels en douceur qu’untel ou unetelle existent et même… fêtent leur anniversaire, pas plus tard qu’aujourd’hui.

Mais il y a aussi cette banalisation d’une colère écrite, qui fait monter d’un cran – ou deux – ce qui était tolérable avant. Les gens qu’on n’aime pas sont des connards, des porcs, des criminels, méritent qu’on leur casse la gueule, on leur conseille de crever, on souhaite qu’il ou elle étouffe ou soit flingué(e). S’ils sont moches, alors là, alors que la bouche en cœur on affirme  que désormais un tas de mots sont inacceptables (grosse, laid, aveugle, noir…) pour les politiciens ou personnes en vue en disgrâce, rien n’est assez cruel pour les définir : grosse truie, tête de con, ivrogne

Ça, ça passe très bien. Mais gaffe à dire ça d’un sdf ou d’un chômeur.

Et cet exemple de grossièreté exprimée, qui devient en quelque sorte permission et en encourage d’autres (on est dans la surenchère, et bravo à la formule la plus abominable et innovante qu’on trouve), c’est comme un concours, on remplace The Voice par L’insulte qui tue ou Big Mouth. C’est, désormais, une sorte de norme.

On peut, pour minimiser la chose, se dire qu’il ne s’agit que de mots. Mais ça va bien plus loin, bien trop loin. C’est un peu comme si on libérait un, puis trois, puis quinze, puis cent gremlins furieux. C’est un tourbillon de colère, qui la rassemble, la centrifuge, et la répand en gouttelettes haineuses. Un concentré. Si on tombe dans ce tourbillon, on ne mesure plus rien, on est emporté et est immédiatement isolé de toute réflexion, pause, retour aux sources du problème. On a perdu ses billes…

On n’est plus capable de raisonner, on est dans la défense et l’agressivité en permanence. « L’ennemi » ne peut jamais rien concevoir de bon et lui aboyer des insultes est un monologue criard de roquet, dérisoire, dangereux pour ceux qui ne laissent plus sortir que des crapauds et des serpents de leurs bouches, comme dans Les fées de Charles Perrault…

On peut avoir une indignation justifiée, argumentée, être vraiment indigné et désirer combattre, mais ne fermer ni la mesure dans les propos (qui porteront mieux) ni l’objectivité. Sous peine de s’engouer et d’avaler les crapauds et serpents soi-même.

Pour être « parfaitement honnête », selon la formule consacrée dans ces cas-là, j’avoue avoir eu moi-même des jets grouillant de reptiles et batraciens se précipitant hors de ma bouche lorsque je vivais aux USA. Je n’avais pas tort d’être horrifiée devant ce qui m’horripilait, mais j’avais, naturellement, tort de donner à tout ça une force motrice qui m’avait presque transformée en gargouille humaine.

The Human Gargoyle. C’est à moi que ça a nuit, car ceux qui me mettaient dans cet état, eux, ils n’ont jamais changé…

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Le Jésus que j’aimais avait une vraie odeur

Lorsque j’étais au camp de concentration à l’école primaire, pour nous réjouir au cas où la mort aurait voulu de nous un peu tôt on nous promettait que nous serions assises près de Jésus au ciel et qu’on chanterait et prierait pour l’éternité. Je cachais donc soigneusement mon secret : j’avais bien l’intention de ne jamais mourir. Je n’aimais déjà pas prier une heure – chanter ça allait encore mais bon, je n’aimais qu’Il est né le divin enfant et Les anges de nos campagnes – prier pour l’éternité sous la surveillance de Jésus ne me disait rien du tout.

Dans chaque salle de classe on le trouvait sur la croix, l’air alangui et non pas mort en souffrance. Les joues roses et les yeux clos sur une absence de douleur suspecte. Ou marchant comme un mannequin, vêtu de blanc ou mauve avec des liserés or, les cheveux flottants et luisants comme pour une publicité de shampoing, rose comme un massepain cru de Noël. Dans mon petit livre de religion il était toujours figé dans une pose théâtrale, avec toge, manteau, des plis harmonieux que seul l’amidon ou un tissu riche et épais peuvent donner, dans des coloris fantaisistes. A part le fait qu’il avait une barbe et pas d’ailes, il était en tous points identique aux anges représentés.

Un personnage imaginaire. Autant que Peter Pan.

Il ne faut pas prendre les enfants pour des idiots. Aucun enfant ne pouvait croire que cet homme pâlichon qui gardait un bras levé et les doigts féminins joliment inclinés, les pieds propres et les joues colorées… était un leader, le fondateur d’une religion, un homme capable de tenir tête, de s’imposer. Ca ne tenait pas debout. Comment cet homme à la peau délicate pouvait-il avoir résisté au diable dans le désert ? Le diable n’est pas n’importe qui, tout de même!  Il est velu, cornu, ses yeux sont jaunes, sa queue fend l’air et est fourchue, il sent très mauvais, ricane en postillonnant, a des ongles de mandarin et ses sabots font des étincelles au sol quand il s’impatiente – ce qu’il fait en permanence. Et en face de lui, Jésus tout d’ors et  pastels vêtu, le pied sans cors ni poussière, la barbe peignée lui aurait tenu tête ? Allons donc !

Comment aurait-il pu sauver la femme infidèle de ceux qui, la pierre à la main déjà levée, veulent obtenir justice, cet homme ? Après tout, il s’opposait à une loi qui existait et qui était même considérée loi de Dieu. Et voilà qu’il ne contestait pas la loi, ni ne diminuait la faute de la femme, mais subtilement faisait remarquer, à des hommes bien-pensants et indignés, que tous nous avons quelque chose à nous reprocher et pourrions aussi tomber sous la loi de Dieu… appliquée par les hommes. Sa parole devait être puissante, bien démontrée, sans faiblesse. Il devait être convainquant, et a sans doute dû calmer son auditoire échaudé quelques fois.

Je préfère de loin ce vrai Jésus, l’homme de chair, de sang, de colères, passions, compassions, mission. Sage mais pas naïf. Qui n’est pas mort tout alangui comme si un miracle lui enlevait la douleur et sa laideur, mais le faciès grimaçant, se plaignant bien fort à son père parce qu’il se sent abandonné. Souffrir autant… sans secours… même lui a son moment de fureur. Et il demande à son père, malgré tout, de pardonner à ceux qui ne savent pas ce qu’ils font. Fureur, désespoir, amour. Un homme qui vit sa mort. Un homme torturé, la peau en sueur, le sang engluant son corps, les yeux brûlés par les larmes, la poussière et la peur.

Gustave Doré

Et puis, Jésus est bien celui qui a chassé les marchands du temple… à coups de fouet ! Pas en leur faisant un sermon, non. Tchac tchac tchac ! Furie. Le fouet qui siffle, qui déchire épidermes et robes, arrache des cris de frayeur et de douleur. Ca fait mal, le fouet. Et il le sait. Il est indigné et sa main administre la morsure sans pitié. Ses cheveux roux, sans doute un peu emmêlés, dansent autour de son visage rougi comme une crinière de feu. Ses mains sont robustes, abîmées – il doit quand  même faire autre chose que prêcher pour vivre ! Il a des cals, des coupures, des ongles cassés. Il pêche, il dépèce, il découpe, il allume des feux… Et dans ce temple profane il crie. Il est hors de lui. Son visage est coloré et ses traits crispés. Celui-là est un leader, un fondateur de religion.

C’est lui aussi qui calme Marthe, son amie pourtant, lorsqu’elle se plaint de ce que sa jeune sœur Marie n’aide pas et l’écoute alors qu’elle, Marthe, se met en quatre pour que tout soit parfait. Il prend le parti de Marie, contre Marthe qui pourtant, connaissant la fascination qu’il exerce sur sa jeune sœur, sait que lui seul pourrait avoir une influence sur la situation. Et lui… Eh bien… il ne la soutient pas, trouvant qu’au fond… la jeune Marie a la meilleure part et fait le meilleur choix.

Il aime le vin, aussi, ou tout au moins trouve qu’une noce bien réussie se doit d’être bien arrosée. Il ne vit pas d’air, de pain sec et de prières….

Ah non, le Jésus en pâte d’amande … il ne me disait rien qui vaille….

J’aimais celui qui sentait un peu l’humain, et que l’indignation pouvait transformer en indigné, et que le manque d’ouverture d’esprit pouvait transformer en sage. J’aimais le vrai Jésus.

Scenario pour film de série B : le plat volé

Hier et les jours d’avant, j’ai cousu. Cousu main car je n’ai pas de machine. Donc je couds à petits points, et ça me prend des heures. Et ça me dentelle le bout des doigts, d’autant que je ne trouve pas mon dé. Pour avoir l’impression de « faire quelque chose »… je regarde d’un demi-œil toutes les 10 secondes un de ces charmants téléfilms qu’on donne l’après-midi. Il y a toujours le couple parfait mais en difficulté quand le film commence (ils vont se réconcilier après avoir compris qu’ils n’aimeront jamais personne d’autre, et le mari en général est estropié, car une maîtresse bi-polaire lui a tiré dessus, ou a voulu noyer sa femme, égorger sa charmante petite fille…), bref, le scenario est toujours le même et en général la meilleure amie de la femme couche aussi avec son mari.

C’est pour ça que ce n’est pas difficile à comprendre en cousant aux petits points.

Et sur la même journée et la même chaîne deux films se suivant montraient la « folle de service » hurlant de rage dans le secret de sa voiture en tabassant son volant de façon vraiment exagérée pour une dame sexy et roucoulante la minute d’avant… Mais bon…

On se dira que c’est poussé, hein.

Et pourtant j’en ai connu une. Bien qu’elle n’était pas sexy, non. Pas du tout. Mais c’était quand même aux USA. Et ça n’a pas bien fini pour elle, je dirais même que toute l’histoire est plutôt triste mais que je ne suis pas près de l’oublier !

Mon mari et moi habitions un appartement que j’adorais, dans une large rue arborée, entouré de pelouses plantées de superbes magnolias, avec une entrée art déco du plus beau genre – porte métallique à belles découpes et le numéro de rue en couleurs sur le verre -, un hall de marbre et de superbes boîtes aux lettres de cuivre très vintage, de beaux parquets, des appuis de fenêtre en bois gigantesques, des cache-radiateurs à trou-trous, et des couloirs et escaliers très larges recouverts de beau tapis rouge. De grandes caves dans lesquelles on avait quatre machines à laver et quatre séchoirs, et Jack, un chat lécheur et amoureux de tout le monde. Quatre appartements par étage, quatre étages. Pour que ça continue de vous éblouir je passerai sous presque silence le concierge, un Serbe ignoble, avec qui je me suis disputée dès le jour de mon arrivée et qui a fini par devoir quitter l’immeuble menottes aux poignets, suivi par une épouse américaine en larmes et enceinte jusqu’aux sourcils, couverte de bleus et peut-être une dent branlante dans sa bouche tuméfiée.

Un jour, nouvelle voisine en face. Je ne la vois – ou ne la remarque pas – pendant tout un temps mais un soir elle frappe chez moi, haletante et les yeux fixes, me disant qu’un homme l’avait suivie en voiture jusqu’au parking de l’immeuble, et qu’elle avait prévenu la police. Je l’ai donc remerciée.

Puis je la vois de plus en plus souvent sur le palier, et suite à cet incident nous sommes en mode bonjour-bonne soirée, ça va ? Elle me dit que ça sent toujours tellement bon chez moi, qu’elle aime la cuisine du vieux monde, mais qu’elle ne cuisine pas car elle vit seule.

Ce qui fait qu’un jour je fais une grosse bêtise : je la convie avec un trio auquel je devais une invitation, me disant que ça lui fera de la distraction. Je frôle la crise cardiaque quand, à la bénédiction du repas (le trio était du genre Jésus is my Savior Every Minute of my Life, Let’s Pray and Pray even More et ils ont pratiquement imposé cette bénédiction ) elle a cavalièrement demandé à Dieu de trouver un bon travail pour un des trois qui en cherchait un, avec un salaire minimum de $ 30 000 par an, et qu’il rencontre une jolie et gentille compagne. Mais bon…

Par la suite, elle s’est mise à frapper de plus en plus souvent chez moi avec… deux verres de vin remplis dans les mains, ce qui m’obligeait à la faire entrer, s’installer et boire le vin avec elle, lui jurant que ça ne me dérangeait pas du tout. Et elle me parlait de sa vie, tandis que mes cheveux se dressaient sur la tête comme une haie de bambou : une force invisible lui avait suggéré qu’elle devait chercher du travail à New York car c’était là que se trouvait son futur mari, elle le savait. Et, faut-il s’en étonner?, à la première place où elle s’était présentée, elle l’avait vu, lui. Son futur mari. Elle l’avait senti en le voyant et il avait bien dû le sentir aussi puisqu’il l’avait engagée. CQFD.

Les visites imposées se succédaient, soit les verres de vin, ou des crabcakes fraichement cuits, des courgettes panées, des plantains frits etc. En me précisant que la coutume voulait que si on recevait un plat avec de la nourriture, on devait le rendre … avec de la nourriture. Ainsi on n’en finissait pas, sauf si je me décidais à lui offrir un cake au cyanure. Quand mon père est venu pour quelques jours elle a frappé avec une bouteille, les verres et le tire-bouchon, j’ai dû lui dire que nous avons de la visite (ce qu’elle savait) et qu’on voulait rester en famille. Bref, c’est devenu un pot de colle. Et sourd comme ceux qui ne veulent entendre.

Le plat volé

Le plat volé

Mon mari et moi n’osions plus allumer dans l’entrée car elle guettait notre retour et You houh ! On rentrait comme des voleurs à pas de loup, n’allumions plus, mettions le volume de TV au minimum, et j’ai enfin poussé la monstruosité jusqu’à… ne pas lui rendre son dernier plat. Bref… je l’ai volé. C’était ça ou le cake au cyanure.

Finalement elle ne me disait plus bonjour ni bonsoir et me fixait avec de méchants yeux furieux et étrangement fixes. Mais d’autres nouveaux voisins ont emménagé juste à côté d’elle, un jeune couple avec un bébé. Elle s’est empressée de les welcomer en grande pompe et s’offrit à garder le bébé etc.. Et puis ils ont compris, et ne lui ont plus ouvert, comme nous. Un jour je l’ai surprise qui martelait leur porte en hurlant comme une damnée « je sais que vous êtes là ! Ouvrez ! Je ne partirai pas si vous ne me parlez pas !!! ». Ils n’ont pas ouvert malgré le temps assez long qu’elle a consacré à ce délire. Elle a alors eu des ennuis avec sa voisine du dessous car pour expurger sa colère elle faisait du vélo d’appartement comme une folle furieuse au milieu de la nuit, faisant danser le lustre et le plancher comme un mammouth au galop…

Son futur mari l’a licenciée, elle a cessé de payer son loyer, pédalant à toute allure jour et nuit. Et un jour on l’a expulsée, tous ses meubles déposés sur le trottoir.

Tout ce qui me reste d’elle est cette méfiance qui me restera toujours envers les gens trop familiers, et le plat volé…

Mais où a donc fini l’indépendance d’être et de penser ?

Les réseaux sociaux sont agaçants, utiles, addictifs parfois, et en tout cas ils font partie de « notre époque ». Qu’on les aime ou pas, on n’arrêtera pas le phénomène, qui trouvera sa mort ou ses métamorphoses sans doute de manières que nous n’imaginons pas.

Car rien n’arrive jamais comme on l’avait conçu, même si Jules Vernes et Nostradamus semblent me donner tort, mais si le bon Jules avait bel et bien imaginé dans quelle direction les inventions se dirigeraient – comme Leonardo dà Vinci, d’ailleurs – leur revers de médaille n’avait pas été envisagé. Quant à Nostradamus… heureusement qu’il a ses interprètes une fois chose faite…

Bref, ce que je voulais dire est que les réseaux sociaux mettent en évidence la fragilité humaine embarquée dans un grand show, d’une longue file indienne de lavés du cerveau qui n’en finit pas…

On pourrait se trouver dans de jolis salons de discussion, entre gens éclairés et éclairants, que ce soit dans du résolument ancien ou du résolument moderne, mais en tout cas avec ceci en commun : l’ouverture d’esprit et le plaisir de la découverte des autres. Car les autres sont une multitude enfin à notre portée : ceux qui aiment la musique, les animaux, la nature, les promenades, les livres, le bien manger, la philosophie… de quoi varier les discussions à l’infini. Mais il s’agit trop souvent de salons de disputions.

Car on a surtout les justiciers en colère contre tout. Pas d’amalgame disent-ils mais les flics sont pourris, le gouvernement corrompu, tel discours sent la récupération politique, tel autre est une insulte aux femmes, émigrés, migrants, noirs, jaunes, animaux, chômeurs, pensionnés, handicapés… et la liste n’a pas de fin. Un rouleau de papier WC collé à deux autres n’y suffirait pas. Il est interdit d’interdire, disent-ils mais on devrait interdire les radars routiers, la viande, la chasse, les contrôles dans la rue, les marches blanches, les arbres de Noël, les statues de Jeanne d’Arc… Là aussi, la liste ferait le tour du monde.

Et gare à qui ose lever un doigt tremblant et dire « mais il ne faut quand même pas oublier que… », la réaction est parfois plus que déconcertante. Ce n’est même pas un sobre « réfléchissez voyons, que dites-vous de… ? », non, c’est une bordée d’insultes rageuses et franchement, je me dis souvent « Dieu fasse que ces gens n’aient jamais un uniforme et une arme, sans quoi on serait vite le dos au mur et les yeux bandés pour avoir eu un col de fourrure sur son manteau à 10 ans ou avoir été enfant de choeur. Ne parlons pas d’avoir mangé un steak à midi ou d’avoir eu un ancêtre toréador…

Dialogue ? Pas question, c’est à celui qui hurle et insulte le plus vigoureusement ». Sourd à tout ce qui ne sort pas de sa bouche (de gargouille…). Tout est blanc ou noir. Ceux qu’on n’aime pas parce qu’ils sont communistes, aristos, prolos, féministes, bobos, passéistes, vieilles biques, ou quoi que ce soit ne peuvent jamais, jamais, jamais, avoir une opinion intéressante. Un point de vue qui mérite l’arrêt-réflexion. Non. Ce sont les mauvais, et donc rien de bon ne peut sortir d’eux. Et qui n’est pas avec eux ou refuse le full-package est un ennemi.

Je pèse mes mots. Les vulgarités monstrueuses utilisées pour « définir » les esprits contraires sont aberrantes. Mais que des « parents disent ça devant leurs enfants » leur mérite la suppression des droits parentaux, hop hop au créneau avec drapeaux et slogans.

Faudrait savoir, les gars.

Kate Pfeilschiefter

Kate Pfeilschiefter

Haine et suffisance dominent les commentaires, soi-disant des « échanges ». On ferait mieux que tout le monde, surtout que les dirigeants (et on ne s’explique pas pourquoi dans ce cas « on » est sans emploi depuis des lustres, ou que les « amis » se détournent inexplicablement, ingrats qu’ils sont), et il suffirait de demander à qui sait tout (suivez mon regard et mon statut….). On se rue sur les « échecs » de vie de ceux qu’on n’aime pas (leurs divorces, leurs pertes d’emploi, leur mauvaise santé) pour absoudre les mêmes échecs chez ceux qu’on a la générosité d’aimer. Ceux-là… on aurait fait comme eux, ils n’en peuvent rien, la société-la vie-le monde du travail-les familles décomposées et infâmes-la maladie si injuste…

Il faudrait surtout ré-apprendre à avoir son opinion, ne pas faire partie d’un groupe vociférant nous avons raison, ne pas tout aimer ou tout haïr de tout, croire qu’un régime alimentaire (qui peut en effet être miraculeux pour certains) est la panacée pour tous comme si on était des clones les uns des autres, se défendre des mouvements « de foule au clavier », des « si tu as un cœur mets ceci sur ton mur » ou « je sais bien que les gens sans courage ne partageront pas mais… ». On se moque des guerres de religions et des esprits étroits, mais… qu’est-ce d’autre ?

Personnellement j’aime les réseaux sociaux, même si c’est aussi une cause d’agacement très souvent, mais je « zappe » mentalement sur bien des choses, et n’ai pas un moment d’hésitation à bazarder un « ami » qui devient plus nuisible qu’un taon. Mais on y observe de terribles frustrations.

C’est aussi, finalement, un test d’indépendance. Et de « laisser pisser le chameau »….

Folle et méchante

Oui, c’est sans doute l’impression que j’ai laissée à mes « clients » américains, ceux qui eurent la malchance de franchir le seuil du copy printing shop que je gérais dans le New Jersey. Mais moi… je suis du Vieux monde et eux ils sont du Nouveau n’est-ce pas, un nouveau monde où trop souvent l’argent est roi, empereur, tyran, dictateur, effaceur de toute noblesse. Celui que l’on paie pour un service, est souvent assimilé à celui qui est moins que celui qui paie puisqu’il a « besoin de cet argent », et on oublie qu’on a besoin, en revanche, de ce qu’il sait faire, que c’est un échange équilibré d’offre et de demande, qui devrait instaurer une relation de respect mutuel. Il n’en est rien, très souvent. Surtout dans la « classe moyenne » où il est tellement agréable de se sentir supérieur pour quelques billets bien sales et chiffonnés.

Dans l’ensemble, j’ai détesté mes clients. Vraiment.

Des exemples ?

Le type qui me fait faire des cartes de visite où il spécifie « free estements ». Estements n’existe pas, il voulait dire estimates. Je corrige, et il m’engueule : je suis une étrangère qui ne sait même pas parler l’anglais, j’ai pris sur moi de corriger quelque chose qui était juste en me croyant mieux que lui parce que je suis « française » (ben non…) etc etc…

J'ai quand même vraiment l'air gentille là, non?

J’ai quand même vraiment l’air gentille là, non?

La jeune noire (et ne croyez pas que le racisme ne soit que dans un sens, j’ai eu droit à tout dans ce rayon…) qui vient pour me faire dactylographier son cv en urgence. Oui, ils paient pour ça. Bon. Normalement on n’accepte qu’une ancienne version dactylographiée, et on ajoute ce qu’il faut, car leur orthographe et écriture attendent encore un décodeur. Mais mademoiselle avait gribouillé tout le cv sur un vieux papier et en avait besoin le jour même à trois heures. Je lui dis de venir un peu à l’avance car j’aurai certainement des mots mal lus ou mal compris. Elle me verse des arrhes, et je me lance dans la description idyllique de ses talents : Infirmière psychologique, elle a une patience remarquable. Précise, douce, disponible, enfin elle a tout pour elle. Lorsqu’elle revient, je lui dis « ah je suis contente que vous soyez à l’avance car j’ai deux ou trois points à vérifier avec vous (on ne parlera pas de l’orthographe… apocalyptique). Et la douce jeune fille me dit, les yeux haineux « je le savais que je ne devais pas venir chez une blanche, vous êtes une idiote et n’y connaissez rien ». J’ai été tellement prise de court que j’ai pris son cv, l’ai déchiré, lui ai rendu son acompte, et ai dit « bonne chance pour votre entretien ». (Mon mari se cachait soigneusement derrière la grosse machine offset… ). Elle m’a jeté à la figure tout ce qui se trouvait sur le comptoir, folle de rage, et est sortie en hurlant qu’elle allait me botter le train. Ravie je lui ai dit «ha ha ha… infirmière très douce et patiente… »

Le monsieur qui vient pour des cartes de visites, de celles qu’on sous-traitait. Il y avait donc un album où choisir le papier, la police, la taille, les couleurs etc. Comme il n’y en a jamais eu un seul qui soit assez intelligent pour remplir le formulaire, et que comme des enfants ils demandaient que je les aide, il m’a tenue au moins un quart d’heure, se créant une chose monstrueuse, avec des polices et tailles différentes, des italiques et des caractères gras ici et là, et deux couleurs. J’avais beau lui dire que ça serait moche, monsieur pensait être un artiste créatif, et insistait. Bien entendu, quand il est venu les chercher… il m’a regardée d’un air désolé et m’a dit « Oh… je ne les aime pas. Que pouvez-vous faire pour rendre votre client heureux ? »  Tiens donc, ça n’a pas tardé : « Rien ».

La fille, noire elle aussi mais rien de raciste, ceci dit la parfaite emmerdeuse qui paie et donc a droit au tapis rouge et l’orchestre discret dans un coin de la pièce. Elle voulait UNE copie de son CV exceptionnel sur beau papier. Qu’avez-vous ? Beige, bleu clair, blanc, gris. Je peux voir ? Me voici sortant toutes les boites. Elle hésite longuement, il est vrai que toute sa vie professionnelle en dépendait ainsi que celle des nations sans doute, ou de la planète. Elle finit par opter pour une couleur. Je lui fais donc la copie, et elle déclare que c’est un peu pâle, puis-je augmenter la tonalité ? Or c’était parfait. Je fais donc semblant de changer le setting, et recommence, et elle me déclare que maintenant c’est parfait. J’ai passé dix minutes pour gagner 5 cents… Comme elle voit que je suis pressée d’en finir, elle me dit « mais… vous ne voulez pas que votre client soit content et revienne ? » Je n’ai pas pu m’empêcher de lui dire, « non ».

Le type qui arrive de nulle part dix minutes avant la fermeture et a besoin avec la plus grande urgence de cartes de visites pour ce soir. Je lui dis que nous fermons, que ce n’est pas possible (en fait, comme il n’était pas question de sous-traiter dans l’urgence, il aurait fallu se mettre d’accord sur le type-setting, les imprimer, attendre que l’encore soit sèche avant de couper sinon ça offsette, et il y en avait au moins pour trois heures ou plus. Pour 50 dollars. Il insiste « et si je vous donne 50 dollars en plus ? » « Non, désolée, ce n’est pas faisable… » « Oh, il y a bien des gens qui seraient d’accord de travailler plus tard pour un extra de 50 dollars »… Eh bien pas moi, et ne pas revoir ces imprévoyants qui mettent la charge de leur stress sur les autres, ça valait 50 dollars !

Ils sont souvent payés à la semaine, ce qui les rend en effet imprévoyants puisqu’ils n’ont que des fins de semaine difficiles, n’ayant pas à planifier pour un mois. Les super marchés sont ouverts 24h/24, et donc là non plus, pas besoin de prévoir. Et tout est en faveur du client, qui ainsi est devenu capricieux et insupportable, irresponsable, comme Clément, un Nigérien avec qui pourtant j’ai fini par devenir amie mais qui avait eu le toupet de me dire que c’était ma faute s’il n’avait pas eu des affichettes pour sa cérémonie à l’église (il était pasteur) parce que j’avais refusé de les faire, là aussi il était venu en dernière minute. Je l’ai enguirlandé, lui expliquant que c’était sa faute, uniquement la sienne, et comme il s’est excusé une fois qu’il a compris, je lui ai dit « mais Clément, ne t’excuse pas, change ». Ravi il m’a dit plus tard qu’il avait reservi ça à ses ouailles à l’église : ne vous excusez, pas changez. C’est peut-être maintenant en lettre d’or à l’entrée de son église, qui sait ?

Josef, un Russe abominable, méchant avec sa femme, fraichement arrivés de Russie. Sa femme était charmante, et lui immonde. Dès qu’elle a eu sa nationalité américaine, elle l’a largué (bien fait !) et lui a échoué à la dictée. Trop difficile pour lui : I have a little brown dog. Je me demande comment il a trouvé moyen de l’écrire pour échouer. Mais j’avais pris la bonne habitude de lui répondre, ce qu’il détestait et lui faisait froncer ses abondants sourcils roux sur des petits yeux furieux. Don’t be grumpy with me, Josef. Et il n’avait pas le choix sinon je refusais de le servir. Et on le virait partout…

Dzon’, un Grec tout aussi immonde qui pensait s’appeler John mais se présentait fièrement comme Dzon’. Toujours en maladie, en dispute avec ses voisins, polémique, désoeuvré, mal ici et mal là et en tout cas toujours trop mal pour travailler. Un jour dans le magasin, il a pris à partie des clients en vociférant contre les noirs et tous ces gens bizarres qui arrivent ici, et qui changent la race, car lui, il espérait bien que dans 40 ans… les gens seraient encore tous comme lui, et pas de toutes les couleurs. L’autre cliente et moi avons eu du mal à ne pas passer par… toutes les couleurs et tous les fous-rires : il était affreusement laid…

Les flics locaux qui me demandaient si j’offrais une réduction aux policiers (jamais… pourquoi ?), qui venaient photocopier de faux diplômes, pas gênés pour un sou, avec des collages où ils ajoutaient leur nom. Et puis ils venaient pour collecter pour leurs collègues « morts en action » alors que s’ils étaient morts en action, ça devait être d’indigestion au Willie’s Diner où ils avaient leur QG, toujours à se goinfrer de cafés et des doughnuts. Rien ne les décollait de là. On pouvait d’ailleurs faire une « donation » vivement conseillée à la police et on recevait un sticker qu’on mettait fièrement sur sa voiture, je soutiens la police de ….  et en échange, eh bien on nous fichait la paix lors des infractions légères… Je ne voulais pas de ce laisser-passer… et ainsi ils ne venaient pas chez moi, youpidou !

Par contre, comme je l’ai dit, certains clients, les gentils, les bien élevés, les stricts et honnêtes, ils m’aimaient beaucoup. Je vois encore cette dame qui était en pleine déprime à la mort de son mari et que j’avais prise dans mes bras… elle revenait chez moi parce que j’étais si gentille… (Vous voyez bien !). L’autre petite dame âgée noire adorable, sortie d’un cartoon de Walt Disney, maigrelette et en tailleur pimpant avec un drôle de chapeau rouge sur lequel dansait une grosse fleur dressée. Elle avait un problème pour marcher : elle cavalait (ne savait pas marcher normalement) mais ne pouvait redémarrer si elle devait s’arrêter pour ouvrir une porte ou franchir un obstacle (une bordure une marche etc…). Je la voyais et sortais toujours pour l’aider et pourtant, c’était une très « petite cliente » qui ne venait que pour des billets de tombola de sa paroisse. Magdalena, une autre noire, toujours bien mise et polie, mais enlisée dans des dettes, à qui je faisais payer moitié prix pour les fax qu’elle était obligée d’envoyer chez son usurier qui lui prêtait de petites sommes à 174% d’intérêt. Oui ! Sonia, une Russe fraichement arrivée qui m’embrassait et m’a apporté un gâteau pour les fêtes…

Ou mes clients-dépanneurs d’ordinateur, Al et Kasai « du magasin d’en face »… Leur rendre visite et vider mon sac nous faisait bien rire et me remettait d’aplomb.

Al

Kasai

Kasai

Bien entendu, ces clients-là… c’étaient des pépites, et sans eux j’aurais sans doute commis un meurtre. Ou deux. Je serais devenue une serial killer.

Quetzalcoatl, mon ange-gardien

Parce que de plus en plus je me dis que c’est une métamorphose singulière mais pas unique – plusieurs personnes l’ont vécue -, j’ai décidé de partager deux épisodes Edmée Jekyll et Edmonde Hyde.

Je ne dirai pas les circonstances exactes de ces expériences « hors de mon corps », parce que c’est personnel et pas intéressant en soi.

Je suppose que j’ai un ange gardien très guerrier mis de faction en surveillance de sa petite protégée en danger, moi. Le serpent à plumes. Le genre qui fait ses exercices de musculation chaque matin, avale des chapelets de vitamines, connaît les secrets du Kung Fu, du Tae Kwon do et de tactiques de lutte secrètes connues uniquement des anges.

Je me suis un beau jour trouvée en situation de danger, et donc de colère. Quelqu’un m’avait insultée – très gravement – et menacée de quelque chose de très peu engageant. J’ai tenté de tout simplement m’en aller, comptant sur le fait que la personne qui m’avait amenée chez ce malotru immonde me suivrait, que nous n’y retournerions jamais plus, et que tout en resterait là. Mais voilà, j’étais très mal accompagnée, faut-il le dire, vraiment plus que mal, et me suis retrouvée hors de la maison, seule, la nuit tombant, loin de tout (la voiture étant la possession du valeureux mollusque qui m’avait conduite là).

J’ai alors commencé à appeler, appeler, appeler, sans aucun succès. J’ai monté d’un ton – rien ne vaut d’être polie avec des malfrats. Et d’un autre. Quand les décibels sont devenus inquiétants pour l’hôte sulfureux, il est sorti de chez lui, indigné, m’accusant d’ameuter les voisins (qui existaient bien sûr… mais plutôt loin, car en pleine campagne), et me sommant de m’en aller (à pied, sans le mollusque, dans le noir, guidée par le son du clocher de l’église au loin… mais c’est bien sûr…).

Et là, mon ange gardien s’est manifesté. Hérissé comme Quetzalcoatl, les plumes crissant de colère. Il est descendu en moi et véritablement, j’ai senti une force surhumaine se répandre dans muscles et pensées, j’ai saisi l’ennemi par le cou, oui par le cou, et l’ai … soulevé du sol. Je suis incapable de soulever ne serait-ce que 10 kgs à bras tendus et maintenir la prise, et l’ennemi, même s’il n’était pas André le géant, devait en peser 80 ! Hop, je l’ai hissé sans effort et lui ai dit calmement : « maintenant vous allez me rendre le mollusque et nous laisser partir sinon je vous tue ». Et puis je l’ai déposé, pantelant et livide. Je n’y ai pas été par quatre chemins. Ce n’était pas : sinon je vous casse la figure, je vous coupe le nez, je vous dénonce, non. Je vous tue.

Avec un couac il nous a libérés.

Et la seconde  fois, suite à un épisode dont Stephen King m’achèterait volontiers les droits, j’ai eu à nouveau conscience d’être en danger immédiat, et suis allée à la police pour demander de l’aide à m’enfuir d’où j’habitais avec au moins mes papiers et des vêtements, en toute sécurité. Le policier de service, compatissant comme un boulet de prisonnier, me dit sur un ton le règlement c’est le règlement « madame, vous choisissez, c’est ou votre vie ou vos affaires ! ».

Sans un bruit, mon serpent à plumes est à nouveau descendu en moi de mille coups d’ailes furieuses, m’armant d’indignation et de colère très bien canalisées : j’ai saisi le loustic lui aussi par le cou – il était plus frêle que le précédent ennemi mais bon…  En tout cas je suppose que mon ange-gardien trouve que je m’en sors bien dans cet exercice d’étranglement et pourquoi innover sans cesse ? – et lui ai soufflé au visage qu’il était payé pour défendre et nos vies et nos biens, et… qu’il allait le faire ! D’un ton qu’on ne discute pas.

Deux policiers étaient au fond de la pièce, cherchant à se fondre dans la tapisserie et déterminer le sexe de la mouche qui volait contre le globe du luminaire, et on les comprend. Le loustic, quelque peu chancelant, leur a dit, sans se tourner vers eux : allez avec elle.

Je n’ai eu l’assistance de ce serpent à plumes que deux fois. Je fais peu de colères, mais elles sont redoutables car ne surgissent qu’en cas de grand danger, et j’ai pu vérifier dans le regard des adversaires qu’elles ont fière allure.

Mais ces deux-là sont les plus belles, elles ont le plumage de Quetzalcoatl !