Selfie-sticks et sexes à piles, même combat

Selfies : on sourit partout. Regardez comme je suis heureux, heureuse. Regardez où je suis, où je vais, d’où je reviens (seul/seule mais dans une solitude absolument di-vi-ne !). Je suis là. Je souris. J’envoie des baisers et des regards tendres. Je suis en forme. C’est flou? Noooon ce n’est pas retouché, c’est mon petit portable si bienveillant qui fait ça, hi hi hi. Vous avez vu ? Je n’arrête jamais. Et quand je suis en compagnie (une compagnie belle et dynamique et glamour, ça va sans dire…) là c’est l’éclatement complet. Je ris si fort qu’on fait un vertigineux travelling dans mon tube digestif grâce à la vue plongeante de mon selfie-stick. Il faut me réparer les lèvres car elles se sont décousues.

Désirs, « sex-appeal ». Non, les dingues du sexe ne sont pas légion, ils existent bien sûr. Toutes les addictions sont dans la nature et même celle du travail et de l’auto-mutilation, mais rares sont ceux qui, dans le Notre Père, ajoutent « et donnez-nous notre orgasme quotidien », ou tiennent des statistiques avec graphiques et camembert.

On dit souvent que l’amour est le désir du désir de l’autre, mais je ne mets pas l’amour dans cette danse du rut désespérée (y-compris les farces et attrapes provisoires de la chirurgie esthétique et des pilules miraculeuses). Le désir du désir de l’autre existe, mais c’est du narcissisme et pas de l’amour; c’est le manque de confiance en soi et pas de l’amour.

Regardez, mais regardez donc comme on me désire : pas un homme n’est insensible à mon sex-appeal. Quel que soit mon âge (et vous ne le devineriez jamais…), aucun ne pense que j’ai passé celui de plaire. Et il vous suffirait de voir comme ils en redemandent pour être convaincu : je suis ce qu’on appelle bandante. Oui, désolée, c’est le mot. First class. C’est bien la preuve que je suis belle-belle-belle, non ?

Vous voyez bien, c’est pourtant flagrant : pas une femme ne me résiste, un zeste de drague nonchalante, quelques compliments fatigués, et jeune ou vieille elle succombe, et vous les entendriez hurler de plaisir que ça vous clouerait le bec : moi, je suis de la dynamite au lit. Je songe parfois à aller me cacher dans un coin perdu pour que ces hordes de nanas folles de mon corps me lâchent un peu…

Le sexe en tant que performance, étalage de prouesses, auto-adoration, booster d’égo. Comme les selfies. Et c’est principalement un piège, un piège qui fait sourire car qui n’a jamais entendu de ces bêtes de lit qui, une fois mariées ou autrement solidement attachées à l’autre par des emprunts, des enfants, des promesses et menaces, collectionnent les migraines, le travail à la maison, le pas envie ce soir, le grande fatigue subite, le demain je me lève tôt, le tu ne penses qu’à ça ? Trompés eux-mêmes par leur reflet dans le regard affolé de passion leur « proie », ils ont pensé pendant un moment que la grâce les accompagnerait bien après les noces de coton. Comme entretemps ils se sont un tantinet fatigués de ce grand show bruyant, ils décident lentement qu’enfin ils peuvent respirer, se reposer, ne plus hurler comme des écorchés vifs ou danser lascivement en lingerie rouge et… lire un bon polar en pyjama…

Ils ont séduit car ils étaient, c’en est la preuve, séduisants. Que l’amour apparaisse. Celui qui ne pense pas qu’à ça….

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La splendeur du premier amour… Splendor in the Grass

Splendor in the Grass, c’est un film dont je n’ai pas compris grand-chose lorsqu’il est sorti – en 1961 – et que j’ai revu aux USA il n’y a pas très longtemps. Et il m’a bouleversée.

En deux mots, dans les années ’20 Deanie, une jeune fille de milieu modeste et le fils d’un des magnats de la ville sont amoureux. Et la passion qui s’éveille dans leurs corps envahis par la sève de la jeunesse et de l’amour les porte aux limites de ce qui était permis alors. La mère de la jeune fille l’a traditionnellement élevée selon le principe qu’une fois que les garçons ont eu ce qu’ils voulaient ils prennent la poudre d’escampette, et donc … elle tient bon. Le garçon – Bud – finit alors par se tourner vers une fille plus libre tout en n’aimant que Deanie, Deanie qui se refuse à lui malgré son propre désir… Et quand Deanie l’apprend, elle entre dans une mélancolie si profonde qu’on doit la mettre en soins psychiatriques. Survient la grande dépression de 1929, la famille de Bud se retrouve sans un sou.

A sa sortie de la clinique trois ans plus tard, Deanie retrouve la trace de Bud, qui vit modestement à la campagne. Et s’est marié. Sur le seuil, sa femme, enceinte, suit des yeux la rencontre des deux anciens amoureux. Leur vie est faite, ils se sont perdus, et l’amour est là entre eux sur le chemin de terre, aussi visible qu’un graffiti de lumière. Tout comme la tristesse qui descend sans un bruit pour s’installer, comme une hyène repue, dans un coin de leur cœur dont elle ne sortira plus…

« On n’oublie jamais son premier amour » a dit, à 90 ans, mon père à quelqu’un. Je lui ai apporté, à cette époque, une photo de son premier amour en robe du soir, et j’ai bien vu que c’était vrai. En avons-nous lues, de ces histoires de retrouvailles qui illuminent le visage de ceux qui, des années  plus tard, des kilomètres plus loin, une vie dans le dos, retrouvent leur premier amour…. Celui dont le baiser contenait l’élixir d’amour… Cet élixir dont on n’oublie jamais le goût…

Mais l’âge du premier amour est aussi celui de l’obéissance aux parents, des études et des pertes de vue contre lesquelles les projets ne peuvent rien. On n’oublie pas mais la vie étourdit… on croit que le passé est passé, faisant place à la réalité. Et au détour du hasard, la vérité aveugle : on n’a jamais oublié son premier amour ni le goût de l’élixir… C’est aussi la réalité.

 

Me too

Oui moi aussi, et je ne connais pas une femme qui ne puisse dire « me too, I’ve been sexually harassed ». C’est une réalité consternante dans notre civilisation pleine de vices privés et vertus publiques.

La première fois, j’avais 13 ou 14 ans, et étais loin d’avoir le sex-appeal d’une Lolita. Je connaissais de vue un certain Jean-Marie C., adulte de 25 ans environ qui venait rendre visite à un Anglais de Bradford louant une chambre chez nous, car il faisait un stage dans une des usines lainières de la ville. Je pense que Jean-Marie C. travaillait dans un garage. Pas du tout l’idée que je me faisais d’un amoureux en puissance : râblé, blondasse avec une moustache comme une brosse à dents entartrée, des petits yeux de verrat myope. Toujours en costume mal coupé et mal tombant sur sa silhouette mal dessinée. (La vengeance est un plat qui se mange froid, et donc voilà. S’il me lit – qui sait – autant qu’il sache). Un jour il passa en voiture alors que je rentrais de l’école, le trajet était plutôt long mais j’y étais habituée. Il m’offre donc de me reconduire, et j’ai accepté – par politesse. Mais il a passé ma maison comme un bolide en me jetant un sale coup d’œil, et j’ai tout de suite compris le danger. A l’époque on nous mettait en garde contre les vieux messieurs qui nous offraient des bonbons dans les parcs en bavant, mais je dois dire qu’on n’envisageait pas d’autres scenarii. On n’était d’ailleurs pas sûrs qu’on aurait compris… Cependant j’ai eu peur, très peur de son air qui avait changé et quand il a glissé une main sous ma jupe en essayant de séparer mes genoux, j’ai désespérément tenté d’ouvrir la portière pour sauter sur la route. Là c’est lui qui a eu peur, il m’a vue aussi affolée que si j’étais à l’abattoir et m’a dit de me calmer, qu’il ne voulait pas me dévergonder. J’ai dû demander à ma mère ce que voulait dire dévergonder. Quand on en a parlé à ma tante Liliane, elle a éclaté de rire en disant qu’avec lui, personne n’était à l’abri, qu’il faisait le coup à tout le monde… Et finalement, en ces temps bénis pour les sauvages comme lui, la devise était le satyre est lâché, tenez les nymphes à l’intérieur sinon ce sera leur faute… Une époque d’impunité assurée, donc…

Peu après, j’étais en pension à Bruxelles et reprenais le train tous les vendredi soirs pour rentrer chez moi. Ce train aillait en Allemagne et était truffé de militaires, souvent très désagréables mais en général sans danger. J’avais alors 16 ou 17 ans, et me suis retrouvée seule dans un compartiment avec un de ces militaires, assis en face de moi. Je lisais, quand tout d’un coup il a avancé ses jambes en glissant sur la banquette, et a introduit un genou entre les miens, bloquant ma jambe avec son autre genou. Je me souviens m’être sentie comme un animal au collet, ne sachant que faire, n’osant bouger, faisant semblant de ne rien remarquer, tremblante de frayeur. Je ne sais plus ce qui a mis fin au calvaire, mais je sais que ce n’est pas moi car j’étais tétanisée. Peut-être le passage de quelqu’un dans le couloir, ou du contrôleur… Mais en sortant du train, mes jambes flageolaient…

Fragonard - Le verrou

Fragonard – Le verrou

Un an ou deux plus tard, j’ai rencontré un certain JM.G., frère d’une célébrité de la région. C’était dans une boite de nuit à Spa, où j’étais arrivée avec un copain – Bubu – dans la voiture d’un autre qui nous avait conduits à condition qu’on se débrouille pour rentrer. Et alors que j’entrais dans la boîte de nuit, JM. G. m’a tout de suite repérée (de la chair fraiche, car c’était la  première fois que j’entrais là). Il m’a interpellée, j’ai répondu par une boutade et suis partie retrouver notre petit groupe à peine sorti de l’adolescence. Là aussi, lui par contre était nettement entré dans l’âge adulte, approchait de la trentaine. Il a fini par s’imposer à notre table, faisait adroitement du charme au copain qui m’accompagnait, tout fier d’intéresser un tel personnage qui trouvait ses problèmes de 18 ans … captivants. Et il offre de nous reconduire en voiture. Le copain tente sa chance un peu plus loin, et demande s’il pourrait conduire… Oui oui bien entendu répond JM.G., mais alors je m’assieds à l’arrière avec ta copine. Marché conclu (merci Bubu!), sauf qu’au moment de monter dans la voiture je refuse d’aller à l’arrière avec la bête (inhumaine). Bubu, ravi et inconscient, conduit, et sur suggestion de la bête, annonce qu’il descendra le premier, que la bête me laissera sur mon seuil. Bon, là j’avais quand même compris ce que voulait la bête, mais comme il avait accepté sans cracher de flammes que je ne m’asseye pas à l’arrière avec lui, je n’avais pas vraiment peur. Sauf que quand lui aussi a passé ma maison à une vitesse très décidée, se dirigeant vers les bois, je n’ai pas apprécié. Une fois dans les bois, il a voulu m’embrasser (oh en plus… la vilaine bouche batracienne qu’il avait… pauvre de moi !) et j’ai résisté, mais soudain il a fait basculer le dossier de mon siège, vlam, on avait une couchette, la voiture de la bête était équipée d’un rapist bed. La lutte fut âpre, j’ai combattu vaillamment, lui ai tordu les doigts et ai mordu tout ce qui était à portée. Finalement il a dû décider que c’était même pas gai, c’t’histoire-là, et il m’a dit que j’étais décidément trop bête, qu’il y avait plein de filles prêtes à cette heure-même à enlever leur petite culotte pour lui. Authentique. Il a dit ça ! Il a continué de loin en loin à me pourchasser, sans succès. Mais alors que le frère – la vedette – n’en pouvait rien, je l’ai inclus dans ma haine, je suis aussi mal à l’aise encore aujourd’hui de parler de l’un ou de l’autre.

Je pense aussi à L.T. Je le trouvais sympa, il avait une bonne bouille (quoi que son haleine aurait tenu à distance même un chien à cadavres…). Il venait de se marier avec une « femme de mon âge ». J’avais 37 ans, lui sans doute 25. Il faisait partie de l’équipe informatique à mon travail, et naturellement était souvent appelé à l’aide. Le matin, je me trouvais seule au bureau, préparant le travail de la journée qui commençait vers midi. Il venait et nous parlions, de tout, de rien, on riait. Vraiment je l’aimais bien. Un jour tandis qu’il était là, le téléphone a sonné et j’ai décroché. Il en a profité pour me sauter dessus, m’enserrant et me palpant d’au moins huit bras tentaculaires (et son haleine tout près, je ne vous dis pas….), et moi, pro comme toujours, empoignant une latte de plastique et lui distribuant des coups comme je le pouvais, ne quittant ni-le-téléphone-ni-mon-calme-ni-ma-voix en ce qui concernait le client que je ne voulais pas soumettre à un interlude intriguant. L.T. transpirait, perdait contenance et frôlait la crise de furie. Quand enfin j’ai pu lui faire face une fois le téléphone raccroché, j’ai vu un autre homme que le jovial et débonnaire collègue qui venait plaisanter. Il haletait et j’étais, de mon côté, absolument horrifiée. Brandissant la latte comme Zorro son épée ! Je lui ai demandé ce qui lui avait pris, et la réponse a été qu’il savait que quand une femme dit non, elle veut dire oui. Inutile de dire que nos petites conversations matinales ont pris fin et… qu’il s’est vanté partout de « m’avoir eue », il me l’a dit lui-même des mois plus tard (je m’étais demandé la raison de mon succès soudain…).

Il y eut aussi ceux qui ne harcelaient pas mais attendaient ouvertement un donnant-donnant : un boulot contre un peu – et plus si affinités – de disponibilité. En Italie je dois dire que je les ai collectionnés, et que je ne m’étonnais même plus. Ils le disaient sans ambages à l’entretien d’embauche. Pour ne pas verser un mois de salaire pour rien, ça va sans dire! Je vois encore ce gros rouquin de Bari dont la toison crevait les interstices de la chemise et qui, à mon indignation, m’a dit « mais enfin madame… je ne peux quand même pas écrire dans le journal que je cherche une maîtresse… ».

Et les médecins au toucher vicieux, s’il y en eut. On n’osait rien dire, ne sachant trop si c’était « médicalement normal » ou pas de nous toucher là. Je me souviens d’une copine de classe, lorsqu’on avait 16 ou 17 ans, qui avait été violée par son dentiste : il l’avait mise sur une chaise qu’on pouvait surélever, et une fois placée trop haut pour en redescendre sans se casser la figure, hop. Et en ces temps-là… ça passait dans les pertes des unes  et profits des uns, car personne n’aurait songé à porter plainte et parler de ces hontes.

Une autre amie a été violée à Rome à 14 ans par le chauffeur de confiance de l’hôtel qui la ramenait à l’aéroport… Elle n’a rien osé dire à ses parents qui l’attendaient à l’arrivée à Bruxelles … avec la police. Quelqu’un avait eu vent de quelque chose mais le sale type avait bien pris soin de lui dire qu’elle ne devait pas en parler sinon il perdrait son emploi, irait en prison et sa femme et ses enfants mourraient de faim et de honte… à cause d’elle.

Et bien que ça ne soit pas sexuel, mais bien du harcèlement, il y a le vilain jeu de domination au travail. Hommes et femmes y excellent, et presque partout j’ai eu le tyran et les tyrannosaures de service.

Protégez-nous des rustres

La banalisation scandaleuse des appréciations sonores et palpables des rustres. T’es bonne à baiser. C’est à toi tout ça? Tu n’a pas envie de me faire une gâterie? Quand je te verrai seule, salope, mes copains et moi te violerons comme tu le mérites. Mademoiselle, quand on cherche un travail on doit être prête à tout. Le candidat souteneur auquel l’ANPE d’Aix en Provence avait “offert mes services”…

Le parcours d’une femme passe par ces rencontres d’un troisième type. Parfois ce sera moins direct mais pas plus plaisant : le regard qui bave sur un sein, des allusions faites “avec un franc parler” car tu n’es plus une pucelle, hein… Il y a ceux qui trouvent normal de nous toucher, de nous inquiéter en échangeant des regards goguenards avec leurs copains – l’élite masculine. L’opinion publique trouve qu’on n’a qu’à se débrouiller, ne pas se mettre dans de telles situations, qu’on n’aurait pas dû porter des jeans serrants ou simplement sourire – oui, même ça est utilisé contre nous en cas de plainte.

Nous apprenons la peur et l’agression sexuelle très vite. Maintenant on en parle, autrefois on n’osait pas. Nous comprenons vite que nous sommes des proies, et qu’une partie de la population mâle chasse à découvert, en meute, qu’une autre attend ce qu’elle considère une “occasion”qui avalise son comportement (et il ne faut pas grand chose…) et heureusement il y a les autres. Mais quand quelque chose arrive, la plupart du temps on vous dit que vous n’aviez pas à vous fourrer dans cette situation ou on vous dit que puisque ça s’est “bien terminé” autant passer à autre chose.

J’ai connu une jeune fille d’alors 18 ans – on était en 1975, une époque où 18 ans était encore l’adolescence – qui s’est fait coincer par son patron, un homme dans la cinquantaine. Elle est venue en larmes se confier au gérant d’où elle travaillait, qui lui a dit de ne pas en parler pour ne pas faire peur aux autres. La même jeune fille avait un jour été chargée de livrer de la marchandise quelque part, et comme elle avait besoin de ses deux mains pour tenir le tout, des jeunes l’ont coincée dans la rue, mise contre le mur, lui ont enlevé sa culotte et se sont amusés. Personne ne l’a aidée. J’ai vu une jeune touriste se faire déshabiller et caresser par la gent masculine du groupe avec lequel elle avait passé ses vacances, et qui lui avaient offert une soirée d’adieu. Nous, les autres filles, nous sommes barricadées dans les voitures, terrorisées. Nous ne pouvions rien faire. Ces types avaient dansé et ri avec nous pendant deux semaines, et là nous avions une horde de rustres rigolards et saouls qui n’y voyaient qu’une excellente blague. Un collègue m’a un jour sauté dessus pour m’embrasser fougueusement alors que je répondais au téléphone, donnant comme justification que oui, bien entendu je lui avais toujours dit non, mais qu’il était connu qu’une femme qui dit non dit oui… Un autre collègue m’a un jour donné un coup de fil anonyme et immonde. Le malheur est que sa voix était très particulière et que j’ai immédiatement su que c’était lui – qui ne me draguait pas du tout “officiellement”. Et je peux continuer et continuer, mais ça me met en colère et pourrait m’abréger la vie, ce qui me semble inutile.

Or jamais je n’ai porté des mini-mini-jupes, encore moins de décolletés, ni eu un comportement invitant à ce genre de délire. Peut-être ai-je eu plus de mésaventures de ce type parce que je quittais mes repères, changeant de pays et me retrouvant en position plus vulnérable (on hésite parfois à s’en prendre à la fille machin, la femme de chose ou la cousine de truc…) et donc mes statistiques personnelles sont peut-être un peu élevées face à la moyenne, mais… quelle horreur que l’acceptation tacite que … c’est la vie, boys will be boys

Ça aurait dû, de tous temps, être sévèrement puni. Sévèrement regardé par l’éducation. J’ai connu un village où les femmes riaient de bon coeur lorsque des touristes se faisaient violer par leurs hommes. Mais oui… pour elles il ne s’agissait pas d’infidélité mais au contraire, du mépris qu’on doit à ces salopes en short et sans soutien-gorges. C’était bien fait pour elles. Je me souviens de cette droguée qui s’est fait violer à Rome il y a plusieurs années, par un groupe de fils à papa. Mères et fiancées se sont déchaînées contre elle car elle n’avait pas besoin d’être dans la rue à cette heure-là. Elle a eu tout le monde contre elle, et en plus est morte peu après du sida qu’elle avait et… effet boomerang : que ses violeurs avaient reçu en cadeau bonus aussi. Il n’y eut pas de justice des hommes, mais celle-ci venait d’on ne sait où mais me semble avoir été très juste.

Femmes  du bus 678

Nous avons toutes, absolument toutes, ressenti cette crainte, ce besoin de ruser pour nous sortir d’affaire sans tapage. Nous avons étouffé l’humiliation dans la peur et, parfois aussi, le petit sentiment de triomphe quand on s’en était bien sorties finalement. Mais les agressions se perpétuent.

Nous sommes toutes des femmes violées dans l’imaginaire de quelqu’un, et ça n’est pas normal. Où sont les hommes pour nous protéger, faire des lois et les faire appliquer?

 

https://www.youtube.com/watch?v=eDhg5VY5Yh4

Les « mauvaises lectures »…

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Forbidden-books-1897-alexander-mark-rossi

Mes parents étaient d’avides lecteurs, comme les parents de mon père. Mon grand-père faisait relier ses livres en cuir, dorés sur tranche, avec son nom en lettres d’or… Ma tante Françoise elle, cousine de mon père, les faisait relier également, en agneau, avec à l’intérieur du papier aux dessins précieux qu’elle faisait venir de Florence. Dorés sur tranche aussi, naturellement.Qu’on se rassure: cette tante était très riche, mon grand-père l’était moins mais il y avait des plaisirs qu’on choisissait de se faire même s’ils étaient coûteux.

On avait aussi beaucoup de livres de plus modeste apparence, avec les bords incertains et la couverture de papier qui semblait vouloir danser quelque peu. Les pages qu’il avait fallu séparer l’avaient parfois été sans soin… Ah, ces beaux coupe-papiers ! Je me souviens de mon préféré, en ivoire, qui était fendu. (Mais qu’est-il devenu?)

Dès que j’ai su lire, j’ai spontanément suivi les traces familiales du délice vertigineux des pages que l’on tourne. J’ai commencé avec les petits livres d’or et surtout les histoires que ma mère aimait puisque c’est elle qui choisissait en me disant « tu aimeras bien ». J’avais donc les aventures de Hopalong Cassidy et Roy Rogers. Plus tard ma grand-tante Didi m’a offert son propre exemplaire de Mickey et Minnie de la bibliothèque rose, qui me donnait des frayeurs terribles mais que je n’abandonnais pas, tremblant dans la solitude de ma chambre le soir. J’ai eu les contes d’Andersen première édition de ma tante Françoise et là aussi, il y avait de quoi avoir peur bien souvent. Mon grand-père maternel m’a offert Le Sphinx des glaces de Jules Verne, qu’il avait reçu dans son enfance. Bref… j’ai appris à lire dans des reliques.

J’avais libre accès dans la bibliothèque familiale. Il y avait au grenier une armoire baptisée « la grande armoire » qui contenait tout ce qu’on ne lisait plus, et qu’on avait oublié s’y trouver. Et dans le salon il y en avait une autre, remplie d’autres livres souvent également oubliés. Une autre plus petite dans le boudoir et une dernière dans le « petit bureau de papa »… J’attrapais tout, car bien vite je m’étais montrée trop gourmande pour me contenter longtemps des livres avec des images. Bien entendu, j’ai ainsi lu pas mal de livres sans rien en retirer qu’une sensation d’égarement incrédule.

Mais il y eut l’âge où je me suis rendu compte que ces livres remportaient des indications intéressantes sur bien des mystères que je ne pouvais aborder ouvertement. Mystères qui parfois, même en ayant atteint le statut de « jeune-fille » et quitté celui de fillette, restaient un complet brouillard. Il faut dire qu’alors l’éducation sexuelle était résumée par un laconique « ton mari t’expliquera » ou « tu sauras bien assez tôt ». La garçonne de Victor Marguerite me présenta un monde de partouzeurs, avec des fantaisies et des hardiesses qui me stupéfiaient. Je n’osais d’ailleurs pas demander d’explications à ma mère qui m’aurait repris le livre aussitôt ! Mariages de Charles Plisnier me dirigea vers la notion d’échec presque inévitable des mariages et les appétits sexuels exprimés, que je comprenais peu en cette ère de Mademoiselle âge tendre et Salut les copains. Les dieux rouges avait un délicieux goût d’interdit… Parfois je prêtais ces livres à ma voisine qui les dévorait avec sa mère, en cachette du père, ce qui m’assurait leurs sourires heureux lors de mes visites et beaucoup de chuchotements entendus. Nous avions aussi une très belle copie des contes de Boccace illustrée de bien jolies femmes nues et Les chansons de Bilitis de Pierre Louÿs, également illustrées. J’avoue que je ne comprenais rien du tout…

Au moins… c’était de la bonne littérature ! Et plus attrayante que « le mariage parfait » que l’on m’offrit lors du mien, de mariage – qui ne fut pas parfait ! Ce livre expliquait tout ce que l’épouse devait faire pour le plus grand bonheur de son époux. Devait. Allez, un bon geste, ce sera vite passé…

Je suppose que l’amour était le meilleur guide, de toute façon…