Julie Van Espen aura toujours 23 ans. Sa vie se trouve bloquée à cet âge parce que, partie pour rencontrer des amies à une fête un samedi en fin d’après-midi, elle a pris son vélo et sa bonne humeur, et toute sa jeune beauté, et que tout ça a été une trop belle aubaine pour un violeur récidiviste en liberté.
Les détails sont dans la presse.
Alors qu’on se sent moins concernés – à tort mais ça rassure de se dire qu’il suffit de ne pas se mettre dans des situations de danger – par quelqu’un qui finit mal en mauvaise compagnie, dans un quartier lugubre à une heure indue, le tout couronné de drogue ou alcool, lorsqu’on peut malgré tout se faire assassiner en plein jour le long d’un canal parce qu’un prédateur s’y promenait aussi… on se sait tous en danger.
Je ne vais pas refaire la loi, ou pointer du doigt incompétence, manque de moyens, d’effectifs, de bon sens. Ça se fera bien sans moi, et j’espère surtout que ce drame qui n’avait aucun des ingrédients initiateurs habituels sera le départ de changements dans la législation ou la procédure.
Car en effet, le viol n’est pas considéré comme une vraie violence, tout comme les violences conjugales.
Oh, mais elle avait quand même couché avec lui avant ça, ce n’est pas vraiment un viol, de quoi se plaint-elle ?
Enfin… vous voyez bien comment elle s’habille, non ?… Elle cherche les ennuis.
Elle l’a aguiché…
Dispute de couple qui a mal tourné, on ne sait pas ce qu’elle lui a dit, ou fait, et ça s’arrange toujours…
On minimise.
Mais qu’un employé se rue sur son patron et lui casse la figure, excédé par une remarque de trop, et là, on va tout de suite lui imposer de gérer sa colère, et le mettre au frais pour commencer. Pareil pour un citoyen furieux qui lance des œufs ou des tartes à la figure d’un élu décevant.
J’ai eu à faire appel à police et gendarmes (quand ces derniers existaient encore) pour me protéger de dangers ou violences réelles. J’ai eu droit à « allez madame, on ne va pas porter plainte ce soir, demain vous serez réconciliée avec votre mari… on a des choses plus importantes que ça à faire ! » (Oui bien sûr, si on favorise l’impunité des « petites violences sans importances » jusqu’à ce que petit cogneur devienne grand tueur, on a en effet du pain sur la planche…). J’ai droit aussi à « Madame, ce sera votre parole contre la sienne, vous feriez mieux de vous arranger entre vous, on a des choses plus importantes à faire ». Ou encore à « Madame, vous voyez bien qu’il ne va pas bien, vous êtes bien sûre de ne pas l’avoir provoqué ?».
Et je dois remercier ma voisine qui refusa de témoigner pour moi car oui, elle entendait des coups mais elle ne savait pas qui battait l’autre ! Et une patronne qui ne voulait pas non plus me venir en aide car elle avait peur qu’il se venge sur elle, elle ne voulait pas d’histoires… Et n’oublions pas ma propriétaire qui, alors que mon mari s’en allait enfin avec les sous en me laissant les hématomes, lui a dit « Vous allez voir vous allez être bien mieux maintenant ! ». Devant moi.
Car on ne peut pas uniquement et toujours s’en prendre à la justice, aux policiers, sans tenir compte de tous ceux qui savent, assistent et tournent la tête, hommes ou femmes. Ne nous en mêlons pas.
Ici, dans le cas de Julie, les parents de l’assassin avaient senti qu’il ferait quelque chose de pire encore que ses méfaits habituels, le vol, les menaces, le viol. Ils l’ont signalé et encore signalé. Mais on a … attendu.
Et les braqueurs de banque, les terroristes, les serial killers et autres monstres du crime ne se sont pas réveillés brusquement à 20, 25 ou 30 ans avec la décision d’aller jusqu’au bout. Ils y sont arrivés pas à pas, ils ont cogné leur mère, leur sœur, les plus petits en classe, ils ont volé les goûters et les baskets, ils ont torturé le chat du voisin et brûlé vif le chien de leur oncle, ils ont menacé leurs instituteurs et leurs petites amies, ont crevé les pneus de qui les avait réprimandés. Et puis plus tard ils ont cassé les dents de leurs fiancées avant de les violer avec leurs copains pour leur apprendre qui était le maître, ils ont kidnappé le petit garçon un peu simple d’esprit du quartier pour acheter une mobilette avec la rançon, ils ont mis la vidéo de leurs ébats avec les filles en ligne. Mais toujours, on avait des choses plus importantes à faire… (et des avocats ont vêtu leur plaidoirie et jeux de manches d’enfance difficile, de famille décomposée, de difficultés d’insertion, quémandant une dangereuse clémence et effaçant d’un coup tous les efforts de ceux qui s’en sont sortis avec le même jeu de cartes en main…)
Est-ce gérer le comportement « humain » … en bon père de famille ?
Ne disait-on pas que qui vole un œuf vole un bœuf ? De nos jours on ne lève le doigt ni pour l’œuf, ni pour la fermière, ni pour le bœuf d’ailleurs, car il n’est qu’un animal. On attend qu’on vole un missile ou la voiture d’un personnage important.