Combien de comédiens, natural born liars, ne connaissons-nous pas ? Ces gens qui à peine endossent-ils l’habit de scène et s’arrêtent-ils sous les projecteurs, dès l’enfance parfois, ne quittent jamais les planches, se condamnant à n’être aimés que pour qui ils font semblant d’être et pas pour qui ils sont ?
La petite gentille dont les yeux angéliques pèsent déjà tout le mal qu’elle pourra faire ; le petit qu’a-peur-de-rien et qui n’attend qu’une chose : qu’on le supplie de ne pas sauter de 5 mètres, de ne pas plonger du haut du rocher, de ne pas aller casser la figure au gros de la classe ; le faux zélé, roi de la délation, qu’on ne soupçonne donc jamais de faire ce qu’il pointe du doigt …
J’en connais beaucoup finalement, et plus le rôle a pris de l’importance, plus la personne est malheureuse. Et plus elle est malheureuse et plus elle est envieuse. Et plus elle est envieuse plus elle est peu à peu mise à l’écart par les spectateurs ou co-acteurs qui ont fini par comprendre qu’ils ne savent pas en face de qui ils sont vraiment.
Et elle nuit, cette personne envieuse et malheureuse, puisqu’elle vit la vie d’une autre, imaginaire et idéale, à laquelle elle sait ne pas ressembler. Hélas. Alors que les autres, eux, ont tant de chance ! Quelle injustice… Et elle envie, donc…
Elle voudrait la vie d’un ou d’une autre. Elle imite cet autre. Elle s’imprègne de ses gestes, son style, ses intonations; elle fait, fidèlement, les mêmes activités ou vacances qu’elle; elle cherche à entrer dans le cercle des intimes de cet autre, pour les intéresser aussi.
La femme seule et ravie de l’être, avec ses copines hyper actives et son agenda débordant, mais qui se transforme en oracle funeste quand une de ses amies fuit le groupe pour un amour qu’on n’attendait plus. Elle se donne bien du mal pour faire sombrer l’affaire afin de démontrer que voilà… on est tellement, mais tellement mieux sans homme, sans l’illusion d’un amour à servitudes qui bientôt ne sera plus que servitude. Comme elle. Tiens, buvons un coup aux illusions perdues et oublions cette romance ridicule.
L’homme qui a « réussi son mariage » comme s’il s’agissait d’un concours d’entrée dans la classe supérieure, c à d qu’on ne l’a pas largué, ce qui n’est pas tout à fait signe d’entente conjugale mais… bon, c’est un autre sujet passionnant que celui-ci ! Il donne des conseils aux autres, pérore sur leur devoir d’endurance et de compassion, sans expliquer que lui, s’il tient le coup, c’est parce que de sa femme, il s’en fiche, et qu’il la trompe depuis toujours.
Le boute-en-train de service, toujours le mot pour rire, l’attitude je-m’en-foutiste en racontant les anicroches de la vie quotidienne, de simples péripéties si on y pense, n’est-ce pas ? On se l’arrache car son insouciance fait plaisir à voir, sauf à ses proches qui le voient passer de Jean-qui-rit à Jean-qui-pleure en refranchissant le seuil de sa maison, jaloux, envieux de ce couple de parvenus à qui tout sourit…
La psychiatre née, détachée, distante, à l’abri de la vie derrière une sérénité assez bien imitée, souriant avec indulgence aux remous des autres vies, conseillant ce qu’elle n’a jamais besoin d’appliquer puisqu’elle, elle ne vit pas. Elle ne dort pas, d’ailleurs, ne digère pas, n’aime pas, et se plaint des « autres » ou des « gens », dont elle ne fait pas partie, car ce n’est pas elle qui…
Ça vient dans tous les modèles et toutes les couleurs, tous les âges et tous les sexes, y-compris celui des anges. C’est souvent insomniaque, ne peut plus manger ceci ou cela, ne supporte pas un tas de choses – petit appel du pied discret à une compassion admirative pour quelqu’un qui affronte aussi noblement ses épines dans le pied en question.
Ils nuisent, ils envient, ils usent. Oiseaux de mauvaise augure « pour ton bien », leur habit de scène tissé de fibres toxiques dont le brillant se ternit avec les ans leur colle à la peau. L’enlever serait se mettre à nu, révélant les rougeurs et plaies.
Finalement, heureux les figurants, qui traversent la scène dans leurs propres habits, insignifiants dans la pièce mais tellement bien dans leur petite peau fleurant bon le Palmolive…