Il était une fois cette Amérique-là

Celle de la misère, de la grande dépression, du dust-bowl, des raisins de la colère, du désespoir affreux. Des pauvres dont les parents avaient fui la misère d’un autre continent pour être massacrés par celle de ce nouveau continent, le « land of opportunities ». Mais toute misère a son étrange beauté aussi, celle de ces visages de gens qui n’ont d’autre espoir que de survivre encore aujourd’hui et puis demain on verra, celle des enfants qui restent des enfants et jouent, en dépit de toutes les larmes sèches striant discrètement les regards de ceux qui les aiment.

La misère de « l’Amérique » a eu tant d’aspects, ce n’était finalement qu’un lieu tout neuf sur lequel installer de nouvelles avidités, et de nommer colère divine contre les pécheurs les terribles fureurs naturelles : incendies, nuages de sauterelles, tornades de poussière, sécheresses et glissements de terrains. C’est là aussi qu’on pouvait asseoir de nouvelles dictatures et tyrannies en proclamant que celles du Old World étaient terminées : la noblesse armoriée fut remplacée par celle des magnats voraces, le joug de l’Église par celui de nouvelles religions jugulantes. Les pauvres méprisés trouvèrent qui mépriser eux-mêmes : les Noirs et les Amérindiens, qui de par leur nature étaient, selon eux, bien inférieurs et les faisait se sentir un peu mieux.

Quand un éditeur a fait un appel à textes pour accompagner ces superbes et poignantes images de Dorothea Lange, j’ai répondu « présente » sans hésitation, comme tant d’autres auteurs (20 photos et 100 textes). J’ai reçu mes exemplaires il y a deux jours, et n’ai pas encore eu le temps de m’y plonger, mais d’autres auteurs que je connais de près ou de loin y figurent, comme Eric Allard (lui c’est de loin mais souvent et volontiers car j’aime beaucoup son écriture…) et Carine-Laure Desguin (de près et personnel, on dirait un titre de film noir, mais rien de noir entre nous, qui nous voyons régulièrement). Son texte est une sorte de poésie sans rimes, une longue suite d’images en monologue, où on trouve sans peine les relents de toute cette époque lacérée : le type qui nomme sa femme M’ma, le type qui est en fait le premier-né de sa femme, irresponsable et ayant son harmonica comme seul et ultime séduction, entouré d’enfants qu’il a faits sans y penser, suivant un illusoire filon d’or qui changera tout, balayera misère et ignorance, usure et désespoir.

J’aimerais présenter d’autres auteurs mais je n’ai pas eu le temps de lire encore… mais en feuilletant bien des phrases ont déjà tenté de m’aspirer dans le texte. J’ai résisté car je veux prendre mon temps…

J’ai accompagné deux photos moi-même. L’ouvrage est … émouvant et très beau.

Et je décrivais l’amouuuuur au lieu de suivre le cours…

J’avais 15 ans, ou presque 15 ans. Et ma meilleure amie Bernadette aussi. On n’avait pas encore de garçons dans nos vies mais des romances irréalisables plein la tête. On ne songeait d’ailleurs pas à les réaliser un jour, car leur beauté première était de ne pas tenir debout.

Et donc nous écrivions des romans même pas à l’eau de rose, mais carrément à la glycérine, écœurants de sucre et un tantinet explosifs parce que nous glissions un crime par ci, un héritage par là, et bien entendu le fringant détective ou frère cadet du méchant marquis s’éprenant d’une héroïne mi-bêlante (il fallait bien qu’on la sauve et la calme et la réconforte et la prenne dans des bras musclés) mi-amazone (quand aucun prétendant n’était dans les parages, l’héroïne était d’une témérité hallucinante, elle aurait affronté Terminator avec un canif ou gravi l’Anapurna en chaussures de tennis…).

Assises sur nos bancs d’école, en hideux tablier et petites chaussettes, nous profitions de la moindre inattention du prof pour lire nos œuvres mutuelles et nous en complimenter sans retenue. Nous étions des écrivaines, rien de moins !

Et quoi de mieux pour nous distraire des cours ennuyeux qui se succédaient ?

Les recettes de cuisine de Mademoiselle Sheffen (« du thym, du lauuuurier, de la marjolaiiiiine »), l’économie domestique et le calcul des calories ainsi que du budget de Mademoiselle Renard, les problèmes de trains et robinets de Monsieur Deschamps, le cours de je ne sais plus quoi de « Doudou » que nous trouvions moche… tout était bon pour une discrète évasion dans un monde plus merveilleux.

C’est ainsi que j’ai utilisé toutes les pages de gauche de mon cahier de brouillon pour une BD personnelle, dont je ne sais plus si elle avait un titre, mais Bernadette et moi en étions les femmes fatales. Les jeunes filles fatales, plus correctement. Partant quand même d’un élément légèrement véridique (la menace parentale de nous mettre en pension si nous ne réussissions pas cette année – et vous remarquerez qu’entre pension et prison il y a peu), l’aventure commençait alors que Bernadette et moi étions donc envoyées en pension.

Ça devait être prémonitoire car nous avons échoué toute les deux, et en tout cas moi, je suis allée en pension, je pense que Bernadette a bénéficié d’une remise de peine…

Dans mon roman illustré, nous nous retrouvions en pension dans un manoir sinistre, hérissé de tourelles étroites et de gargouilles, au sommet d’une falaise où il y avait de l’orage et de la tempête en permanence.

Un directrice au menton hérissé de poils durs nous y accueillait raidement, et nous envoyait enfiler nos uniformes. Ils étaient hideux, et les pauvres pensionnaires déjà présentes en étaient les porte-hardes. Mais je dois avouer que même en robe de Cendrillon au bal elles n’auraient eu aucune chance : il y avait les plates aux lunettes et boutons, les grosses aux moustaches et jambes velues, les « normales » si on excluait des dents d’âne et des oreilles décollées, et deux yeux de caméléon, un à gauche et l’autre droit devant. Le sein passé sous la ceinture évidemment. Alors avec leur uniforme en prime… c’était une triste vision.

Des haridelles porte-hardes.

Je voulais mettre toute les chances de notre côté, on me comprendra….

Et on ne s’étonnera donc pas qu’en revanche, Bernadette et moi, belles comme des stars, nous éblouissions tellement la galerie que la jalousie rendait le troupeau des moches mesquin et même sournois, en prime. Nous, notre uniforme avait dû être coupé par un grand couturier car il nous flattait, le boutonnage de devant nous offrait un petit décolleté en pointe assez chic et les pinces de poitrine nous transformaient en gracieuses proues de navire, tandis que la ceinture nouée flattait notre taille de guêpe sous laquelle ondulait une croupe que Gina Lollobrigida aurait admirée. Le gris du tissu seyait à notre teint ravissant. Nous étions toujours impeccablement coiffées et avions des bouches en cœur, le mollet pimpant.

On ne s’étonnera donc pas que ce qui devait arriver arriva.

Deux inspecteurs furent envoyés au pensionnat. Jeunes, ça va sans dire ! Un beau blond (Bernadette faisait une fixation sur un garçon blond qui habitait ma rue. J’ai eu l’heur de le revoir il y a 8 ans et elle l’a échappé belle… enfin passons !) et un beau brun (peut-être faisais-je une fixette sur Rock Hudson…). Et à peine nous voyaient-ils que l’amour les rendait fous – de nous. Tout le troupeau des moches rougissait et leur faisait des sourires avec des appareils dentaires et des lunettes à montures comme des étriers, la directrice tentait de leur présenter son meilleur espoir (oh ciel… je ne me souviens plus d’elle, l’espoir, mais j’imagine que j’ai dû y aller avec les mauvais coups du sort sur la pauvre créature…), mais rien à faire, ils ne voyaient que nous.

Ne veut pas s'évanouir ...

Ne veut pas s’évanouir …

Une scène particulièrement touchante nous montrait en train de nous embrasser comme à Hollywood, c à d qu’on ne voyait rien que deux corps féminins presque désarticulés en un renversé renversant, dans de puissants bras d’hommes en costume (oui, le jeans ne faisait pas adulte et je ne nous voyais pas embrassant des cow-boys quand même… ).

Il faut dire que nous n’avions aucune idée de ce qu’était un baiser (qui, en soi, ne nous attirait pas du tout !) et je me fiais à mon « expérience » de cinéphile : dans les films, le fameux baiser arrivait en fin d’histoire (après la demande en mariage), et il valait mieux puisque la victime féminine de ce rituel amoureux semblait alors s’affaler et perdre conscience.

La directrice, surprenant ce spectacle orgiaque dans ses murs, protestait au mieux de sa voix râpeuse mais ça lui coûtait cher : on l’accrochait par le col à une fenêtre ouverte sur la falaise et sous la pluie tombante, et l’y laissait toute la nuit, tandis que nous mangions et trinquions aux chandelles…

Mais je me souviens bien que ce que nous aimions le plus dans cette histoire, ce n’était pas les hommes, dont en fait nous ne savions trop que faire, mais la directrice suspendue au-dessus du vide.

Nous riions de toute notre jeunesse en la regardant…

J’ai bien moins ri quand Monsieur Deschamps m’a surprise mettant la touche finale sur un des dessins, m’a confisqué le cahier de brouillon pendant qu’il donnait un exercice rasoir à toute la classe, a tout lu à son bureau avec un sourire qui m’a fait bien mal, et m’a enfin rendu l’œuvre en concluant froidement « Je crois que vous vous faites des illusions sur les inspecteurs scolaires ».

Bernadette et moi avons littéralement vécu une journée de deuil car nous étions, de concert, aussi amoureuses de Monsieur Deschamps qu’on pouvait l’être à cet âge. Qu’il soit fiancé avec la grande sœur de notre amie Nicole n’avait aucune importance…

Des nouvelles, des nouvelles!

Eh bien à la rentrée, je mettrai sur les rails mon prochain recueil de nouvelles, intitulé « La Rinascente* – *La renaissante ». Huit nouvelles, huit histoires et plus de femmes qui aiment bien ou mal, (très, dans les deux cas…). Les bons et les mauvais mariages, les amours comme il se doit ou comme il vous plaira, les pardons et les punisseurs ou punisseuses, les geôliers et geôlières, les amorales chaleureuses, les impeccables qui n’aiment guère et font la guerre… Le grand tour, quoi…

On le sait maintenant, j’aime ce grand tour.

Si elle est acceptée, ceci sera la couverture…

Front cover Rina

Le comité de lecture de Chloé des lys m’a pratiquement fait crouler d’immodestie en donnant son avis (mais j’ai apprécié car bon… c’est quand même toujours une sorte d’examen de passage, le test du comité de lecture) :

« Je ne puis qu’adhérer à l’avis du premier lecteur et féliciter Edmée pour l’élégance de son style et la justesse avec laquelle elle nous dépeint le côté cruellement conventionnel d’une bourgeoisie qui garde jalousement enfouis ses secrets de famille et aussi ces êtres qui existent, si j’ose dire, entre vérité et silences. Un tout bon Edmée De Xhavée avec une touche quelque peu British fort plaisante. »

« Convenances. Vies en demi-mesures. Confidences et vérités-réalités qui sortent de l’ombre où elles restaient cachées sous un matelas de silence. Secrets de famille ou espoirs perdus. Tout cela peut revivre ».

« Elégance et simplicité. Entre enfance et âge mûr, des chemins de vie entre lumière et secrets. Une douceur tout anglaise par moments ».

Bon… je vous sers ici un petit extrait de la nouvelle qui ouvre le recueil et, en tant que cheftaine de fil, se nomme La Rinascente. L’histoire d’une renaissance… La rinascente est le nom d’une chaîne de magasins haut de gamme en Italie, l’équivalent de Saks et des Galeries Lafayette peut-être, en plus petit, tout au moins en ce qui concerne le magasin qui se trouve à Turin…

 

« C’est l’heure de l’apéritif, et il reste une table à la terrasse du Caffè San Carlo. Le soleil est intense, l’air figé par la chaleur qui s’installe.

Elle pose son sac de papier de La Rinascente au pied de son fauteuil de rotin, l’entrouvrant comme une enfant pour, en dégageant le papier de soie, regarder furtivement le motif à masques africains de sa robe. Une bouffée de joie gonfle son cœur alors que le cameriere arrive, les cheveux si noirs et lisses qu’elle y laisse errer le regard sans le réaliser, puis lui sourit un peu embarrassée, comme soudainement tirée d’une rêverie. Elle commande un Campari et réalise avoir employé un timbre vocal ferme, où transparaît la bonne humeur. De temps à autre, heureuse, elle perçoit les signes d’un changement en elle.

À une autre table trois amies, peut-être des collègues de travail, parlent avec une excitation qui perche leurs voix un peu haut, avec des modulations savantes, et des mouvements de mains comme des envols d’oiseaux. Plus loin, quatre hommes. Ils discutent plus calmement, comme en secret, avec le souci de ne pas être entendus ou d’attirer l’attention. Et parfois une des voix féminines les distrait le temps d’un coup d’œil accompagné d’un sourire amusé.

Elle aime observer le quotidien qui l’entoure. Les tsiganes qui agrippent les passants par la manche, un bébé entortillé dans des châles frangés sur le bras. Les écolières qui rient fort, le sac au dos et les cheveux si sains qu’on a envie d’y toucher. Les femmes seules, altesses en promenade, sourdes aux coups de klaxon alors qu’elles traversent où bon leur semble au gré de leur humeur et direction, la tête haute et le rouge à lèvres frais.

Elle pense à cet emploi que le Signor Fenoglio est presque certain de lui faire obtenir. Elle a envie, et besoin, d’avoir à nouveau des horaires, des collègues. Que l’on compte sur elle pour accomplir – et bien – le travail donné. De se créer des habitudes géographiques autour d’un lieu de travail, qu’on lui suggère tel ou tel endroit, telle ou telle promenade. Une petite trattoria en colline. Ou Lungo Po.  D’inviter ses enfants et de leur laisser l’appartement, et les clés, et les commandes, parce qu’elle, elle va au bureau et qu’on se retrouve à 17 heures pour un bicerin via della Consolata même si c’est une drôle d’heure pour un bicerin… »

Voici… c’était un avant-goût, un hors d’oeuvre… le gros oeuvre en fin d’année sans doute!

Les écrits vains…

Cet article circule. Et il va droit au but, cet article !

Et remet aussi quelques compteurs à zéro car on commence à murmurer que ces « milliers d’exemplaires vendus » sont, pour la plupart, une légende urbaine. Milliers d’exemplaires imprimés peut-être. Vendus c’est déjà bien moins évident, quant à lus… alors là… la barre descend dangereusement.

En ce qui concerne les « grands auteurs » qu’on nous impose (comme le grand cinéma block buster…), eh bien pour certains c’est une garantie d’ennui, de lire sans cesse la même histoire avec une autre sauce et même, dans certains cas tragiques, de constater que ça n’a même plus l’air d’être leur écriture non plus – et d’ailleurs… comment écrire en passant son temps dans les salons de France, de Navarre et des îles lointaines pour dédicacer son dernier « succès » ?

Et voici donc les écrivains de l’ombre, les nègres besogneux qui sauvent la mise et le temps qui passe. Et qui privent, à cause de la voracité de l’éditeur qui n’aime que les auteurs prolifiques, l’écrivain de son réel plaisir initial : l’écriture. Vous savez, cette écriture légendaire, avec la peur de la page blanche, le bloc-notes qui ne quitte pas le sac, les cigarettes (au temps où on pouvait) écrasées s’accumulant dans un cendrier couvert de nicotine, la bouteille de whisky, ou les longues promenades inspirantes en forêt avec un chien sans race… Tout ça : l’agonie et le plaisir de l’écriture. Ce qui fait qu’un auteur a besoin d’écrire.

Les gros éditeurs, pour leur part, se comportent en mafieux – qu’ils sont – et finalement, la vie chez les petits éditeurs est bien plus digne.

 

2016-06-09 16.14.25Pas de gros sous, mais au moins on tente de faire « de la belle ouvrage », on aime – d’amour – les mots et les phrases, on cherche à trouver quelque chose de nouveau, un nouvel angle, une autre écriture, ou de donner son expérience à aimer ou haïr. On vit les affres de la page blanche, de l’attente du verdict du comité de lecture, du whisky et cigarettes peut-être pour certains… sans oublier les p’tites pépées pour ceux qui se souviennent de la chanson et ont ce genre d’appétit.

Tout le monde est loin d’être bon et désintéressé, mais au moins comme l’argent n’est pas au rendez-vous en fanfare, si on enlève ceux et celles qui enfoncent les côtes des autres avec leurs coudes taillés en pointe – il y en a, oui oui -, il reste surtout ceux qui sont contents que l’on aime ce qu’ils ont écrit… même s’ils savent que ça restera peut-être trop local, médiatisé surtout par leur effort sans relâche, et s’étendra moins vite qu’une tache d’huile dans un garage.

Quand je vends un livre, je sais qu’il sera lu, et souvent encore prêté ou donné. Si mon éditeur me verse des droits d’auteur (car oui, mes deux chers petits éditeurs me les versent… et je connais des auteurs publiés par de « gros éditeurs » qui ne les ont jamais vus) sur 200 copies, on est loin des milliers de copies vantées chez les stars des gares et Fnac, mais c’est vrai, il s’agit bien de 200 copies. Imprimées, vendues et lues.

Je suis riche du plaisir du partage, et j’ai la chance immense de ne pas craindre le « stardom » qui me contraindrait à aller signer sous le clic clac des smartphones, de faire des selfies où je souris à côté de gens que je ne connais pas et qui peut-être un jour me dessineront des moustaches et des lunettes (ou une dent noire) sur la photo souvenir. Je ne dois pas aller me soumettre à la torture d’être descendue en flèche en direct sur un plateau par un pédant jaloux et irascible ou une autrefois célèbre actrice ou danseuse nue recyclée en critique littéraire. Je devrais sans doute aussi me créer un look et revoir ma diction… Me faire blanchir les dents pour avoir un sourire de squelette bien propre.

Dans le cinéma, il y a les block busters et le cinéma indépendant. Eh bien dans les auteurs et éditeurs aussi. On suit la masse ou on choisit dans l’individuel. On est dans le grand show ou dans l’émotion, dans la découverte tranquille.

Les promesses de mon petit dernier…

Oui, il est né, il est sorti, imprimé, édité, mis en ligne (ici),inscrit à la bibliothèque royale de Belgique et tout et tout…

Promesses

Un recueil de nouvelles qui, toutes sauf une, dansent dans les feux de l’amour. Oh, vous me connaissez, je fais feu de tout bois dans ce domaine, et si chaque nouvelle se termine sur la flamme d’une promesse de demain, et s’il y a bien ça et là quelques fleurs bleues, il y a aussi les épines tranchantes de roses désormais fanées. Et finalement, les happy endings ne sont pas toujours – s’ils le sont jamais ! – ils se marièrent et eurent beaucoup d’enfants… Non, les happy endings résident parfois dans l’audace de claquer une porte en laissant derrière soi un quotidien mortifère pour s’élancer vers des promesses inconnues ; dans l’accomplissement d’une vengeance que l’on n’espérait plus, mais qui offre la promesse de l’oubli ; dans l’abandon fou à une seconde chance qui explose et offre une promesse d’éternité ; dans la réponse à la fascination d’une mort espérée qui promet le retour dans les bras de l’aimé ; dans les amours vécues en secret, ou nées de la raison, ou jaillies d’une passion obstinée…

La dernière nouvelle – Les yeux d’Isotta – raconte les vacances d’Isotta, une petite fille observatrice et silencieuse. Comme chaque année elle accompagne ses parents chez les grands-parents, sur la Costiera triestine. Et le voyage en voiture est déjà l’occasion de réflexions paresseuses pour tromper le temps…

« A l’avant, ses parents ne parlent pas. C’est un couple silencieux, fait de sourires et regards affectueux. Ils s’aiment vraiment, a décidé Isotta. Ils se disputent, elle le sait. Elle les entend. Ils sont à la fois semblables et différents. Mais il suffit de les voir faire la sieste par grosse chaleur, en sous-vêtements, le bras de l’un endormi sur la hanche de l’autre, dans un geste mi-protecteur, mi-possessif qui ne laisse aucun doute. Parfois ils ferment la porte, laissée habituellement entrouverte pour que l’air caresse choses et lieux à cette heure si quiète, et quand ils réapparaissent quelque chose resplendit sur leur peau et leur regard, et une voluptueuse paresse erre dans leurs gestes ».

Voilà… c’était la grande nouvelle de cette semaine !

Histoires d’amour

C’est une façon dont je pourrais présenter Les romanichels. Pas seulement des amours « romantiques », mais aussi des amours parfois discrètes ou fugaces, qui transforment.

L’amour est un sentiment qui sait se déguiser, se cacher. Il m’a fallu parfois des années pour réaliser qu’une « copine » s’était mutée en amie sans que je ne le remarque. Invincibles et immortels, nous rencontrons, au cours de notre jeunesse, d’autres créatures de notre âge. Beaucoup ne font que passer dans notre vie, laissant un souvenir lié à un moment ou évènement bien précis. Ou pas de souvenir du tout! D’autres nous accompagnent plus loin. Deviennent plus proches. Il y a aussi ceux qui vont et reviennent, au gré à la fois du hasard mais aussi d’une certaine curiosité: qu’a donc bien pu devenir untel, unetelle? Et quand des années plus tard on se sent moins invincibles et tout à fait mortels, on réalise que c’est, aussi, une forme d’amour qui a entretenu cet attachement, cette attirance, épisodiques ou constants.

Quant à l’amour tant célébré, celui qui se cherche, se perd, se retrouve… il n’est pas toujours celui qu’on pense. On peut avoir donné « le meilleur de soi » à quelqu’un qui n’est pas resté bien longtemps avec nous dans cet intense mystère, sans regrets. Savoir que, même hors d’atteinte, hors de vue, hors de tout, le lien ne mourra jamais. Ces amours-là, bien des années après que le vent semble les avoir balayés, leur cendre luit encore et s’enflamme d’un simple rappel du passé. Qui a vécu un tel amour en porte le flambeau dont le rougeoiement atteint et contagie tous ceux qui s’en approchent.

On peut aimer plusieurs fois, sincèrement, autrement. Ou décider qu’on n’a  plus envie d’ajouter quoi que ce soit à ce qu’on a eu. Il y a aussi les amours qui n’étaient que du désir. De sexe, de possession, d’argent, de prestige. Et qui, comme le passage d’Attila, laissent la mort comme paysage.

Que dire encore des amours qui font de la vie à deux un enfer et ne trouvent leur survie que dans une séparation entrecoupée de nouvelles tentatives? Ou qui doivent se réfugier dans l’amitié complice des « ex » amants, époux, fiancés, dont les nouveaux partenaires craignent tant la possible levée de masque? Marie-Paule Belle le chantait aussi: « Quand tout ira bien, quand nous serons amis, qu’on se dira tout, que tout sera permis… »

Et ces amours souvent guindées père-fils, mère-fille, amours pratiquement impossibles de par leur nature inégale, presque toujours difficiles, niés ou clamés trop fort? Les parents, en nous quittant, nous font un ultime cadeau: le temps de peut-être comprendre qu’ils nous ont aimés. Selon la façon dont nous acceptons alors de relire notre passé, le remords va nous harceler, ou les souvenirs de preuves d’amour vont remonter en pétillant comme à la surface d’un verre de champagne, nous éclaboussant le sourire. Parents médiocres nous-mêmes ou adultes à multiples facettes, nous acceptons enfin leur imperfection et accueillons ces milliers de petits sacrifices qu’ils ont, bon gré, mal gré, accomplis pour nous.

Que dire encore des amitiés, qui deviennent des soleils indispensables? Ces soeurs et frères que nous nous choisissons, famille d’élection? Ces amitiés instantanées, comme celle qui m’a unie à ma cousine Françoise dès la première minute. Nous avions environ 12 ans, et ne nous connaissions pas. Nous étions très timides et méfiantes, d’autant qu’on nous avait bien dit d’être gentille avec notre cousine qui allait nous accompagner en vacances en Bretagne. Ciel! Et si elle est pimbêche? Brutale? Menteuse? Racusette? Affreuse? Gâtée-pourrie? Mais dès le premier instant nous sommes devenues complices. Et rien ne nous a jamais séparées – sauf une dispute assez spectaculaire et sans paroles quelques années plus tard pour une soirée tralala que de toute façon nous détestions autant l’une que l’autre!

L’amour, c’est ce miracle immatériel qui fait que nous touchons ou sommes touchés par les autres. D’invisibles rais, brûlant d’affection, de reconnaissance, d’amitié, de fidélité nous unissent alors, formant une merveilleuse toile d’Arachné.

Et ça mérite sa place dans les romans, non?

 

 

Beaucoup de personnages

J’ai écrit ce billet tout au début de mon blog, qui alors était overblog. Nous étions en décembre 2007.

 

1900Oui, il y  en a beaucoup dans mes romans. Ce n’est pas délibéré, c’est simplement que je constate que dans la vie, c’est en effet cette foule de frères, soeurs, parents, familles, amis et parfois même simples passants éphémères qui vont y créer le décor exact.

Bousculés ou aimés par les uns, soutenus ou agressés par les autres, nous forgeons notre caractère, accumulons ou laissons s’atténuer les rancoeurs, oublions ou gardons précieusement les joies. Nous nous teintons de tous ces apports des autres.

Déjà quand j’étais « jeune », (c’est à dire vers 13 ou 14 ans, âge où j’ai brièvement dévoré des romans anglais copiés sur ceux de Daphné du Maurier – vous savez, ceux où une ravissante mais pauvre jeune fille assez nunuche était engagée dans un sombre château pour s’occuper des enfants d’un veuf au caractère macho et paternaliste? Ça ne ratait pas, elle faisait la conquête du monstre malgré des rivales aux décolletés endiamantés et un ou deux squelettes heureusement inodores découverts dans une malle, ainsi qu’une gouvernante sinistre et psychologiquement dérangée qu’aucun châtelain normal n’aurait gardée auprès de sa progéniture!)… quand j’étais jeune donc au point d’aimer ce genre de lecture, disais-je, je méprisais ce truc facile qui consistait à choisir comme héroïne une orpheline et de limiter la famille du châtelain au profil aquilin – et qui savait toujours tout – à en général un frère paillard ou une soeur éternellement vierge, et les deux enfants qui n’avaient que des rôles de figurants. Et juste pour dire qu’il était riche, respecté et convoité, on ne manquait pas de coller la soirée de Noël et d’en décrire les fastes, calèches et équipages. Et bien sûr l’odieuse rivale scintillante de tous ses diams snobait notre pauvre petite Cendrillon seule au monde. Je ne trouvais pas ça normal, aussi peu d’interventions humaines.

Mais c’était pratique, je ne le conteste pas, et je n’ai pas manqué d’utiliser ce subterfuge assez lourd dans un de mes romans d’alors – et ma seule lectrice en fut  mon amie Bernadette! On y faisait la connaissance de mon personnage féminin, balbutiante et humble à souhaits, à bord d’un voilier en direction de je ne sais plus où, et ses parents passaient gentiment par dessus-bord lors d’une tempête. Enfin, elle était seule au monde, prête à être livrée au riche châtelain au nez en bec d’aigle et caractère instable.

A présent pourtant, lorsque j’écris, j’aime la présence d’un vrai groupe de personnes, qui parfois elles-mêmes en approchent d’autres. Ma propre vie n’aurait pas été la même si ma mère n’avait pas rêvé toute sa vie d’horizons lointains que mon père avait vus. Ou si mon père n’avait pas tant aimé écouter ses 33 tours de cire achetés à Buenos Aires, et me prendre dans ses bras pour « danser » le tango. Ou si ma grand-mère n’avait eu la passion du cirque. Ou si ma tante n’avait été si désespérément riche et avare qu’avoir beaucoup d’argent pour moi a l’aura d’une malédiction. Ou si je n’avais jamais su que « Didine », notre vieille voisine en longue robe de satin noir et le cou cerclé d’un ruban avec un camée, avait pendant la guerre caché des messages de la résistance dans une tête de bouledogue en porcelaine dont le chapeau tyrolien se soulevait.

Serais-je la même aujourd’hui sans lui, sans ces amis de tous bords, sculpteurs, peintres, berger irlandais, photographe de stars écossais, champion d’échecs alcoolique et romantique, un Allemand celui-là, ancienne danseuse espagnole devenue serveuse dans un petit resto, fils de gangster belge ( mais oui, il y en a… des gangsters, et leurs enfants!)… Tous ces gens ont contribué à affirmer ou atténuer ce qui se trouvait en moi alors, attendant de pouvoir fleurir ou d’être assoupli. Impossible de me retrouver « à la case départ » après tout ça!

Mon existence a changé de cours bien des fois, mais j’ai gardé la flamme allumée. Et si parfois elle ne fait que respirer en secret sous la cendre, jamais mes paumes ne seront froides, jamais mon coeur ne sera vide. La sarabande de tous ceux qui m’ont appris à épeler les mots bonheur et douleur est longue.

Sauvegarder le vécu

C’est ça qui m’ a poussée à écrire.

Il y avait des émotions qui s’étaient fixées dans ma mémoire. A chaque rappel, elles jaillissaient. C’est comme la fois où… Je me souviens de quand… Mince alors, je croyais avoir oublié... Certains souvenirs faisaient mal, enveloppés dans le feutre du secret. D’autres étaient pleins d’une énergie heureuse. Et bien que mes récits ne soient pas autobiographiques, les bouleversements qui s’y expriment en pleurs ou en rires sont issus de mon vécu, ou de mon observation du vécu d’autres.

Je pense que mon premier souvenir d’une douleur noire et tranchante remonte à lorsque j’avais environ 7 ans. Mon frère et moi étions déjà couchés dans nos petits lits verts, mais nous ne dormions sans doute pas encore, car un coup de sonnette insolite à cette heure nous en a sortis en hâte. En pyjama nous nous sommes approchés des montants de la rampe du palier, et nous sommes assis sur la première marche des escaliers. Nous avons presque pu suivre les pas de la gouvernante qui se précipitait dans le couloir de marbre pour ouvrir. Et le malheur est entré, déguisé en télégramme. Un étage au-dessous de nous ma mère, inquiète, avait entr’ouvert la porte du salon pour accueilir la gouvernante qui montait vers elle. Elles ont chuchoté, leurs voix tremblant de crainte.

Et puis un long cri/sanglot: Il veut divorcer!

Le bonheur de ma mère s’est enfui dans cette petite phrase.

Elle a couru dans sa chambre à coucher, adjacente au salon, et son lit a étouffé ses pleurs, que la gouvernante cherchait de calmer.

Nous ne savions pas alors, les enfants que nous étions, que notre vie venait de changer. Seul le passé n’avait pas bougé. Mais plus jamais nous ne serions les enfants que nous aurions été si…

Par contre, j’ai aussi exhumé il n’y a pas longtemps le souvenir de ma première « sortie », avec un certain étonnement. C’était vraiment moi? Vraiment?

Je devais avoir 15 ans à peine, et la fête avait lieu à Baelen ou Eupen, dans la salle des fêtes d’une école. Une pièce assez dépouillée. Un poêle de fonte trônait en plein milieu dans un halo d’air brûlant que l’on recherchait volontiers car il neigeait dehors. Le sol était un simple plancher, idéal pour rendre le son d’un galop feutré pendant que l’on valsait ou twistait joyeusement. Je me trouvais là avec ma grand-mère, ma  mère et ma cousine Claudine.

A l’arrivée, ma grand-mère s’est extâsiée sans malice devant le bouquet de violettes que Miss Laure avait enfoncé dans son décolleté, assez bas je dois dire. Miss Laure avait grandit et travaillé dans un moulin, et avait appris que les vêtements blancs ne se tachaient pas avec la farine, et bien qu’à l’époque elle ait la soixantaine et ne travaille plus, elle continuait de s’habiller de  blanc, ce qui lui allait très bien. Mais Claudine et moi, en plein âge bête, n’avons pu retenir un fou-rire quand notre grand-mère a respiré le timide parfum entre les seins – discrets – de Miss Laure!

Ma mère était élégamment vêtue d’un ensemble écru au tricot, orné d’une broche en or. Elle s’amusait et se sentait bien belle. Ma grand-mère s’amusait aussi car je la vois encore très bien debout, appuyée à une des grandes tables où nous avions mangé, chantant La valse brune en berçant sa chope de bière, le visage illuminé par la réminiscence de jours heureux. Un beau monsieur de son âge, veuf, la trouvait trop à son goût et elle a fini par le fuir de table en table.

Claudine et moi dansions de furieux twists, et je me trouvais irrésistible. Bon, j’étais extrêmement positive, disons-le! Car franchement, je ne pouvais pas être irrésistible: j’avais crêpé mes cheveux au point de les faire ressembler à un tampon Jex géant, je portais des lunettes de vue fumées qui s’élevaient en pointe sur les côtés, et j’avais mis 3 jupons pour faire bouffer ma robe. Je ressemblais à un grand abat-jour.

Mais heureusement je n’en avais aucune idée et souriais de toutes mes dents.

J’ai quand même dansé sans ma cousine, malgré mon aspect peu séduisant! Avec Helmut, dont le papa, veuf aussi, couvait ma mère des yeux. Peut-être se servait-il d’Helmut comme d’un cheval de Troie? Qui sait… En tout cas, Helmut m’avait invitée très cérémonieusement en demandant à ma mère la permission de me faire virevolter. Puis il avait claqué des talons en s’inclinant devant moi et  me tendant la main. C’était charmant, il me traitait comme une Altesse! Nous avons dansé sur une chanson d’Adamo, Le temps des roses (oui je sais, Vous permettez, Monsieur aurait été parfait, mais c’était Le temps des roses!) Helmut accompagnait Adamo en chantonnant, ce qui déposait un petit fumet de bière sur mes joues.

Et puis j’ai aussi dansé, suite à l’injonction de ma grand-mère, un pot-pourri de valses avec un gentil monsieur qui ressemblait à Jiminy Crickett et qu’elle appelait « Monsieur La Saucisse » je ne sais plus pourquoi. Peut-être était-il charcutier…? Monsieur La Saucisse et moi avons tourbillonné comme des toupies autour du poêle et sur nous-mêmes, traitement auquel il semblait habitué mais moi, je m’accrochais à lui pour ne pas m’envoler et mes 3 jupons s’élevaient en corolle.

Eb bien, cette atmosphère  bon enfant, le vétérinaire qui a chanté Les petits pavés et une chanson insolite avec une tortue farfelue bien connue sur l’estrade, ces valses trottinantes, ces grosses chopes de bière, ma mère rayonnante, ma grand-mère heureuse… tout ça est un charmant souvenir, vivace et émouvant. C’était ma première sortie, et je m’y suis amusée. Je m’y amuse encore!

 

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Vive les abat-jour! Hahaha… Merci de partager ces souvenirs avec nous
Commentaire n°1 posté par nATH le 15/12/2007 à 10h20
Bonne route.
Commentaire n°2 posté par Sév le 15/12/2007 à 16h11
brillant de réalisme, je t’y vois vraiment bravo, continue, tu me fais rire de bon coeur bisous, jojane
Commentaire n°3 posté par jojane le 16/12/2007 à 04h34
Tes descriptions sont de vrais délices, Edmée. On s’y croirait !
Commentaire n°4 posté par Cathy le 23/12/2007 à 17h45
Merci merci! Je me demande si Helmut se souvient encore de moi??? J’étais si moche que je devais être impossible à oublier, quelle question! Ha-ha!
Réponse de Edmée De Xhavée le 23/12/2007 à 23h00

Ce plaisir désuet qu’est la correspondance

Femme lisantMa  Lovely Brunette de mère a eu des correspondants tout au long de sa vie.

« Lulu » est venue une seule fois de Paris alors qu’elles étaient encore jeunes filles pour faire sa connaissance, et elles se sont accompagnées jusqu’à la mort de ma mère sans plus jamais se voir. Des milliers de lettres ont voyagé de l’une à l’autre, chargées de leurs joies et chagrins, espoirs, déceptions, souvenirs.

Marie… Marie, un Hollandais, que mes grands-parents avaient laissé devenir le correspondant de leur vertueuse jeune fille en le prenant lui aussi pour une jouvencelle. Ils ont correspondu jusqu’au décès de Marie, qui a beaucoup attristé Lovely Brunette. J’ai séjourné chez Marie et sa femme Netty, à Den Haag, invitée en tant que fille de Lovely Brunette pour perfectionner mon néerlandais. J’ai surtout lu une dizaine de Simenon en français que le libraire en face de chez eux avait l’amabilité de vendre…

Lors du décès de Lovely Brunette j’ai aussi dû contacter Monsieur Kapadia à Mumbai – qui était Bombay quand ils ont commencé leur correspondance. Après 40 ans d’échanges épistolaires, son chagrin était sincère. J’ai encore un petit cadeau qu’il lui avait envoyé, et lors de la vague hippie, il m’a fournie en bracelets d’argent et foulards de batik.

Bien entendu, elle trouvait tant de plaisir dans cette occupation qu’elle m’y a incitée. J’ai eu un petit correspondant noir qui m’avait presque fait pousser un cocorico de joie pure quand il avait affirmé que son papa avait trouvé que ma lettre était la plus belle! En effet, il s’agissait d’une suggestion de notre maîtresse d’école, on avait envoyé toutes les lettres dans une école au Congo belge, et là, je suppose qu’une foire d’empoigne avait fait la sélection des missives dignes d’intéresser nos lointains futurs – et éphémères! – petits correspondants.

Ensuite, ce fut le tour de « Therapon« , un  jeune Grec auquel mon père avait acheté des cartes postales à Athènes. Comme ce petit débrouillard parlait un peu le français, il s’était fait donner mon adresse – ou le contraire. Pendant des années j’ai commencé mes lettres par « cher Therapon » pour ensuite comprendre que c’était son nom de famille! Le gentil Therapon avait le sens des affaires et de son avenir. Plus j’avançais en âge et plus il s’orientait vers une correspondance aux accents romantiques, auxquels j’étais assez imperméable. J’en étais encore aux poupées (Poupette, Belle Jacqueline, Micheline…) et la dernière photo que je lui ai envoyée de moi me représentait petite fille, coiffée de mon éternel serre-tête (qui me serrait les oreilles comme un étau!), en tablier rayé, le rouleau à pâtisserie à la main, me livrant à mes premières joies de cuisinière.

Lui, par contre, il m’envoyait des photos très suspectes, car il y était surnaturellement beau.

Je ne saurai jamais si c’était vraiment lui, cette déité blonde au profil parfait, car lassé d’attendre que je grandisse, il a joué son va-tout. Et a perdu. Il m’a demandé si mon papa accepterait de financer ses études, et il voulait devenir pilote d’avion, rien de moins! Ce n’étaient donc pas mes talents culinaires qui l’intéressaient!

Ensuite, il y a eu une annonce assez absurde dans le journal local: « Des centaines d’Italiens vous attendent pour correspondre« . Pas méfiante du tout, et désireuse de mettre en pratique l’italien appris dès mes 12 ans par la méthode Assimil (l’Italien sans peine), j’ai confié mon adresse et ma photo au destin.

Je ne sais pas combien d’Italiens il est resté pour les autres, car moi, j’ai reçu plus de 600 lettres, qui arrivaient par paquets noués, apportées par un facteur enthousiaste dont les bras commençaient à raser le sol. Certaines n’ont jamais été ouvertes: une fois passé l’engouement initial mon frère et moi tâtions les enveloppes pour identifier celles qui contenaient des photos, et nous ouvrions, ce qui livrait passage à pas mal de fous-rires et commentaires. Beaucoup de candidats louches: celui qui était en prison (innocent bien entendu) et qui me demandait de venir faire un pique-nique bucolique avec lui le jour de sa libération; quelques quinqua (ou sexa) génaires émoustillés par mon tendre âge, et qui m’envoyaient des photos d’eux en maillots révélateurs; celui qui me demandait de lui envoyer des magazines pornographiques car, disait-il, il savait que les gens du nord étaient plus libérés que les Italiens.

Mais il y  a aussi eu Solidea, Chiara et Marina, avec lesquelles, 45 ans plus tard, je suis toujours en correspondance!  Nous nous sommes rencontrées chez elles, en Belgique ou ailleurs, et nous avons vieilli ensemble, la plume à la main!

Et chacune d’entre nous saurait raconter la vie de l’autre avec autant de détails que si nous avions échangé ces confidences autour de nombreuses tasses de thé, assiettes de spaghetti, carafes de vin, montagnes de cassata. Ou en faisant notre shopping via Po, Garibaldi, delle zoccolette ou autre…

La correspondance, c’est un plaisir désuet mais plein de charme!

 

 

L’écriture, une longue passion

Oui, j’ai pratiquement toujours écrit.

J’ai commencé par ré-écrire le catéchisme pour ma mère, avec des illustrations. Je me souviens d’une en particulier qui représentait Jésus, chargé de sa croix, qui passait  tout seul devant une maison à la porte ouverte. Là, agenouillée sous un lustre des années ’50, Marie priait en égrenant son chapelet…

Puis j’ai gagné le onzième prix d’un concours interscolaire de rédaction, dont le thème était Albert, le Roi Chevalier. Ma mère n’était pas contente du tout parce que nous avions dû nous rendre en train à Liège pour la proclamation finale, et de plus elle n’avait pas compris qu’on commençait par mentionner les dernières places. Aussi à chaque nouveau nom qu’on appelait, elle me regardait exaspérée, faisant le calcul de tout ce temps qu’elle perdait pour rien. Quand je me suis levée pour que l’on m’épingle la médaille de bronze sur un coin de mon petit chandail fait main sur l’estrade, j’étais au bord des larmes et elle aussi. Moi, c’était la colère et elle, l’embarras.

Un peu plus tard j’ai écrit une histoire qui était un mélange de Bob et Bobette et Line le journal des chic filles, où deux amies n’hésitaient pas à entrer dans la machine à remonter le temps qu’un ingénieur apprenti savant  (ou sorcier) avait fabriquée dans son garage. Elles se retrouvaient … chez les « anciens Belges »! Après quelques aventures invraisemblables, elles rencontraient un très bel ancien Belge, musclé, la barbe bien taillée, le verbe sophistiqué, probablement sorti tout droit d’un film péplum (Hercule, Samson ou autre Mr Muscle de l’époque). Amoureux d’une des deux, il revenait, je ne sais plus comment, avec elles dans notre modernité d’alors…

A l’adolescence, mon amie Bernadette et moi écrivions beaucoup de petits romans, en général copiés sans honte sur ce que nous lisions en Marabout Mademoiselle, mais nous nous complimentions mutuellement avec enthousiasme. Nous avions aussi fait une bande dessinée dont nous étions les héroïnes: deux pensionnaires infortunées dans une sorte de maison d’arrêts au sommet d’une sinistre falaise. Alors que l’uniforme scolaire rendait les autres filles du pensionnat hideuses, sur nous, il tombait comme un habit de haute couture, galbant hanches et seins que nous n’avions presque pas encore, et révélant les jambes de Cyd Charisse.

Bien entendu, devant tant de grâce naturelle, la vieille directrice du pensionnat et les laiderons nous tourmentaient  sans relâche. Heureusement, deux très beaux inspecteurs de l’éducation se présentaient, et remettaient de l’ordre et de la justice dans tout ça.  Notamment, je me souviens qu’on accrochait la vieille directrice à une fenêtre ouverte sur l’extérieur qui donnait sur un précipice. Sous la pluie. Et l’orage. Toute la nuit. Et il va de soi qu’ils tombaient amoureux de nous (comment auraient-ils pu y échapper, nous étions divines, rien de moins!) et nous embrassaient voluptueusement sous les regards envieux des mochetés dans leurs uniformes mal coupés.

Plus sérieusement, il y a eu plus tard ces deux romans mentionnés dans mon premier article, mais qui n’ont jamais vu le jour! Mais comme on peut le constater, écrire n’est pas une nouvelle passion, pas du tout!

Mon premier roman publié chez Chloé des Lys