Automne, automne quand tu nous tiens …

On était en octobre 2009, un automne du New Jersey. Les demi-saisons y sont superbes, contrastant avec l’été moite et les hivers dont le simple nom me faisait trembler…

***

Qu’on se le dise : je n’aime pas l’automne. Ou c’est l’automne qui peut-être ne m’aime pas.

C’est si c’est beau pourtant, un automne.

Charlotte la marmotte ne sort presque plus. Les voisins ont décoré leurs seuils de grosses citrouilles – qui seront rapidement évidées par les écureuils, offrant le spectacle plutôt écoeurant d’une coulée de graines sortant d’un trou irrégulier et de plus en plus grand. De petits colons ou épouvantails de jute et tissus colorés, appuyés à des plants de maïs secs – qui seront le paradis des souris, eux ! – décorent les porches des entrées, ainsi que de menus chrysanthèmes qui n’ont pas, hélas, la délicate forme orientale de ceux de chez nous. On les appelle Hardy mums, mum étant le résultat de la fâcheuse habitude des Américains de mutiler tous les noms : ici on dit chrisanthemums, donc… mums. C’est comme ce pauvre Tout-An-Kamon qui est devenu King Tut. On dirait le nom d’un rapper…

Une très jolie carte dessinée par Florence Carcelle

Une très jolie carte dessinée par Florence Carcelle

Mais pour en revenir à l’automne, oui … une saison qui se déploie sur air d’opéra, aux couleurs flamboyantes, aux arômes profonds. Ces jours-ci, en son ouverture, la sève ralentit son cours, effritant le sommet des arbres et saupoudrant de leur mort spectaculaire le sol encore si verdoyant. Les eaux se refroidissent, la fraîcheur rougit les pommes. C’est le moment des gratins, des potées, du vin chaud, des tartes aux pommes, noix de pacanes, potiron,  … et pourtant, non, je n’aime pas l’automne. C’est une sensation incertaine, comme si on aimait follement quelqu’un avec qui on ne s’entend pas. J’attends déjà le printemps et le réveil, même si rien ne dort vraiment encore… Ingrate …

Senteurs et couleurs…

Un 5 septembre 2008, sur un autre blog, j’écrivais ceci. Je vivais encore au New Jersey pour plus de deux ans, dans un coin où je regrettais la ville mais appréciais bien des aspects de la vie au grand air…

***

 

Teeshah

Mes matins sont à nouveau baignés dans la nuit finissante, et ses secrets. Je me lève et m’habille sans bruit, caresse mes chats, salue Millie. A la cuisine, mes compagnons à quatre pattes et moi nous laissons aller à quelques joyeuses extravagances moins silencieuses. Je chante en général une chanson idiote d’une voix nasillarde qui est supposée être celle de Teeshah. Chaque chat a sa « voix » et son vocabulaire, et seule Millie, grâce au ciel, se tait encore! Ce pauvre Teeshah est condamné à chanter d’interminables lala-lalères tandis qu’il se rengorge en clignant fièrement des yeux: il sait que quelque chose se passe entre lui et moi, et il adore ça!

Dehors, à l’arrière de la maison vers le bois, des trouées de lumière d’un bel orange ambré s’avancent en dansant dans le feuillage. Le plumetis gris de la queue d’un écureuil distrait le regard. Une feuille racornie descend en piqué vers la pelouse fatiguée. Il a fait sec ces dernières semaines.

L’air se refroidit, accueillant la caresse du vent du Canada qui avance à grands pas dans son été indien. Quelle beauté! Le buddleia ploie sous le poids de ses grappes bleues qu’il dépose à terre, taquiné par le vol de bourdons et splendides papillons pendant les heures de soleil.

Le deck de bois se recouvre de feuilles mortes trop tôt: encore vertes, avec des bords brunâtres, ou jaunes et mouchetées de taches foncées. Mi-rougies, mi-séchées. La petite troupe de dindes sauvages – Lola et compagnie – me laisse de belles et grandes plumes rayées en hommage, plumes qui feront la joie de Connie qui s’est découverte une ascendance cherokee qu’elle soupçonnait et est passionnée d’artisanat indien.

A cinq minutes de voiture de chez nous, l’Eagle Rock Reservation nous offre les promenades du week-end avec Millie, promenades qui ont déjà l’odeur des champignons, de l’humus, de petits glands écrasés au sol. Voici plusieurs semaines qu’un groupe de biches et leurs jeunes s’y laissent voir sans trop de crainte, et nous observent, les oreilles bien déployées, et puis s’éparpillent dans le bois en quelques bonds souples.

Millie, qui fait une promenade d’aspirateur, le nez collé au sol, ne remarque pas grand-chose! Les pistes serpentent, montent sur des plateaux rocheux, redescendent vers des rus asséchés, des ponts de grosses pierres, débouchent sur des routes de terre. Parfois, une étendue d’un vert vif, pur, tremble sous la brise. La Japanese stillt grass – microstegium viminea pour ceux qui aiment les précisions – délicate comme un coup de pinceau sur soie, envahissante comme un raz de marée. Elle nous est arrivée d’Asie et détruit la flore locale, étendant son joli kimono émeraude au sol, étouffant fougères et lichens de la forêt d’origine. Mais … que c’est beau, cependant!

Les mûres ont séché sur les ronces, broyées par le soleil. Et pourtant les baies étaient pimpantes il y a quelques semaines, pointant leur petite tête dure d’un rouge acide encore timide et ourlé de vert.

Les barbecues sont toujours possible, et ce pour un bon mois. Et ce n’est pas le petit bois qui manque, ni les têtes de fleurs fanées. J’ai découvert cette année la marinade argentine chimichurri, fraîche et parfumée, et tout y a été baptisé sous le soleil, accompagné des succulentes tomates du New Jersey en salade au coriandre frais et d’épis de maïs bi-colore.

Ces dernières journées d’été s’étirent aussi tard qu’elles le peuvent encore, leurs ombres basses caressant la terre qui s’alanguit avant les grands éclats de couleurs de l’automne

La somptueuse tristesse de l’automne

Qu’on se le dise : je n’aime pas l’automne. Ou c’est l’automne qui peut-être ne m’aime pas.

C’est si c’est beau pourtant, un automne.

Je le sais, je le vois, et même je le sens car c’est la saison la plus odorante qui soit : la terre qui se remue, les feuilles qui expirent et tombent au sol en libérant leur haleine un peu acide, les baies qui se racornissent sur les rameaux… les animaux des bois qui laissent flotter leur peur à notre passage – et pourtant, seul l’odorat nous dira qu’il y avait une biche ici, parce qu’elle aura fui, invisible et silencieuse. C’est somptueux. Ce début d’automne a toujours les dernières richesses de l’été : les tournesols et les géraniums supportent encore la température et le soleil des belles heures les caresse chaudement ; un va et vient de geais, tamias, écureuils gris, étourneaux fouille la pelouse, inspecte le compost, se préparant au long sommeil ou à l’exode vers le sud avec une urgente détermination.

 

 

Charlotte la marmotte ne sort presque plus. Les voisins ont décoré leurs seuils de grosses citrouilles – qui seront rapidement évidées par les écureuils, offrant le spectacle plutôt écoeurant d’une coulée de graines sortant d’un trou irrégulier et de plus en plus grand. De petits colons ou épouvantails de jute et tissus colorés, appuyés à des plants de maïs secs – qui seront le paradis des souris, eux ! – décorent les entrées, ainsi que de menus chrysanthèmes qui n’ont pas, hélas, la délicate forme orientale de ceux de chez nous. On les appelle Hardy mums, mum étant le résultat de la fâcheuse habitude des Américains de mutiler tous les noms : ici on dit chrisanthemums, donc… mums. C’est comme ce pauvre Tout-An-Kamon qui est devenu King Tut. On dirait le nom d’un rapper…

Mais pour en revenir à l’automne, oui … une saison qui se déploie sur air d’opéra, aux couleurs flamboyantes, aux arômes profonds. Ces jours-ci, en son ouverture, la sève ralentit son cours, effritant le sommet des arbres et saupoudrant de leur mort spectaculaire le sol encore si verdoyant. Les eaux se refroidissent, la fraîcheur rougit les pommes. C’est le moment des gratins, des potées, du vin chaud, des tartes aux pommes, noix de pacanes, potiron,  … et pourtant, non, je n’aime pas l’automne. C’est une sensation incertaine, comme si on aimait follement quelqu’un avec qui on ne s’entend pas. J’attends déjà le printemps et le réveil, même si rien ne dort vraiment encore… Ingrate …

 

 

L’automne des Lenni-Lenapes

Il y a bien des choses que je n’aime pas sur cette partie du continent américain, mais après tout, ce qui m’a fait y venir, c’était l’envie de toucher du doigt la réalité de ce que je savais des Indiens, ou croyais en savoir. Et jamais je n’avais entendu parler des Lenni-Lenapes. Mais voilà que, partant pour le Nouveau-Mexique et la découverte des Pueblos, le destin m’a détournée vers le New Jersey et les Lenni-Lenapes. Oui, il est difficile de rencontrer un charmant mari potentiel dans le New Jersey et de continuer son périple dans le Nouveau Mexique! Et c’est ainsi que je vis sur ce qui fut le territoire des Lenni-Lenapes, et les arbres centenaires qui me font de l’ombre leur en ont sans doute parfois fait aussi. Et la faune qui me ravit la vue est la descendante de celle qui a échappé à leurs flèches et pièges….

La beauté de ce « pays » me transperce. Comment ne pas sentir un chant muet s’élever du plus profond de nous devant le fameux « Arizona sky »? Un ciel sans rien pour l’arrêter. Et la terre rouge de l’Oklahoma, celle-là même vue cent fois dans les westerns? Et la paisible majesté des bisons sauvages, des vaches à longues cornes… les collines émeraudes du New Hampshire ou le mont Washington aussi pelé et venteux que le mont ventoux, parcouru par de gigantesques élans, maîtres des lieux. Et même mon petit New Jersey surpeuplé, surnommé « The Garden State ». Nous qui, en Europe, nous languissons après les « espaces verts », ici ils abondent. La Nouvelle Angleterre n’est qu’à un jet de pierre, et les splendeurs de son automne s’étendent jusqu’à nous. L’automne des Lenni-Lenapes. Les feuillages s’embrasent contre le ciel d’un bleu pur et frais, traversés par les rayons d’un soleil bas qui joue déjà à étirer les ombres au sol comme des rubans informes.

Sans habiter dans ce qu’on pourrait appeler la campagne – West Orange se targue d’abriter 70.000 âmes sur près de 20 kms carrés, et se trouve à seulement 31 Kms de Manhattan -, le coin où je vis est très aéré, sur une chaîne de collines boisées et giboyeuses. Les chutes d’arbres ou de branches sont hélàs une chose fréquente, tout comme les accidents avec les biches (white tail deer). Il y a de beaux et grands parcs avec des étangs aux berges ourlées de fleurs sauvages. Du chardon, des verges d’or, des roseaux, quelques ombellifères, des petites plantes d’eau. Les teintes or, pourpre, cuivre et roses d’un automne qui éclate s’y reflètent avec netteté, multipliant le plaisir des yeux. Il y a aussi les réserves. Nous aimons nous promener sur les pistes qui serpentent dans les bois aux multiples essences et couleurs: le majestueux chêne rouge – l’arbre-emblême du New Jersey -, le chêne blanc à la belle couronne symétrique, qui a parfois juqu’à 300 ans et presque 6 mètres de circonférence. Des noyers, des bouleaux, des mélèzes (avec lesquels les Lenni-Lenapes faisaient leurs canoés), des érables sycamores et rouges, des hêtres pourpres, des frênes d’Austin, des cornouillers… C’est un foisonnement des formes, un camaïeu de teintes et, en ces journées d’automne, une pyrotechnie intense et éphémère.

C’est naturellement un cadeau sans prix.

J’ai aussi parlé déjà des nombreux animaux des bois qui partagent, bien malgré eux, leur espace avec nous. Les écureuils gris sont aussi banals que les moineaux ne le sont en Belgique. Il y en a un nid dans le chêne blanc devant chez nous. La bande de dindons sauvages s’agrandit et s’enhardit. A ma grande surprise j’ai réalisé qu’ils me reconnaissent: si je reviens du travail ou d’une promenade avec le chien et qu’ils sont plus loin dans la rue (une rue où les arbres forment une voûte végétale), ils arrivent à toutes jambes en émettant leurs kluc kluc kluuuuc! Bien que mon seul contact avec eux jusqu’à présent soit de les avoir entendus japper, il y a aussi des coyotes. L’un d’eux a d’ailleurs été  photographié sur un deck la semaine dernière dans la ville qui jouxte West Orange, Verona. Ils s’en prennent parfois aux chats ou chiens de petite taille. Jusqu’au couple de faucons à queue rouge qui a fait un piqué pour tenter d’enlever mon Zouzou dans les airs pour en faire un succulent repas. Heureusement, Zouzou a hérissé les poils et s’est fait aussi laid qu’il le pouvait, et a eu la vie sauve!

Mais quel bonheur, quel bonheur!

 

Automne américain

Mes matins sont à nouveau baignés dans la nuit finissante, et secrets. Je me lève et m’habille sans bruit, caresse mes chats, salue Millie. A la cuisine, mes compagnons à quatre pattes et moi nous laissons aller à quelques joyeuses extravagances moins silencieuses. Je chante en général une chanson idiote d’une voix nasillarde qui est supposée être celle de Teeshah. Chaque chat a sa « voix » et son vocabulaire, et seule Millie, grâce au ciel, se tait encore! Ce pauvre Teeshah est condamné à chanter d’interminables lalalères tandis qu’il se rengorge en clignant fièrement des yeux: il sait que quelque chose se passe entre lui et moi, et il adore ça!

Dehors, à l’arrière de la maison vers le bois, des trouées de lumière d’un bel orange ambré s’avancent en dansant dans le feuillage. Le plumetis gris de la queue d’un écureuil distrait le regard. Une feuille racornie descend en piqué vers la pelouse fatiguée. Il a fait sec ces dernières semaines.

L’air se refroidit, accueillant la caresse des vents du Canada qui avance à grands pas dans son été indien. Quelle beauté! Le buddleia ploie sous le poids de ses grappes bleues qu’il dépose à terre, taquiné par le vol de bourdons et splendides papillons pendant les heures de soleil.

Le deck de bois se recouvre de feuilles mortes trop tôt: encore vertes, avec des bords brunâtres, ou jaunes et mouchetées de taches foncées. Mi-rougies, mi-séchées. La petite troupe de dindes sauvages – Lola et compagnie – me laisse de belles et grandes plumes rayées en hommage, plumes qui feront la joie de Connie qui s’est découverte une ascendance cherokee qu’elle soupçonnait et est passionnée d’artisanat indien.

A cinq minutes de voiture de chez nous, l’Eagle Rock Reservation nous offre les promenades du week-end avec Millie, promenades qui ont déjà l’odeur des champignons, de l’humus, de petits glands écrasés au sol. Voici plusieurs semaines qu’un groupe de biches et leurs jeunes s’y laisse voir sans trop de crainte, et nous observe, les oreilles bien déployées, et puis s’éparpille dans le bois en quelques bonds souples.

 

Millie, qui fait une promenade d’aspirateur, le nez collé au sol, ne remarque pas grand-chose! Les pistes serpentent, montent sur des plateaux rocheux, redescendent vers des rus asséchés, des ponts de grosses pierres, débouchent sur des routes de terre. Parfois, une étendue d’un vert vif, pur, tremble sous la brise. La Japanese stillt grass – microstegium viminea pour ceux qui aiment les précisions – délicate comme un coup de pinceau sur soie, envahissante comme un raz de marée. Elle nous est arrivée d’Asie et détruit la flore locale, étendant son joli kimono émeraude au sol, étouffant fougères et lychens de la forêt d’origine. Mais … que c’est beau, cependant!

Les mûres ont séché sur les ronces, broyées par le soleil. Et pourtant les baies étaient pimpantes il y a quelques semaines, pointant leur petite tête dure d’un rouge acide encore timide et ourlé de vert.

Les barbecues sont toujours possible, et ce pour un bon mois. Et ce n’est pas le petit bois qui manque, ni les têtes de fleurs fanées. J’ai découvert cette année la marinade argentine chimichurri, fraîche et parfumée, et tout y a été baptisé sous le soleil, accompagné des succulentes tomates du New Jersey en salade au coriandre frais et d’épis de maïs bi-colore.

Ces dernières journées d’été s’étirent aussi tard qu’elles le peuvent encore, leurs ombres basses caressant la terre qui s’alanguit avant les grands éclats de couleurs de l’automne.