Les enfants sont naïfs et confiants. Ils croient à Peter Pan et la fée clochette (j’y croyais en tout cas !), à Saint Nicolas, au bon Dieu, à l’ange gardien (je lui laissais une place sur ma chaise pour qu’il s’asseye confortablement) au diable, aux fantômes. Je croyais aussi à ma « petite santé » dont je ne savais trop ce qu’elle était mais ma mère m’affirmait que les carottes et les concombres, que je détestais, étaient bons pour ma petite santé, et je m’inclinais pour son bien.
Je croyais qu’il y avait un loup dans le jardin de ma tante Louise (il devait y avoir au moins 15 arbres entre lesquels il pouvait se cacher…), que ma grand-mère avait une jambe de bois parce qu’elle boitait et que mon grand-père avait perdu ses cheveux lors d’une journée de grand vent…
Je croyais que mon grand-père décédé, Albert, était le roi Albert, parce que sur la photo qui ornait le buffet, en uniforme militaire, eh bien il lui ressemblait. C’était tout simple à mes yeux, et je l’ai donc annoncé très simplement en classe quand on a eu un cours sur Albert, le roi chevalier. Mon ton était très détaché, je voulais juste que les autres petites filles puissent situer…
Je croyais tellement fort que Dieu pourrait lâchement profiter de ma présence à la messe pour me demander d’entrer dans les ordres – et ciel, que la perspective de prier jusqu’à a fin de mes jours me rebutait, sans compter les cornettes amidonnées… – que je me bouchais les oreilles.
Mais je n’étais pas sans logique. J’ai été scandalisée dès ma première année de classe du plan de Dieu qui sait tout (dit tout et voit tout comme Madame Ida la célèbre voyante), nous affirmait-on. Alors comment avait-il pu mettre ces malheureux Adam et Eve devant un pommier ployant sous le poids de ses beaux fruits pour leur dire, alors qu’il savait qu’ils allaient désobéir et qu’il les en punirait, de ne pas y toucher ? Et quand j’ai posé la question, on m’a dit que j’étais une petite impertinente.
Par la suite, quand j’ai fait un rêve assez désagréable où je voyais Jésus ressemblant furieusement à Charles le Téméraire, surtout pour la coupe au bol et la pâleur cadavérique, on m’a dit que c’était le diable qui m’avait envoyé cette vision décourageante. La nouvelle coiffure était donc l’oeuvre de Satan qui venait me visiter dans mon candide sommeil.
Plus tard, on nous a parlé du péché mortel. On mourrait sur le champ si on faisait un péché en sachant que c’en était un bon gros, bien grave, et qu’on s’en délectait. J’en ai donc fait un, le pire que je pouvais concevoir : j’ai fait un signe de croix sur mon derrière avec de l’eau bénite, car nous avions un bénitier jusque dans notre chambre à jeux. Avec le brin de buis béni et tout et tout. J’ai demandé à mon frère d’assister à l’expérience. Je ne suis pas morte et en ai conclu que les « chères sœurs » étaient des menteuses ou des idiotes bien crédules. Je devais sans doute ajouter tout bas qu’au fond… je m’en doutais, allez!
J’avais beau ne pas être très au courant de comment le « croissez et multipliez-vous » était mis en pratique, Adam, Eve, Cain et Abel… ça faisait beaucoup d’hommes pour une seule femme qui en sus était plus âgée que deux d’entre eux. Je sentais, les narines pincées, que quelque chose était « fishy ».
Mon amie A…, elle, a compris la supercherie de Saint-Nicolas lors de la fête du saint organisée par son école. Il avait le registre avec tous ses péchés mignons et les a lus sur l’estrade, elle debout sur ses jambes flageolantes devant lui, impressionnée par ses dentelles, sa barbe soyeuse et hélas, sa perspicacité. Il lui a demandé si elle ne recommencerait plus. Elle était honnête et brave, ainsi que lucide. Elle savait qu’elle avait ces défauts bien encombrants, et qu’ils ne partiraient pas d’un coup de la sainte crosse… Elle a donc réfléchi et courageusement a répondu qu’elle ferait de son mieux mais qu’elle recommencerait certainement. A quoi l’imbécile de Saint Nicolas s’est fâché, prenant pour rébellion ce qui était une noble (ne craignons pas les mots…) franchise, et a déclaré qu’elle n’aurait pas de cadeau, ce qui fit ricaner les petites filles sages et menteuses et pousser des cris indignés aux chères sœurs.
Et A… a compris que seul un faux Saint Nicolas pouvait être aussi injuste.
Et après, on nous accuse de ne pas avoir confiance ! Non mais….