Le coeur à la maison

J’ai publié cet article sur mon premier blog, le 11 septembre 2009…

***

J’ai la nostalgie de ces chansons – souvent très belles – qui mettaient la vadrouille de l’époux en mots et musique.

Il était parti. Il allait revenir, mais quand ? L’épouse continuait sa vie, gardait la maison et son cœur au chaud. Parfois elle se languissait tant que sa plainte faisait peine : Dis, reviens-moi avant que l’hiver ne ressemble à d’autres hivers où j’ai froid (Marie Laforêt, Lettre de France). Ou elle laissait entrevoir l’ombre d’une menace : elle aussi avait envie des merveilles du monde et n’avait pas l’âme d’une femme de marin. Mais bien vite elle adoucissait le ton et reprenait un lancinant Dis quand reviendras-tu ? Dis, au moins le sais-tu ? avec ce frôlement d’ailes qu’était la voix de la divine Barbara. L’homme aussi, ce vagabond aimé, commençait à se lasser de cette liberté et à entrevoir dans son futur proche la tiédeur de son logis dont la femme gardait l’âme éveillée pour son retour. Fais du feu dans la cheminée, je reviens chez nous. S’il fait du soleil à Paris il en fait partout. (Jean Pierre Ferland).

On s’attendait, « dans ce temps-là ». L’absence était une autre présence. On avait de la patience, on freinait le temps, on le passait dans la confiance et la loyauté.

Il semble qu’alors l’attente n’était pas comme aujourd’hui une perte de temps, l’anéantissement des meilleures années de la vie d’une femme, années dont il faut absolument profiter sans retenue. Attendre un homme est devenu un risque qu’on ne peut prendre. La pendule biologique, le droit à ci et ça. Comme si la vie était à la carte, qu’on pouvait forcer le destin, que le bonheur n’était pas concevable sans une longue liste de choses. Je ne me marierai qu’avec un grand brun aux yeux verts, et j’aurai cinq enfants, ai-je entendu dire – par une  femme pas aussi intelligente qu’elle ne le croit, c’est vrai. Ou Je ne saurai me marier qu’avec un homme qui a un beau torse. (C’est une Américaine, celle-là ! Elle avait d’ailleurs sa boîte à outils… rose, du tournevis au marteau)

Tiens, pourquoi ne pas choisir son mari en ligne ? 1,85 mètre clic, nez droit clic, très bon amant clic, mais très fidèle clic, ne verra que moi clic, aime les enfants clic, s’en occupera quand je serai à la gym clic… Il doit même y avoir des occasions, ayant déjà servi mais en parfait état.

Le désir est devenu le baromètre, et il bascule vite sur « pluie » pour y rester. En bons élèves d’un cours qui ne sert à rien, on s’épuise à savoir comment rester sexy et désirable, et sauvegarder le mystère dans la vie conjugale. On devient le couple dans la vitrine, qui a le contrôle de ses rides, ses biceps, le rebondi des lèvres. Qui ne fait que des vacances étonnantes. Et dont on suppose que les nuits sont remplies d’étincelles.

Vieillir est vu comme un honteux abandon de l’amour-propre et du sex-appeal.

C’est un jogging vers la solitude, cette idée-là du mariage !

L’amour conjugal vrai pourtant, c’est le visage triste de mon grand-père penché sur le chemin du jardin, là où son épouse chérie avait laissé l’empreinte de son talon dans le ciment frais jointoyant les dalles d’ardoise, un peu avant sa mort ; c’est mon vieil oncle Roland, tout chiffonné par les ans mais ayant encore cette gaillarde allure de dandy, dont les yeux et la voix se brouillaient à chaque fois qu’il parlait de sa défunte Ninette ; ce sont ces vieilles dames, coquettes avec le respect pour leur âge argenté et la classe qu’elles savent s’y trouver et qui disent J’ai été heureuse avec mon mari ; cette douce octogénaire chère à mon cœur qui m’écrit qu’il est bien vrai qu’un seul être vous manque et tout est dépeuplé, parce que son mari lui manque tant.

Vieillir est une procession de souvenirs merveilleux, une explosion de ce qu’on a de plus vrai en soi. Et si les corps se fanent, ralentissent, s’effacent un peu, les cœurs se sont déployés autour de l’amour, l’amour quotidien qui s’est écoulé lentement dans le sablier de la vie. Et dans ces cœurs-là, les grosses, les chauves, les fripées et les de-plus-en-plus-distraits ont leur place, parce que même en vadrouille, ils ne l’ont jamais quitté.

29 réflexions sur “Le coeur à la maison

  1. Célestine dit :

    La femme attendait l’homme certes, mais avait-elle les moyens de faire autrement ? Elle qui n’avait le droit de travailler qu’avec le consentement de son époux, et n’avait par conséquent aucune indépendance financière. Là, je n’arrive pas à te suivre dans ton raisonnement (et c’est assez rare pour être souligné) .
    Encore, quand l’époux était un marin, ou un soldat, et que ses absences étaient dues au boulot ou à la guerre, passe encore. Chacun était dans son « rôle ». La femme gardait, telle le grillon du foyer, les mioches et la maison.
    Mais quand l’époux partait batifoler avec une plus jeune, comme dans une autre chanson de Marie Laforêt, « Viens »,(je sais bien qu’elle est jolie cette fille, que pour elle tu en oublies ta famille) bonjour l’humiliation.
    Quant à la chanson « fais du feu dans la cheminée je reviens chez nous » comment doit-on l’interpréter ? En plus poétique, ça ressemble bien au « lave-toi les fesses j’arrive » du film « et la tendresse, bordel ?»
    Il est parti voir ailleurs si l’herbe était plus verte, et comme il n’a rien trouvé, il retourne à la maison.
    En revanche, si c’est la femme qui va batifoler, c’est plutôt les doux mots de garce et de salope qu’elle se prendra en rentrant, comme dans la scène culte de Fanny où Raimu engueule Pomponnette, la chatte, parce qu’elle a laissé tout seul le pauvre Pompon…
    Décidément, je n’ai pas la vertu des femmes de marins… 😉

    Baci sorellita
    ¸¸.•*¨*• ☆

    • Edmée dit :

      😀 Il ne s’agit pas ici de choix, certes autrefois bien des femmes ne travaillaient pas à l’extérieur et n’avaient donc pas d’autre choix que « d’attendre » mais certaines justement n’attendaient pas. Pas avec le coeur en tout cas. Parce qu’elles n’aimaient pas (et ce n’était pas toujours leur faute, mariées commodément par des parents qui voulaient « caser leur fille », ou mariées à des rustres que même leur mère n’aurait su aimer…).

      L’attente dont je parle ici est celle que l’on ressent avec le coeur, avec la langueur d’un amour partagé. Avec usure parfois, découragement, mais on attendait quand même. Et l’homme revenait le coeur chaud, et le feu dans la cheminée serait le symbole du feu dans leurs coeurs et corps enfin réunis.

      J’en ai connus. Et ça existe encore de mille manières, quand ce qui lie est bien l’amour et pas un contrat… 🙂

      Baci sorellita 🙂

  2. sandrinelag dit :

    Très joli texte qui remet les vraies choses à leur vraie place. L’esprit du temps nous pousse à la satisfaction immédiate, au caprice à assouvir dans la minute sous peine de dépression, à la consommation rapide et à la carte, etc. Consommer, consommer, sans plus se poser de questions sinon celle d’un sentiment d’urgence d’être repu de tout.
    La patience, le temps qui fait son oeuvre, les choses qui se bâtissent pierre par pierre, le travail, le soin, la persévérance, toutes ces valeurs sûres qui ne vieilliront jamais parce qu’elles sont éternelles et universelles malgré tout.
    Parce qu’elles sont belles, vraies et bonnes… 😉

  3. Florence dit :

    Coucou Edmée !
    Oui, attendre un être cher… mais il ne faut pas que cela dure trop longtemps. Oui, bien-sûr, il y a des impondérables… Mais…
    Autrefois c’était peut-être plus facile d’attendre un retour, car il n’y avait pas toutes ces facilités de déplacements et de communications que maintenant. On trouvait normal d’attendre un soldat, un marin… sans même rien savoir de lui. On espérait son retour. Maintenant, avec l’avion, le TGV, le téléphone, internet et son skipe… oui, pas d’excuses, on peut au moins communiquer et se voir, et le temps semble moins long.
    4 bises bretonnes chère Edmée et bonne fin de semaine !
    Florence

    • Edmée dit :

      Bien sûr l’attente se passe autrement, comme tu dis on a bien des moyens de communication mais … l’absence, elle, elle reste bien réelle 🙂

      Bises liégeoises!

  4. bizak dit :

    Tu viens encore de dire vrai, vraiment vrai, de cette question de l’amour, dans la vie en couple, de ses tiraillements et de ses blessures. L’amour tant qu’on l’a pas compris qu’il n’est pas un assemblage des jours qu’on vit, des produits qu’on nous offre, des rêves extravagants, mais un temps de vie pour embellir nos jours,en les vivant ensemble même si quelques fois les nuages entachent notre lumière, notre vision des choses.L’amour est une espèce de partage de nos espoirs, du bonheur du moment présent, même si la douleur peut fait des croche-pieds, on tombe alors et on se relève. L’amour est une chose à inventer chaque jour, si les cœurs ont cette volonté d’aimer sans calcul, mais tout simplement.
    Belle journée Edmée

  5. Armelle B. dit :

    Un bien joli article sur la douce mélancolie des attentes conjugales. Les femmes y brodaient des sentiments pleins de tendresse et de résignation mais étaient-elles plus malheureuses que celles d’aujourd’hui qui brûlent leur vie avec inconséquence, fumant, buvant et vieillissant beaucoup plus vite que leurs ancêtres.

    • Edmée dit :

      Je pense que le bonheur ou le malheur vient de ce qui nous unit à l’autre. Amour ou illusions en train de s’éteindre… Alors, broderie ou vie « vécue à 100 à l’heure » ne changent rien…

  6. Un très beau texte, Edmée. Eh oui, l’amour est magnifique et doux, ces longues attentes presque extatiques nous le démontrent. J’ai aussi connu de tels couples. Hum, mais ce n’est pas moi hein, qui attendrait le man en écoutant langoureusement Barbara. Non non.

    • Edmée dit :

      Non moi non plus, je ne pense pas que Barbara serait la bienvenue dans mes pensées, mais comme toi, je pense que l’attente a du bon, parce qu’elle mène quelque part : les retrouvailles!

  7. gazou dit :

    Très beau texte…L’amour est patient, il sait attendre…Et parfois, c’est l’homme qui attend…Et parfois, il vaut mieux être lucide, se rendre compte que ce n’est pas l’amour qui nous a unis,…que c’est le besoin de faire ce que l’on attendait de nous, le besoin de sécurité, n’importe quoi…mais pas l’amour…et qu’attendre est inutile

    • Edmée dit :

      Alors là c’est bien amer mais salutaire à identifier… et ça arrive.
      Quand l’amour garde le feu au chaud au contraire, l’attente est un plaisir, parfois douloureux mais imaginer le retour de celui ou celle qu’on aime est palpitant.
      Quand au contraire on attend qu’il ou elle reparte… c’est mauvais signe 😀

  8. charef dit :

    Il y a des souvenirs intimes que seul le couple peut connaître. Exemple du lit de Penelope et d’Ulysse mémoire de leur histoire commune.

  9. angedra dit :

    l’attente telle que décrit dans ton texte n’est absolument pas ma tasse de thé !! Attendre sagement et patiemment que l’homme que l’on aime (ou pas !) reviennent de sa vie de plaisirs sachant que Pénélope lui tisse un nid douillet pour son retour… avant un nouveau voyage vers d’autres contrées que madame ne connaitra jamais !!!!
    Je suis même surprise que tu puisses admirer ce genre de femmes qui vivent dans l’attente d’un être qui, lui, vit sa vie librement.
    Il est palpitant en effet d’attendre le retour de l’être aimé, mais à condition que cet être soit lui aussi dans la même attente, suite à une séparation obligatoire pour une raison définie …mais pas pour son simple plaisir, une autre vie en dehors de son foyer.
    Mon compagnon et moi avons dû être séparés (suite à un décès) pour un mois… mais chaque matin il me réveillait par des mots d’amours (merci téléphone), de même que le soir pour nous endormir. Un bel échange de SMS tout au long de la journée et cette attente, ce manque ressenti par nous deux, comptant les jours et les nuits qui nous rapprochaient…
    Pourquoi l’homme devrait il être le seul à vivre pleinement sa vie et trouver une femme aimante, entretenant le feu de l’âtre ??? Et si nous renversions les rôles ? Cela montrerait-il une image aussi douce
    Je connais beaucoup de femmes qui disent avoir été heureuses avec leurs maris, et même après le décès de celui-ci en parler comme un être hors du commun et si gentil et amoureux !!!!
    Elles aiment embellir ce qui n’est plus et je comprends très bien que l’on ne veuille pas reconnaître d’avoir peut-être perdue sa vie auprès d’un homme par peur d’aller voir ailleurs.
    Comment connaître le bonheur lorsqu’on n’arrive même pas à imaginer une autre vie que celle que l’on a…………

    • Edmée dit :

      Il y a des hommes qu’il faut attendre, parce que leur métier les fait partir. Un homme qui est parti courir le guilledou, ça, je n’attendrais pas – ou plutôt n’aurais pas attendu -, mais autrement, il faut bien les attendre, ces malheureux… Ils attendent aussi leur retour.
      Parfois ce sont eux qui attendent, que l’on finisse ses études, que l’on revienne d’une mission ici ou là… Et là, c’est à l’épouse de retrouver le feu allumé et des roses sur la table.
      Sinon oui, je serais d’accord avec toi, s’il s’agit d’un vagabondage par indécision, par besoin « de se sentir libre de tout fil à la patte » etc… pourquoi attendre, et qu’attendre? Et où serait le bonheur d’attendre et de savoir que ça sera sans fin…
      Et tu as raison, bien des gens décrivent leur mariage auprès d’un « cher disparu » comme une marche au paradis que ça n’était pas, pour justement dissimuler d’amers regrets. Mais j’en connais (celles que je mentionne…) qui ont vraiment été bien, sans parler justement d’amour et câlins, ce sont des dames âgées qui dans le mariage ont apprécié le respect et la complicité. Pour le « plus », nous ne saurons jamais 🙂
      J’en connais une autre qui elle-aussi me dit regretter son mari, mais vu la façon dont elle a foncé dans la vie et liberté dès qu’il est mort (c’était un tyran jaloux et coléreux), je soupçonne qu’elle dit ça pour faire bonne mesure, car sans y penser l’autre jour elle m’a dit qu’elle avait bien profité de la vie « depuis 12 ans’… depuis qu’il est mort 😀

  10. Pâques dit :

    J’aime bien la dernière phrase – Vieillir est une explosion de ce qu’il y a de plus vrai en soi –
    Je pense aussi que sans les artifices, les illusions de la jeunesse, nous nous révélons enfin tels que nous sommes.
    L’amour sans la sensualité torride du début peut s’exprimer autrement.

  11. Tania dit :

    Préoccupée pour le moment par ce naufrage qu’est aussi le très grand âge, je relis ton dernier paragraphe et j’en retiens de regarder tout ce qui reste de positif, pour s’y ressourcer.

    • Edmée dit :

      Je n’ai pas encore le grand âge mais j’ai un « certain âge » et je découvre les trésors remisés pour « quand je serai vieille ». Et j’en accumule encore pour quand je serai plus vieille et puis très vieille…

      Courage, car ce n’est jamais facile sous tous les angles!

  12. Françoise dit :

    Moi, j’aime bien ton récit, Edmée. Bien souvent, maintenant, les jeunes ne savent plus attendre. Parce que leur ami(e) part dans une autre région pour ses études, pour un an ou deux, voilà que cela signe la fin de leur histoire d’amour, parce qu’ils veulent tout, tout de suite, pas question d’attendre le retour, ah non, ce serait trop long ! Quel dommage…
    Bonne soirée, Edmée. Bises.

    • Edmée dit :

      Oui, attendre est « perdre son temps ». Amour bien léger, finalement. Moins important que la liste des choses à faire à temps 😀

  13. colo dit :

    Bonjour Edmée, je pense qu’il y a attente et attente;-) On peut « arrêter » sa vie et se morfondre ou la vivre pleinement tout en désirant qu’il/elle revienne en forme et toujours amoureux(se) (ceci en cas d’absences-travail ou autre mais pas la trahison!).

    Sinon, se friper ensemble est une bénédiction, du moins pour moi.

    Un beso, bonne semaine!

    • Edmée dit :

      Nous sommes bien d’accord, on n’attend pas un compagnon volage, pour récupérer son vieil âge quand il n’aura plus la force de courir 🙂

      Je ne parlais pas, naturellement, de ce genre d’attente qui n’est qu’une perte de temps et de soi.

      Je parle des attentes que l’on vit sans frustration, l’amour au chaud, parfois peut-être un peu frustré/es oui, mais le coeur galopant vers l’heure du retour…

      Bonne semaine Colo

  14. Alain dit :

    Mille façons d’attendre. Aujourd’hui, certains hommes attendent … aussi.

    Cette belle page me fait penser à une connaissance de ma mère qui vit, aujourd’hui encore, tout à côté de chez moi. Cette femme a passé sa vie à attendre, accrochée au bon vouloir de son époux.

    Aux alentours de la soixantaine elle fait une chute dans un escalier en rentrant de courses. Plusieurs fractures dont une au bassin, qui a nécessité une reconstitution et une longue hospitalisation. Une chance pour elle dit-elle aujourd’hui.

    Elle a rencontré un homme dans le centre de rééducation. Prévenant, doux et aimable. Il a su lui ouvrir les yeux. Lui offrir une autre vie. Elle saute dans l’inconnu et divorce.

    À quatre vingt six ans aujourd’hui, elle rayonne à côté de celui qui a su lui donner confiance et prendre sa vie en main. Pour elle, ta phrase résonne juste. « Vieillir … est une explosion de ce qu’on a de plus vrai en soi ».

    Bonne semaine Edmée. À bientôt.

    • Edmée dit :

      Ah si elle a bien fait! Je ne comprends pas le raisonnement de ces gens qui se laissent effacer ou bouffer à jamais. Il y a des raisons parfois pour tenir bon encore X temps, les enfants, une meilleure stabilité, que sais-je, mais enfin… vieillir auprès de quelqu’un qui nous fait mourir, ça me dépasse!
      Bravo à cette dame!!!
      A bientôt! 🙂

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