L’innocence qui offense

J’ai vécu, on le sait, dans un pays qui raisonne autrement que le nôtre, influencé par un puritanisme qui est loin d’avoir disparu malgré la coolness apparente de ce qui se passe dans leurs films. D’ailleurs, dans les films, on ne ferme jamais les portes des voitures et on ne les vole pas, tout comme on laisse complaisamment portes et fenêtres ouvertes en rentrant du marché pour que le serial killer puisse entrer en scène sans compliquer les choses. Les femmes dorment avec leurs faux-cils , se réveillent avec une mise en plis impeccable de chez Carita, et on ne voit jamais personne faire le ménage dans des maisons où tout étincelle comme un feu d’artifice. C’est la réalité qu’ils veulent nous montrer (oui, ils admettent qu’il y a des serial killers mais on apprendra toujours que c’est parce que leur mère indigne avait des amants, sans quoi ils auraient été des citoyens modèles).

La réalité quotidienne est bien autre une fois qu’on s’éloigne des grands centres qui grouillent de monde, de communautés multiples, d’ouverture d’esprit et où souvent une intelligence réelle pétille en surface comme dedans. Et on s’éloigne vite. A 30 kms de NY par exemple, on a passé une frontière aussi épouvantable que le Styx. Moi, j’étais justement sur l’autre rive…

L’esprit Control Freak ambiant a fini par me faire très peur. Un monde à la George Orwell. L’innocence est tombée au sol comme un membre lépreux. Et même moi, venant d’une Europe souvent perçue ici comme une sorte de Sodome et Gomorrhe où l’on boit, embrasse à la française, mange des abats et des gastéropodes, je me surprennais à dissimuler mon innocence. De peur qu’on ne me l’enlève au scalpel.

La liberté rognée peu à peu sous couvert de protection. D’abord c’est si subtil qu’on n’y pense pas, ou qu’on en sourit. On se dit qu’ils sont bon enfant...

On ne peut pas prendre sa bonne petite bouteille de rosé bien frappé en pique-nique. Ni une bière. J’ai quand même, assise un soir sur un banc du parc – le green de Bloomfield – avec mon ami Chris, bu une bonne bière au goulot en parlant de cinéma. Mais Chris a eu un geste vif pour cacher l’objet du délit à la vue de la voiture de patrouille des policiers, et j’ai compris que nous étions des hors-la-loi, des terroristes de l’incitation à la boisson et sans doute à l’orgie juste après. Je me suis sentie dans la peau de Billy the Kid pour une innocente petite India Ale de Brooklyn!

Puis il y a eu le regard soupçonneux et craintif que je surprenais derrière les fenêtres des maisons victoriennes – ces majestés de bois à chapiteaux et vérandas aux couleurs délicates: violet et jaune, vert et gris clair… – que j’admirais et parfois même photographiais. Je devais certainement prendre des repères pour une bande de malfrats.

Ou l’empressement nerveux avec lequel on s’excusait quand, dans la rue ou un magasin, on me frôlait par accident. Ciel, on m’avait touchée, j’allais certainement y voir une approche sexuelle et porter plainte…

L’horreur sans nom qui colora le silence suivant ma déclaration joyeuse selon laquelle j’avais bu mon premier centimètre de whisky à 14 ans sous la supervision de mon père (et non, je n’avais pas aimé du tout!).

L’indignation muette d’une personne à laquelle je parlais de Manneken Pis, ce qui m’a presque valu un nettoyage de la bouche au savon! (« que dit-elle? », a demandé sa femme. « Je ne peux pas dire ce mot-là », a-t-il répondu, embarrassé…).

La réponse scandalisée d’une serveuse de diner à une amie qui demandait de la bière: « Mais voyons! C’est un restaurant familial, ici! ».

La pâleur subite d’une connaissance à laquelle, heureuse de mon choix, j’offrais des biscuits belges joliment enclos dans une ravissante boite de fer représentant un tableau de Paul Delvaux. Gloups! Des femmes nues avec une statue… quelle perversion, ces étrangers, quand même!

Ces dames aux visages d’illuminées qui me demandaient de signer une pétition exigeant la virginité des garçons et filles jusqu’au mariage. (Elles me rappellaient les amusantes dames patronnesses qui, dans les Lucky Luke, agitaient vigoureusement leur panneaux en faveur de la temperance…).

Il y a aussi ces « églises » sous-branches de sous-branches de branches cousines ou soeurs d’une église plus ou moins officielle qui prônent la femme au foyer soumise et aux petits soins pour son seigneur de mari, mais aussi prétendent lui confier – à elle qui ne connaît du monde que le super-marché, l’église et la plage des vacances – l’éducation des enfants. Car l’école, on le sait, leur donne des idées pernicieuses… Et, ne l’oubions pas, une instruction qui pourrait leur donner l’envie d’exiger des choses ou pire encore… de réfléchir!

Tout doucement, on ne peut plus rien faire sans être soupçonné d’incontrôlables instincts dépravés. On rétrécit, on dissimule ce qu’on est.

Et même en ayant grandi dans ce carcan dépuratif, on n’échappe pas toujours à l’opprobe.

Sir Henry Raeburn – Little Girl with Flowers or Innocence

Il y a huit ans, Marian Rubin, une brave grand-mère, active et artiste, en a fait les frais. Elle avait suivi des cours de photographie de nus, et avait gagné plusieurs prix pour son travail. Dans la vie, elle enseignait dans une école dans la ville où je travaillais. Et un jour, ses deux petites filles, 8 et 3 ans, se sont mises à sauter sur le lit toutes nues, avant de prendre leur bain. Et elle a fait des photos. Un employé du magasin de photos au cerveau bien lavé, et lui-même bien zélé, l’a dénoncée et elle a eu la surprise de se faire arrêter par la police en sortant de l’école.

On peut en rire sauf si on est Marian Rubin, mais quand on habite là et qu’on a encore de l’innocence dans le système, on en rit les dents serrées, portes et fenêtres closes. Car lorsque mon neveu m’a envoyé par email des photos de son voyage au Cambodge, celle qui représentait un envol d’enfants radieux et nus vers la rivière avait provoqué un commentaire de mon mari: » Il faudra l’effacer de ton pc! »

Pas d’enfants nus et heureux sur les plages, pas de bébé sur sa peau de mouton, les fesses rebondies à l’air, pas de petit vin blanc qu’on boit sous la tonnelle, pas de déjeuner sur l’herbe avec une bonne bouteille de derrière les fagots … L’innocence du paradis terrestre a bel et bien déserté ces lieux. Et quand d’une chose naturelle on fait un fruit défendu, on attire les serpents. On voit le mal où se trouve l’innocence qui devient alors la proie des bigots et des serpents.

Et les deux tuent avec la même férocité.

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On se protège comme on peut …

Plongée dans le labyrinthe tortueux  de l’inconscient. Le mien du moins. Prenez votre bombonne d’oxygène et … plouf !

J’ai porté, au début des années ’80, un bikini qui m’allait très bien et que je détestais. Je le trouvais hideux et voyant. Vulgaire.

C’était mon bouclier.

Contre l’homme ! Je sortais d’une relation si traumatisante que je serais sans doute rentrée dans les ordres si je n’avais tant aimé le cinéma et l’aérobic à l’époque… Le mot « homme » équivalait à croquemitaine, créature de Frankenstein et Golem réunis. L’homme faisait partie de la tribu de l’ennemi, à fuir absolument. Ne pas écouter ni croire, ne jamais baisser la garde. Tirer sans sommation. Et naturellement, cet état d’esprit semblait faire de moi l’égal de la conquête du sommet de l’Everest par la tribu ennemie.

C’est une de ces lois de la nature qui ne cesse jamais de m’épater. La salle d’attente ne désemplissait pas.

Avec La-petite-Francine, nous allions souvent à la mer sur l’impulsion du moment, impulsion basée surtout sur les caprices du temps. Nous passions des heures délicieuses à bronzer, manger des crêpes et faire le tour de ce sujet de conversation complexe et inépuisable : les hommes sont des salauds. Oh, on avait dépassé l’amertume, on riait à perdre haleine. C’est tout juste si on ne s’échangeait pas des recettes pour les cuire à petits feux. Et même ceux qui nous plaisaient un peu passaient au mixer jusqu’à ce qu’on en soit définitivement écoeurées avant que rien ne se soit passé.

Je me souviens d’un informaticien qui me tournait autour comme une souricette autour d’un odorant morceau de fromage, et ma foi, j’étais bien un peu intéressée. Je me suis donc empressée de l’observer au microscope, et ai constaté qu’il avait les cheveux qui graissaient très vite, et en prime je n’aimais pas leur implantation sur la nuque. Ensuite sa soeur travaillait dans un magasin que je n’aimais pas. J’avais des méthodes infaillibles pour ma formule magique Vade Retro Satanas.

Et moi, pour aller à la mer avec la-petite-Francine pour nos joyeuses élucubrations Les hommes sont des salauds, j’avais mon bikini épouvantable en imitation peau de panthère, cette protection plus sûre qu’un cerbère et le mur d’un harem réunis, car les malheureux qui posaient les yeux sur moi n’avaient aucune chance : ils avaient mauvais goût ! Ciel, s’ils avaient mauvais goût… Jamais je n’aurais consenti à parler avec un homme qui aimait la peau de panthère en rayonne !

Ces artifices – il y en eut d’autres, car je n’ai pas gardé le même bikini pendant si longtemps ! – m’ont assuré les sept ans de solitude nécessaires à ma guérison. Sept ans de réflexion et de construction. Sept ans aussi d’amitiés féminines et même masculines puisque les amis ne sont pas des hommes, ce sont des amis. Ils ont le sexe des anges, et c’est bien rassurant…

Apocalypse in Progress

Les 4 cavaliers de l’apocalypse, 1937 – André Fougeron

Interpellant, cette mode de se vautrer dans la noirceur, de se repaître chaque jour des nouvelles atroces glanées sur les sites des « amis » (qui prennent soin de notre santé mentale en nous donnant envie de retourner au lit une fois la journée commencée par son défilé d’images apocalyptiques).

Les animaux, non plus seulement malheureux et au service de l’homme-ce-monstre-sans-âme, mais suppliciés, torturés. Les enfants sales et en haillons, couverts de mouches et de plaies. Les femmes en larmes pour l’une ou l’autre raison. La nature qui s’égosille en vain : je me meurs, vous m’éventrez. Les multi nationales au rire sadique qui nous empoisonnent jour après jour avec la nourriture trafiquée, les récoltes venimeuses, ou encore les résultats des activités de l’homme-ce-monstre-sans-âme qui anéantissent les forêts, vident les océans, font fondre les icebergs, disparaître des ethnies, pour être riches et faire partie de l’élite.

Après ça, heureusement qu’il y a les antidépresseurs ou la gnôle. Et en attendant la mort (qui sera atroce, n’en doutons pas, on nous le démontre aussi avec une complaisance suspecte…) on a des soins et traitements multiples pour tenir jusque-là en servant probablement, en plus, de cobaye à la médecine. Pendant ce temps-là, les riches, vous savez, les riches-ces-monstres-sans-âme que le cancer ne touche pas, que l’amour comble, que tous les drames évitent, en plus, ces immondes riches nous regardent comme si nous étions les figurants d’un tableau de Jérôme Bosh, assez écœurés de notre médiocrité et laideur, décidant que nous ne méritons rien d’autre.

Vous savez quoi ? Tout ça existe (sans le glaçage hideux que j’ai ajouté en abondance…), on le sait, on le constate, on le voit tout seul si on regarde. Et ce n’est pas nouveau. Nous informer est une chose, mais on n’a pas besoin d’un sound-track perpétuel, genre suspenseful music tirée d’Amytiville, Carrie, La nuit des morts-vivants… Sans compter la colère démente de certains sociopathes qui auront bientôt besoin de se transformer en octopus pour brandir tous les slogans indignés et contre tout qu’ils agitent. Qui nous sautent à la gorge si nous osons encore rire d’une futilité, aimer le cinéma ou le nougat vietnamien. Avec tout ce qui se passe dans le monde d’atroce, nous en sommes encore à regarder le programme du cinéma ??? Quel égoïsme…

Et cependant… et tout le reste, alors ? Tout le merveilleux quotidien et discret qui fait l’éternelle beauté du monde ? Tous ces gens qui, justement, sauvent des animaux parfois au risque de se faire encorner ou énucléer d’un coup de sabot (les élans, non, ça n’aime pas vraiment qu’on les sauve, les kangourous non plus, ni les autruches etc…) ? Des gens ordinaires, qui passaient par là, ont pris un peu de leur précieux temps pour vivre un précieux moment de vie. Ceux qui sauvent des enfants, les adoptent ou en prennent soin avec amour, défendent des femmes, secourent leurs voisins, des inconnus en détresse mis sur leur chemin ? Ils sont nombreux. Ils sont une multitude. Les ignobles riches qui, discrètement, aident et interviennent, comme ils l’ont toujours fait. Les gens, seuls ou en groupe, qui décident de tester des méthodes d’économie, de recyclage, de respect de tous. Ceux qui nous sourient sans nous connaître, parce qu’ils ont une âme joyeuse et qu’ils reconnaissent la nôtre. Ceux qui chantent sur leur seuil, ou dans la cuisine, ou au garage. Qui participent de quelques sous à l’une ou l’autre collecte, qui sortent de leur routine pour accomplir, discrètement et avec amour, un acte de bienveillance envers autrui.

Et les animaux que l’on voit réapparaître, des races que l’on croyait au bord de l’extinction et puis parce qu’on a pris quelques mesures, mais les bonnes, ça se re-multiplie gaiement. Les gens qui guérissent de maladies voraces grâce aux progrès de la médecine, au dévouement et à la clairvoyance de ceux qui ne sont pas tous là « pour faire du fric » mais par apostolat.

On ne peut pas ne regarder que certaines choses, au point de s’en déprimer, de contaminer les autres, de perdre tout espoir, de conclure que nous sommes à la fin de l’humanité et que « l’homme est dégoûtant » (ceux qui ont le mantra «les hommes me dégoûtent », ils sont quoi, eux ? Des extra-terrestres ? Des purs esprits ?).

C’est une addiction au malheur. Un péché capital, comme le sont les addictions. Il s’agit du péché de gourmandise, la gloutonnerie des drames et mauvais augures.

Méfions-nous des faux prophètes… ne l’a-t-on pas assez entendu ? Nous mourrons tous. Tout, peut-être, mourra. En attendant, faisons du meilleur avec le mieux, il ne nous est pas interdit d’aimer notre vie, et ceux qui nous l’encombrent de peurs imaginaires aux mille visages nous salissent. Oui il y a des dangers, mais objectivement, dans l’immédiat, celui de tomber en traversant la rue devant une voiture est plus réel que bien de ceux que l’on me prédit avec ferveur.

Tout ce qui pourrait arriver n’arrivera pas. Mais les joies que je cueille au long de la journée sont bien à moi.

La mort est une chose étonnante

« La mort est une chose étonnante. Les gens passent leur vie entière à faire comme si elle n’existait pas, et pourtant elle est la plupart du temps notre principale raison de vivre. Certains d’entre nous prennent conscience de la fragilité humaine assez tôt pour vivre ensuite plus intensément, plus obstinément, plus furieusement. Quelques-uns ont besoin de sa présence constante pour se sentir vivants. D’autres sont tellement obsédés par la mort qu’ils s’assoient dans la salle d’attente bien avant qu’elle n’ait annoncé son arrivée. Nous la redoutons, et pourtant la plupart d’entre nous ont peur qu’elle n’emporte quelqu’un d’autre plus qu’elle ne nous emporte nous-mêmes. Car la plus grande crainte face à la mort est qu’elle passe à côté de nous. Et nous laisse esseulés ».  ― Fredrik Backman, A Man Called Ove

Mon Papounet m’avait dit il y a longtemps être toujours perplexe à la vue de ce paradoxe : nous savons tous que nous « allons mourir » mais nous arrivons à vivre comme si c’était pour toujours. Nous plaignons ceux qui meurent, comme si ça n’allait pas nous arriver aussi.

De mon côté, je n’ai jamais compris pourquoi on disait « oh le pauvre, la pauvre » en annonçant le décès de quelqu’un. Je peux comprendre qu’on ait de la compassion pour la façon dont peut-être cette mort a pris le dessus : on n’aime pas imaginer la peur, la souffrance, le refus d’accepter. Mais une fois cette personne « passed away » comme on dit en anglais (et j’aime bien cette façon de dire la chose, comme s’il y avait eu un passage vers un ailleurs), pour elle il n’y a plus rien de triste. Qu’il y ait un au-delà ou rien, qu’il reste un acquis de ses souffrances et sa vie ou rien, ce n’est plus triste.

C’est triste – et souvent plus que ça – pour ceux qui vivent l’arrachement. Ils doivent s’ajuster au manque, au vide, aux choses non résolues qui ne le seront jamais plus, à l’horreur probable des derniers espoirs, aux regrets et remords parfois, à une vie à gérer soi-même dans le cas d’une éventuelle inter-dépendance qui laisse démuni.

Bien sûr, « à mon âge » j’ai vu bien des gens s’en aller vers ce passage (mais jamais en revenir…), les ai écoutés m’en parler. La majorité avaient leur passeport et leurs pensées en règle, et en général, une tranquillité remarquable. Ils n’étaient pas des héros et avaient, comme tout le monde, craint la mort. Mais ceux qui ont eu le temps de réaliser qu’ils étaient en chemin sont aussi parvenus à un certain détachement, une prochaine étape acceptée et avec bien peu de questions sur « et après ? ». « … Rien ne dépérit, c’est moi qui m’éloigne… » – Colette.

 

Il y eut juste Lovely Brunette qui, curieuse comme elle l’avait toujours été, se demandait si elle arriverait à me faire signe… et l’a fait. Nous avons longuement parlé de sa mort, que nous savions sur le pas de la porte déjà. Et il y avait cette évidence : elle était ma mère, j’étais sa fille. Ça ne changerait pas, je ne pourrais pas dire qu’elle avait été ma mère et moi sa fille, ça n’avait aucun sens. Elle resterait ma mère, et moi sa fille, et donc le lien continuerait. Quelque chose continuerait à se décliner au présent, pour elle comme pour moi. Nous ne comprenions pas plus loin que cette petite étape qui nous rassurait pourtant.

Beaucoup de suicides aussi autour de moi. Je n’en ai compris aucun, sauf ceux pour raison de santé, pas envie d’affronter certaines situations honteuses, le regard de ceux qui les avaient connus « autrement » et ne les regarderaient plus comme avant. Mais d’autres m’ont laissée très étonnée, encore que sur certains visages on pouvait voir cette distance de ceux qui vont mourir car ils ne vivent pas vraiment, ce flottement dans les attaches et affections. Les sourires sont de politesse, les rires de gentillesse, les échanges irréels.

Je sais qu’on dit qu’il s’agit d’un geste lâche, tandis que d’autres parlent de courage, et je n’en sais rien, je sais juste que c’est un geste qui met fin à beaucoup de souffrances intimes, et je ne pense pas que ce qui adviendra de ceux qui restent les touche encore : ils ont, ne l’oublions pas, la distance de ceux qui vont mourir, qui vont passer en leurs termes et à leur heure. Chaque vie et chaque mort est sa propre histoire, et laisse en nous une trace personnelle, unique. Et pour certains d’entre nous, c’est ainsi que tout se termine. Pour d’autres, c’est ainsi que les choses changent.

Que la relation se transpose ailleurs, et autrement. Et continue…

Quetzalcoatl, mon ange-gardien

Parce que de plus en plus je me dis que c’est une métamorphose singulière mais pas unique – plusieurs personnes l’ont vécue -, j’ai décidé de partager deux épisodes Edmée Jekyll et Edmonde Hyde.

Je ne dirai pas les circonstances exactes de ces expériences « hors de mon corps », parce que c’est personnel et pas intéressant en soi.

Je suppose que j’ai un ange gardien très guerrier mis de faction en surveillance de sa petite protégée en danger, moi. Le serpent à plumes. Le genre qui fait ses exercices de musculation chaque matin, avale des chapelets de vitamines, connaît les secrets du Kung Fu, du Tae Kwon do et de tactiques de lutte secrètes connues uniquement des anges.

Je me suis un beau jour trouvée en situation de danger, et donc de colère. Quelqu’un m’avait insultée – très gravement – et menacée de quelque chose de très peu engageant. J’ai tenté de tout simplement m’en aller, comptant sur le fait que la personne qui m’avait amenée chez ce malotru immonde me suivrait, que nous n’y retournerions jamais plus, et que tout en resterait là. Mais voilà, j’étais très mal accompagnée, faut-il le dire, vraiment plus que mal, et me suis retrouvée hors de la maison, seule, la nuit tombant, loin de tout (la voiture étant la possession du valeureux mollusque qui m’avait conduite là).

J’ai alors commencé à appeler, appeler, appeler, sans aucun succès. J’ai monté d’un ton – rien ne vaut d’être polie avec des malfrats. Et d’un autre. Quand les décibels sont devenus inquiétants pour l’hôte sulfureux, il est sorti de chez lui, indigné, m’accusant d’ameuter les voisins (qui existaient bien sûr… mais plutôt loin, car en pleine campagne), et me sommant de m’en aller (à pied, sans le mollusque, dans le noir, guidée par le son du clocher de l’église au loin… mais c’est bien sûr…).

Et là, mon ange gardien s’est manifesté. Hérissé comme Quetzalcoatl, les plumes crissant de colère. Il est descendu en moi et véritablement, j’ai senti une force surhumaine se répandre dans muscles et pensées, j’ai saisi l’ennemi par le cou, oui par le cou, et l’ai … soulevé du sol. Je suis incapable de soulever ne serait-ce que 10 kgs à bras tendus et maintenir la prise, et l’ennemi, même s’il n’était pas André le géant, devait en peser 80 ! Hop, je l’ai hissé sans effort et lui ai dit calmement : « maintenant vous allez me rendre le mollusque et nous laisser partir sinon je vous tue ». Et puis je l’ai déposé, pantelant et livide. Je n’y ai pas été par quatre chemins. Ce n’était pas : sinon je vous casse la figure, je vous coupe le nez, je vous dénonce, non. Je vous tue.

Avec un couac il nous a libérés.

Et la seconde  fois, suite à un épisode dont Stephen King m’achèterait volontiers les droits, j’ai eu à nouveau conscience d’être en danger immédiat, et suis allée à la police pour demander de l’aide à m’enfuir d’où j’habitais avec au moins mes papiers et des vêtements, en toute sécurité. Le policier de service, compatissant comme un boulet de prisonnier, me dit sur un ton le règlement c’est le règlement « madame, vous choisissez, c’est ou votre vie ou vos affaires ! ».

Sans un bruit, mon serpent à plumes est à nouveau descendu en moi de mille coups d’ailes furieuses, m’armant d’indignation et de colère très bien canalisées : j’ai saisi le loustic lui aussi par le cou – il était plus frêle que le précédent ennemi mais bon…  En tout cas je suppose que mon ange-gardien trouve que je m’en sors bien dans cet exercice d’étranglement et pourquoi innover sans cesse ? – et lui ai soufflé au visage qu’il était payé pour défendre et nos vies et nos biens, et… qu’il allait le faire ! D’un ton qu’on ne discute pas.

Deux policiers étaient au fond de la pièce, cherchant à se fondre dans la tapisserie et déterminer le sexe de la mouche qui volait contre le globe du luminaire, et on les comprend. Le loustic, quelque peu chancelant, leur a dit, sans se tourner vers eux : allez avec elle.

Je n’ai eu l’assistance de ce serpent à plumes que deux fois. Je fais peu de colères, mais elles sont redoutables car ne surgissent qu’en cas de grand danger, et j’ai pu vérifier dans le regard des adversaires qu’elles ont fière allure.

Mais ces deux-là sont les plus belles, elles ont le plumage de Quetzalcoatl !

Y2K aux chandelles…

Le Y2K, vous vous souvenez ? Le passage à l’an 2000… L’Apocalypse Now annoncée…

 

Les chacals sillonnaient le net et les ondes pour encercler leurs victimes. A l’imprimerie, ouverte depuis mois de 3 ans, de braves jeunes gens sans éthique qui seraient payés au pigeon abattu me téléphonaient sans cesse pour m’annoncer que je devais absolument acheter une nouvelle version de ce que je venais d’acheter car… le programme ne reconnaîtrait pas les dates après 2000.

 

C’était l’occasion pour moi d’une joute peu aimable dans la langue de Jerry Lewis. Quoi ? En 1997 Dell, HP et rivaux ignoraient que l’an 2000 arrivait à grande vitesse et avaient vendu à tous des programmes dont le compte à rebours commençait à clic-cliquer le jour de l’achat ? Mais madame c’est juste que… Mais… vous me prenez pour une idiote, et/ou vous en êtes un vous même si vous croyez ça, et vous avez faim à ce point que vous devez me vendre un produit inutile ? Mais madame, je vous assure que…. Rien du tout, cherchez quelqu’un d’assez bête pour tomber dans votre piège grotesque et laissez-moi travailler. Comme vous voulez madame mais ne venez pas vous plaindre si la garantie ne couv… Bang !

 

Mais un autre, aussi bête et déterminé, appelait bientôt. Ma patience s’usait et les derniers ont hérité des invectives dont j’épargnais encore un peu les premiers. Certains finissaient par avoir comme un doute dans la voix malgré tout, ceux qui avaient encore un cerveau probablement.

 

Anne-Marie, une Belge qui avait grandi là-bas et se souvenait encore de ses années d’école à l’époque de la Baie des cochons (préparation à un éventuel bombardement aérien, hop tout le monde aplati sous son banc avec le cartable sur la tête), et avait donc été bien drillée à la délicieuse horreur de la panique générale, tomba comme un boulet de canon dans cette nouvelle phobie.

 

Les larmes aux yeux elle m’annonça que tous les masques anti-gaz avaient été achetés à prix d’or dans les pharmacies et que des infirmiers faisaient du marché noir avec ceux des hôpitaux. Et elle… elle n’en avait pas, malgré son voisin qui pourtant était infirmier et avait des masques pour toute sa famille et leurs amis et les amis de leurs amis. Elle s’imaginait déjà étendue dans son living, violacée et raide, son chien et son chat abandonnés se résolvant à lui mordre l’avant-bras au bout de deux jours de famine avec une mine écoeurée – s’ils avaient survécu au gaz ou incendie. Elle avait acheté des mètres de scotch tape pour isoler ses fenêtres et des feuilles de plastique en cas d’explosion pour remplacer les vitres au plus tôt. Du sucre, du lait en poudre. De la nourriture pour chien et chat. Des kilos de bougies (elles commençaient à manquer dans les magasins, comme le reste d’ailleurs, on sentait l’entreposage de vivres et la fin du monde aux portes de nos existences) et des allumettes.

 

Du sucre, elle n’en avait pas assez, et en fait elle n’avait assez de rien, et se désolait, comment survivrait-elle si elle devait rester enfermée plus d’une semaine ? Si son congélateur s’arrêtait de fonctionner trop longtemps ? Je lui ai répondu que puisque selon elle ses voisins avaient de tout, il lui suffirait de se rendre chez eux avec un mouchoir sur le nez comme John Wayne et un marteau en main, les menaçant de briser toutes leurs vitres s’ils ne lui donnaient pas leurs provisions et masques à gaz. Elle riait, assez jaune ma foi, mais elle riait.

 

Moi je n’ai rien fait. Je disais que de toute façon le 1er janvier arriverait en Australie avant chez nous et qu’on aurait encore le temps de faire nos prières si elle explosait en direct sous nos yeux à la télévision. Et franchement, avec tous les films déprimants sur les survivants d’une catastrophe terrestre, ça me disait très peu d’aller me planquer dans les égouts pour échapper aux nouveaux seigneurs de la guerre…

 

Et quand j’en ai parlé à Lovely Brunette au téléphone, elle m’a dit, satisfaite d’avoir été prudente : oh moi j’ai quand même pris mes précautions, j’ai acheté deux bougies au Delhaize …

priere

Les monstres en costume de ville

Jadis (joli mot désuet mais il n’a pas besoin d’un lifting, je trouve que son petit air d’antan lui va à ravir)… jadis donc, nous avions une femme de ménage, Marie-Louise. Comme elle était petite, il va de soi que nous l’appelions Marie-Minus. Désormais il est bien connu que j’ai vécu dans une famille qui rebaptisait tout un chacun. Et je continue la tradition. Il y a eu Marie-Bourrine, Marie-Boulette, Jeanne la Borgne (qui n’était pas borgne du tout mais s’appelait Jeanne Laborde), Zaza la camée, Mac’laine, Palace à mites, Camembert, Meuh-Meuh, Catalinetta Bella Tchi Tchi (un garçon, au passage), Poïon (« Poussin » en wallon, un jeune homme – dont, NON, je n’étais pas amoureuse)… enfin il faudrait un article entier sur ce captivant sujet.

Mais pour en revenir à Marie-Minus (qui aimait son surnom, d’ailleurs…), elle fut la première victime de mes contes improvisés. Dans la cuisine alors qu’elle repassait, d’une voix sinistre je lui racontais des histoires horribles, faisant grincer la porte, imitant des ricanements réfrigérants, et, jouissant de son effroi consenti, je finissais toujours par m’approcher d’elle, les mains tendue (et aussi ressemblantes à des mains de squelette décorées d’ongles de mandarin que je le pouvais) et terminant mon récit par la fin atroce qu’elle allait subir là, le fer à la main. Et la pauvre hurlait vraiment, un hurlement qui était mi fou-rire mi horreur, et c’est alors que je lui faisais grâce. Elle était un public de tout premier ordre.

Il faut dire que j’avais joué à « l’assassin du dimanche » avec mon amie Annick, jeu extrêmement simple qui consistait à ce qu’une se cache et que l’autre la cherche en grondant d’un air sinistre « Je suis l’assassin du dimanche »… On avait tellement délicieusement peur d’ailleurs qu’il suffisait que l’assassin entre dans la pièce où la pauvre future victime se cachait en frémissant d’une exquise terreur pour que ladite victime gémisse de peur et se fasse achever dans les cris et les étranglements de rire. Ma Lovely Brunette de mère devait nous interdire d’y jouer plus de trois fois sans quoi il nous aurait fallu une tarte au Prozac pour le goûter et un jus de Valium.

Et pourtant je n’écris pas d’histoires d’horreur. Enfin pas au sens habituel. Je conviens que certaines personnes, dans mes romans ou nouvelles, sont des monstres finalement assez familiers, de ceux qui vous ficellent dans une toile et puis tirent sur les fils, lentement, en vous souriant non non mais pas du tout… rien n’a changé voyons… en vous écoutant émettre de faibles gargl-glup d’agonie.

DraculaTous ces monstres en costume de ville, je les ai connus. Ou les connais encore. Je ne connais pas que des monstres, rassurez-vous. Mais je les reconnais assez vite sauf, comme tout le monde, quand ils sont sous mon nez. Cependant vient un jour où, à force d’avoir trouvé des excuses (l’enfance difficile, le manque d’argent, un papa sévère…), des explications (un moment personnel difficile, le manque d’argent, un conjoint sévère), des atténuantes (la BA faite en 1982, le manque d’argent…) encore et encore, il faut bien que j’aie un diagnostic : il s’agit bel et bien d’un monstre (ou d’une monstresse) en costume de ville !

Et hop, comme il/elle s’est nourri/e de mes forces, je m’en sers de modèle pour mon vilain ou ma vilaine. Au moins, qu’ils servent à quelque chose de bon !

Ne pas prendre de décision… est-ce vraiment une « décision » ?

C’est plutôt une apathie. Et la négation de sa propre liberté, de sa prise de responsabilité. Puisqu’on s’en remet alors à ce que les autres vont décider, ou ce que « la vie » va apporter comme changements. On se place dans le rôle de feuille – assez morte – au vent. Le regret est souvent plus lourd à porter que le remord. Les « si seulement » et « j’aurais dû » déclenchent un processus de mort. Alors qu’agir nous met au gouvernail de notre vie, au lieu de nous asseoir dans un train fantôme.

 

Décider, choisir, quand il le faut, est un épisode terrifiant. « On sait ce qu’on a, et on ne sait pas ce qu’on aura ». Derrière nous, c’est passé, bien ou mal. Peu importe désormais. Aujourd’hui nous marchons sur un sol hostile depuis longtemps, et savons que, parce que nous avons tenté ce petit subterfuge de l’autruche sans succès, que les choses ne vont pas s’arranger toute seules. Mais devant nous, une effrayante incertitude : en agissant, nous allons perdre ceci et cela. Nous allons blesser les uns, bouleverser les autres, être critiqués, avancer sans parapet… qui sait jusqu’à quand ? Pouvons-nous compter sur qui nous a dit « je suis là » ? Tiendrons-nous le coup ? Aurons-nous le minimum de soutien pour traverser cette zone de turbulences sans trop de dommages ? Car si on avance, on ne peut plus reculer ni faire les choses à moitié. Il faut sauter sans parachute.

 

Eh bien mon petit « déclic » personnel, ce qui me donnait le coup d’envoi, c’était cette toute simple question : est-ce que je veux encore être là où je suis aujourd’hui dans 6 mois, et puis un an, et puis dix ? Est-ce que je veux arriver à la fin de ma vie dans ce scenario ? Ou est-ce que je préfère envisager la traversée du désert sabre au poing, prête à pourfendre les dragons et les monstres ailés pour qu’au contraire… une fois mes chaînes brisées et les obstacles pourfendus, je sois sauvée de ce qui m’étouffait, ainsi que de la nécessité de me redresser, dont j’entendais l’appel depuis un bon moment déjà, et que j’ignorais au nom de barrières érigées par ma peur ?

 

Bien entendu… ça fera mal, aussi. Mais qui arrive devant le mur incandescent du choix à faire sans y avoir été poussé par la souffrance, de toute façon ? Rester sur le mal de vivre jusqu’à la mort… appellerions-nous vraiment ça « vie » ?

 

La réponse m’a toujours armée du courage nécessaire, et une fois mon action commencée, je la sentais de plus en plus juste et vitale, et ma force se décuplait …   Je n’ai jamais eu à le regretter. Je préfère de loin les cicatrices aux maux qui rongent dignité et liberté, ne laissant d’elles que des mots dont on a oublié le sens.

Frida Kahlo - La colonne brisée

Frida Kahlo – La colonne brisée

 

Et pour faire écho à ce billet, par un de ces clins d’yeux comme le sort sait si bien en faire, Marcelle Pâques, que j’ai connue par son blog alors que je commençais le mien, me communiquait hier cette phrase de Guy Corneau :

 

“ Lorsqu’on ne prend pas sa place, on devient victime et on attend que l’autre change.

Lorsqu’on la prend, on devient responsable et on découvre l’amour de soi et parfois, à notre grande surprise, le respect des hommes”

Mais si on n’a pas peur, on n’avance jamais…

Le courage, c’est l’ignorance du danger, disait mon grand-père Albert. L’ignorance dans le sens non pas de ne pas le connaître, mais de ne pas en tenir compte. Naturellement, il pensait au courage qu’il avait trouvé en lui durant la guerre (les guerres, même!), et en donnait sa simple recette.

 

Mais la recette reste la même pour tous les plats que nous voulons savourer au cours de notre vie. Partir. Admettre ses erreurs. Suivre son cœur – le sentimental, celui que Cupidon transperce voiles et ailes au vent, ou le moteur de vie, qui nous la met sur ses propres rails. Vivre notre vie, laisser fleurir et s’épanouir le moi que nous sommes. Avoir un sourire dans l’âme, ce type de sourire qui se reconnaît dès la première rencontre.

 

Nous avons tous peur. Des choses exceptionnelles mais aussi des épreuves routinières.

 

Nous avons été terrorisés d’un jour décider de nous dresser, accrochés au pied d’une table ou au collier d’un chien patient (ce qui fut mon cas), pour vaciller un peu, trottiner trois secondes … et puis tomber. Et hurler. Et recommencer. Nous avons tous eu peur des rentrées des classes dans de nouvelles écoles, où les amitiés étaient déjà faites et les clans formés.

 

Même les acteurs chevronnés continuent d’avoir le trac de faire ce soir ce qu’ils ont fait hier soir et les autres soirs de tant d’années. Et puis il y a le moment où, parce qu’on fait le premier pas et décide que reculer n’est pas une option, la peur s’en va. Une détermination sereine nous emplit et chuchote « ça ira ». On est comme « pris en charge », aidé, stimulé, par une force chaleureuse. Qui est la récompense du courage, de ce premier pas qu’il a fallu faire dans la peur, comme tendre la main dans le noir à une autre main que l’on sait détenir la lumière, le guide, la boussole, le compas, le sextant. Et on est surpris, par la suite, d’avoir eu si peur d’une chose qui s’est pourtant déroulée sans jamais que nous perdions les commandes. Ni la tête…

Main  tendue

Et on prend, peu à peu, de l’assurance. On découvre la « confiance en soi ». On continue d’avoir peur mais on a de moins en moins peur de lui faire face, à la peur.

 

Même les erreurs deviennent des succès parce qu’on n’en retire pas d’amertume profonde mais une leçon, parfois même source de rires longtemps après. Ce qui fit mal ne le fait plus. Ce qui fit mal nous a guéri de ce qui nous avait induit en erreur.

 

Ceux qui au contraire font du surplace à la moindre peur finissent par perdre l’instinct du courage,  et cultivent la notion que la vie n’est qu’un long chemin caillouteux et bordé de chardons, et pour preuve ils prennent soin de ne pas guérir de « tout ce qui leur est arrivé ». Ils sont de perpétuels moroses, malades, grises mines. Ils jalousent le courage des autres et le qualifient de folie, d’inconscience.

C’est Little Brother qu’il faut craindre, pas le Big…

SilecDepuis que nous confions notre fichier de vie au merveilleux monde virtuel des grandes familles d’amitié, on s’entend prédire de véritables apocalypses sociales. Notre vie privée a disparu. Tout ce que nous écrivons ou publions pourra être récupéré. Nous sommes espionnés dans les moindres recoins de nos pulsions. Ca finira mal, très mal. Ray Bradbury et Orwell avaient vu juste et nous avons écouté de faux prophètes ce qui nous jettera dans la gueule grande ouverte et flambante d’Ordinator, Facegloups ou Gnapper…

Régulièrement on annonce que Facebook a encore changé ses paramètres et s’il vous plait voulez-vous bien dé-sélectionner ceci ou cela de mon compte, merci vous sauvez ma vie privée et je vous revaudrai ça.

Mais Facebook ou pas, nous sommes cuits et archi-cuits. Tout ce qu’il y a à savoir sur nous – ça doit être passionnant ! – est déjà su. Nous payons par carte de crédit, et du DVD porno (bon, je sais, pas vous chers lecteurs et chères lectrices, je m’adresse aux autres) aux médicaments contre la constipation, on en connaît notre consommation exacte. On peut consulter nos dossiers médicaux et savoir nos petites hontes comme les gros problèmes. On connaît notre pointure, notre taille, nos tissus préférés, les films que nous aimons, nos auteurs favoris, nos destinations de voyages, notre budget vacances et le budget « booze ». Le nombre d’accidents de la route et de limitations de vitesse dépassées, la couleur de notre teinture de cheveux… Ce que nous avons été prêts à payer pour un chien de race ou un tapis rare. Si nous ajoutons deux euros à nos commandes cadeau pour l’emballage cadeau et la dédicace. Quelles dents sont encore à nous dans ce sourire étincelant.

Tout.

Aussi jouer à cache-cache avec Facebook ne sert à rien. Et puis, toutes ces infos, franchement… en dehors des listes revendues aux harceleurs qui savent que nous serons pensionnés dans six mois, sommes veufs depuis trois, adorons la marque Gourmet pour Minou et les vêtements Abercrombie pour nos chers petits… qui a le temps de cataloguer nos petits vices et délicieuses tendances ? Personne. Non, on ne paye pas de pauvres hères pour guetter sur un écran tout ce que nous faisons et le répertorier en grignotant un sandwich ramolli par la chaleur d’un sinistre laboratoire d’espionnage. Ça ne sert à rien. Sauf s’il y a un serial killer dans notre quartier, et alors peut-être entrera-t-on  les mots « meurtre-pleine lune-nanisme » pour faire une arrestation spectaculaire. Nous pourrions d’ailleurs être interrogés s’il s’avère qu’on a Blanche-Neige et les sept nains en livre et DVD, que l’on dort mal lors des pleines lunes et qu’on adore Agatha Christie… Mais les probabilités sont maigres.

Par contre… Facebook permet d’espionner les ex, les futurs, les futurs ex, les employés, les patrons, les voisins, les frères et sœurs. Et ça… autant savoir !