J’ai grandi à la fin d’une époque. L’avant-féminisme. L’avant milliers de questions. Le cinéma et les romans que j’aimais lire m’avaient expliqué que l’homme était sûr de lui, protecteur et toujours dans le vrai.Les histoires étaient plus simples qu’aujourd’hui.
Peu « d’autres femmes » ou alors c’était une gouvernante folle et criminelle ou une sœur vieille fille rancie. On n’oubliera pas non plus la mère de Norman Bates. Mais il y avait cette simple évidence : un homme rencontrait une femme et hop, tout se déroulait entre eux deux sur fond de guerre, d’espionnage, de business. Il n’y avait pas le retour des ex, ou un(e) autre attendant son heure en haletant au moindre signe de désaccord. L’homme aimait avec élégance, certain de ses sentiments qu’il cachait au mieux, la femme restait une faible créature un peu tête de linotte, en proie aux crises de nerfs et de larmes, pompette à l’occasion – juste de quoi rire un peu sottement et avouer sa passion – et persuadée qu’un tel homme ne pouvait vraiment l’aimer elle, humble chose, ce qui permettait de faire tenir le suspens jusqu’au happy end qui couronnait le long baiser effaçant tous les doutes !
Ou bien c’était une femme fatale en apparence, le jeu de paupière menaçant comme la danse d’un papillon vénéneux et la lèvre aux courbes écarlates, et elle finissait par se prendre quelques claques qu’elle savait avoir méritées et qui avaient le mérite de faire d’elle un chat dont les yeux envoient des étincelles d’adoration. Trophée inestimable pour le dompteur qui épouserait sa mégère apprivoisée qui ne se soumettrait qu’à lui.
L’amour était celui d’une vie. S’il y avait une ex, elle était morte.
Il m’est arrivé aussi de voir notamment un film que je crois être « le fils de Robin des Bois » où le fils en question était un magicien de la lame et du saut dans les branches sans déchirer ses collants, mais l’amour de la gente dame le rendait si perplexe que c’était elle qui, lasse de panser ses bobos et de changer de poulaines tous les jours pour le séduire sans qu’il le remarque finissait par lui déclarer « Vous m’aimez, Robert ». Et il se rendait à l’évidence, régalant le public du long baiser final tant attendu. Mon frère et moi étions très choqués de cet aplomb et avons joué cette scène plus d’une fois en riant devant son étrangeté.
Moi j’ai grandi dans un monde que l’on dira macho peut-être mais où l’homme « normal » était gentil et ferme, faisait des cadeaux, protégeait – soutenait le coude pour traverser, retenait les portes, ouvrait la portière de sa voiture, mettait à l’abri du vent et de la pluie, portait les objets lourds. Il trouvait toujours les mots et promesses pour calmer les chagrins. Tout ça avec une tranquillité rassurante.
Maintenant… Le cinéma nous montre un homme névrosé en face d’une femme blessée par son passé. Ou le contraire. Pendant la durée du film ils se tournent autour comme deux fauves en chaleur et affamés… quel instinct l’emportera-t-il sur l’autre ? Fini la femme qu’il fallait aider et préserver, car dans le cinéma d’aujourd’hui bien souvent elle grimpe aux échelles et barricades, attache son homme aux montants du lit pour en faire sa chose, rentre en nage le matin de son jogging forcené, tandis que l’homme mijote des petits plats, va chez le psy, donne la bouillie aux gosses et attrape des boutons quand il entend la formule « pour toujours ». Et il jure comme aucun muletier n’aurait jamais osé jurer autrefois, car ses mules l’auraient éventré à coups de sabots.
Le doute et l’hésitation colorent tous les films… L’homme pleurniche et déprime, la femme a parfois les biceps de Rosie the Riveter (Norman Rockwell). Il faut résister aux tentations des autres… ceux et celles dont les rencontres sont devenues si faciles. Il faut accepter d’être en sueur, échevelé(e) et hurlant(e) lors des ébats conjugaux et ne pas avoir de tabous frustrants qu’un(e) rival(e) n’aura pas. Et tout comme autrefois la souriante épouse était fière de sa table bien dressée, nappée de frais d’un tissu immaculé qui avait claqué contre l’air du salon, fleurie d’un bouquet du jardin, il faut avoir le cœur à rapidement allumer trente-six chandelles dans la chambre à coucher – ça aide certainement pour la température en hiver – et choisir judicieusement l’arôme de l’huile de massage. Il faut savoir se remettre de joutes verbales effroyables au cours desquelles on vide son sac jusqu’à ne plus avoir de sac d’ailleurs, pour aller courir sous la pluie en larmes en appelant Dieu ou notre mère la terre à la rescousse.
Oh… où donc êtes-vous passés, Gregory Peck, Cary Grant, Rosanno Brazzi et les autres ? Et Audrey et Katharine Hepburn, Grace Kelly, Loretta Young, Danielle Darieux, Alida Valli?