Après tout, c’est du cinéma

Confinement oblige (ou pas…) « le petit écran » m’a attirée plus souvent. Attirée, façon de parler, mais bon, il y a bien des choses à faire qui ne monopolisent pas l’entièreté de mon cerveau, comme nettoyer l’argenterie, laver les bibelots, raccommoder, repasser, cirer certaines choses (au choix, ou tout, ou d’autres choses encore…) et si alors je m’adonne à ces joies ménagères devant le petit écran, j’ai la joie de penser que… je fais deux choses à la fois. Une activité débordante, en somme…

Donc, une fois de plus j’ai pu aussi analyser le mauvais travail des scénaristes, regrettant les invraisemblances d’autrefois qui étaient malgré tout moins flagrantes.

Aujourd’hui, mise au parfum par les téléfilms américains ou séries (je suis fidèle aux Feux de l’amour puisque je mange face à Victor tous les jours, juste pour ne pas manger en face du mur. Victor est malgré tout un niveau au-dessus, et tous ces mauvais ignobles réunis dans une seule série, ça donne l’impression que la vraie vie est comme la Mélodie du bonheur…), j’ai réalisé que :

  • Le serial killer n’a jamais le moindre mal à entrer dans une maison car il y a l’imbécile de service qui a laissé une fenêtre ouverte ;
  • L’audacieuse enquêtrice rusée ne manque pas de faire tomber quelque chose en se dissimulant aux yeux des mauvais, ce qui donne l’occasion d’une poursuite haletante ;
  • D’ailleurs, toutes les actrices américaines de série B semblant avoir arrêté leur croissance à 1,25 m, et donc porter des échasses, la dite audacieuse enquêtrice – ou la proie terrifiée du serial killer – trouve pourtant le moyen de courir plus vite que le grand dadais armé qui la poursuit, surtout dans les escaliers et les sous-bois ;
  • Personne n’est ce qu’on croit qu’il est. Surtout l’homme ou la femme séduisante. Et son ou sa partenaire crédule a des œillères de cheval de trait ;
  • Méfiez-vous des baby-sitters ou des jeunes hommes à tout faire, on ne vous le dira jamais assez : ils installent des caméras et veulent voler votre parfaite petite famille ;
  • Dans ces maisons somptueuses avec piscine, 600 € de fleurs fraiches quotidiennes au salon, et où il faut des lunettes noires pour se protéger des étincelles de propreté, pas de personnel, juste la souriante maîtresse des lieux qui cuisine uniquement des spaghetti bolognaise après avoir haché menu un peu de céleri. Son mari s’évanouit de plaisir en goûtant la sauce (en boite) ;
  • Les gens les plus simples sont des génies informaticiens, et peuvent hacker sans problème le site de la nasa s’il le faut… Il faut quand même préciser qu’en général ils ont des lunettes et un peu d’acné, mais ils sont très utiles et héroïques dans l’histoire ;
  • Dans les petites villes les plus reculées on trouve un célibataire moulé au fitness qui n’attend que l’arrivée de l’héroïne arrivant de New York et qu’il séduira à coups de couchers de soleil et de yodeling dans la paille… Oy la la you houuuuuuu !
  • Les femmes ont plus d’extensions que de vrais cheveux, et les hommes ont les sourcils épilés ainsi que le torse, souvent… Les poils font désordre, c’est ainsi que je le comprends…

Bref… On continue de s’instruire, non ?

Bon confinement, tant que nous ne confinons pas à la folie tout ira bien…

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Les abandons silencieux

Plainte au manque d'amour - William Bouguereau 1899

Plainte au manque d’amour – William Bouguereau 1899

Ils sont là, fidèles au poste,  jouant avec maestria l’époux ou épouse irréprochable. Les projecteurs  les chauffent presque à blanc dans le rôle du grand bafoué d’une pièce au scenario bien cruel. Car on les a trompés, ou quittés ;  on leur a crié dessus avec impatience devant des témoins abasourdis  … alors qu’ils semblent tout supporter avec une dignité sans tache.

Mais s’ils sont là… ils n’y sont pas, en réalité. Ils ont silencieusement abandonné leur mariage et leur conjoint sur la pointe des pieds. Oh, automates parfaits, robots programmés pour faire reluire une image idéale, ils échappent à tout reproche : la cuisine et le ménage sont faits, tout comme la tonte de la pelouse, la recherche d’emplois et les demandes d’augmentations, les sorties avec les enfants, les économies s’il en faut, les bricolages de plomberie et d’électricité si nécessaire. Ils sont même fidèles, de cette fidélité qui brille dans le noir comme les saintes vierges fluorescentes qu’on mettait sur la table de nuit. Un zeste de martyre, aussi : une soumission soulignée ça et là par des soupirs résignés, des remarques accompagnées d’un sourire que seul le conjoint reconnaît pour être une morsure, des rappels ponctuels.  Oui, l’emballage de luxe d’une union made in heaven est bien là, et les amis du conjoint ne se lassent pas de lui souligner la chance qu’il a. Ce qui le laisse en proie à un vertige qu’il ne s’explique pas. Il se traite de jamais content, d’affreux égoïste, s’accuse de trop attendre de la vie. Se demande ce qui ne va pas en lui – ou elle.

C’est que l’emballage ne contient plus rien. Et que le mariage est devenu une souffrance obscure, un cœur noir de solitude. Car l’abandon s’est fait discrètement, dans la lente évaporation des images d’amour. Oh, bien entendu, l’absent(e) se manifeste avec un dévouement en technicolor si l’autre a un gros coup dur. Il ou elle lui tient la main, comme le ferait d’ailleurs tout ami ou parent. Il ne sera jamais surpris en état d’indifférence affichée, il ne sera pas en reste avec, justement, les autres amis et parents. C’est, après tout… son image qu’il défend, celle d’un être à qui on ne peut rien reprocher, n’est-ce-pas. Et le conjoint en détresse sent battre en lui le marteau des remords : moi qui ne suis jamais content(e), quel ingrat(e) ! Toute cette inquiétude, ces prévenances rien que pour moi… comment ai-je pu douter et me sentir lésé(e) ?

Et pourtant, la présence d’un amour qui pépie quotidiennement, le regard qui s’attarde sur l’autre avec plaisir, l’écoute que l’on donne à ce qu’il pense tout haut, le besoin de lui dire en soupirant que sa peau est douce et son odeur aimée… c’est parti à tout jamais, emporté dans le balluchon du déserteur de l’amour conjugal.

Ennui by Walter Sickert at Ashmoelan Museum.

Ennui by Walter Sickert at Ashmoelan Museum.

Abandonné dans un lieu vide où on lui dit qu’il ou elle a tout, l’abandonné disparaît peu à peu dans une solitude où ses joies, maladies, doutes, rêves, projets, enthousiasmes ou défaites cruelles ne trouvent en réponse à ses confidences que des mots distraits, dictés par le devoir et sans l’ardeur de l’amour.

Il meurt tout doucettement, à la recherche de cette chose inexplicable dont il a besoin : l’amour. Ou il éclate en hurlant je veux vivre, j’veux d’l’amour, je suis là, moi

Il y a si longtemps qu’on l’a quitté tout en laissant un robot pour lui tenir compagnie…