Histoires du Nouveau Monde…

Quinze ans dans un autre pays, un autre continent, un autre monde, une autre langue, une autre culture, ça laisse plein de petits pense-bêtes enrubannés. Des gens, des paysages, des animaux, des sons…

Antonio … un Indien du Salvador qui faisait la vaisselle sans un mot, d’un restaurant à l’autre, chaussé de gros godillots de caoutchouc, la bouche sinistre et le regard loin au-delà des murs, loin au-delà de l’Amérique du nord. Il se déplaçait en bicyclette. En zigzaguant. Car Antonio n’avait jamais eu de bicyclette avant d’arriver là à 44 ans. Chacun de ses frères et sœurs venait passer 4 ans d’humiliations aux USA pour envoyer de l’argent là-bas, dans la forêt du Salvador où vivait la mère et où ils achetaient du terrain pour planter des kiwis.

Il ignorait tout de l’anglais, sauf les mots « garbage » (qu’il prononçait garbadgi) et « bleach ». J’ai essayé de lui donner des leçons en me mettant à son espagnol qu’il parlait de sa voix féminine. Mais il n’avait pas été bien loin à l’école, Antonio, et verbes, adjectifs et pronoms se bagarraient dans sa tête. Dans les deux langues. Et ma foi, il fut un élève lamentable qui se désespérait vite.

Il m’aimait beaucoup et c’était réciproque. Un jour il m’a expliqué, fou de joie, que grâce à moi il avait enfin compris que la pancarte du restaurant annonçait : « fermé le dimanche ». Il en était extrêmement ému. Sauf le jour où, voulant me faire un beau cadeau, il m’a offert un démêlant pour les cheveux, moi qui avais les cheveux courts. Il avait pensé que la jolie blonde à la chevelure de fée sur la boîte devait annoncer un présent de rêve. Il a boudé. J’ai dû le chatouiller pour le faire débouder. Mais quand il souriait de sa longue bouche sinistre, quel cadeau ! Une manne de joie…

Certains samedis matins, il venait nous sortir du lit mon mari et moi, ayant pédalé comme un ivrogne aussi vite qu’il le pouvait pendant 6 kms pour m’offrir des pupusas encore chaudes faites pour moi par une amie à lui. Ce sont des sortes d’épaisses tortillas recouvertes d’une sauce si piquante qu’on pleure des flammes et brûle les rideaux en baillant.

Je lui demandais comment on s’habillait chez lui. Oh, un pantalon et une chemise de toile blanche, un chapeau de paille, une cartouchière et un revolver. Quoi !!! Antonio !!! C’est dangereux, chez toi, dis-donc. Non, c’est la mode pour les hommes. Et il dormait dans un hamac, dans son village. A eu peur la première fois où il a dû aller à la toilette chez moi car dans la salle de bain tout était en porcelaine bleue. Il croyait que c’était un objet décoratif…

Antonio, mi hermancito, où que tu sois, j’espère que tu as ta mamacita, ton revolver et tes kiwis !

Connie … une étrange petite madame bien fanée par la vie qui faisait des photocopies d’Indiens dansant. Alors nous avons parlé. Tribus, costumes, danses, les pas pour les hommes et ceux pour les femmes, croyances. Et nous avons sympathisé. Elle aimait danser, les danses traditionnelles de plusieurs folfklores qui lui permettaient de se déguiser et de se sentir magnifique. Jeune, elle avait fait l’école buissonnière pour aller courir avec des enfants Cœurs d’Alène dans les bois. Elle n’avait pas appris la dactylographie mais connaissait la vie. Elle était tombée amoureuse de chaque beau garçon qui avait croisé sa route et ses yeux rieurs. Elle avait été, disait-elle avec détermination, une mère abominable, ce que ses enfants déniaient avec la même détermination. Elle en souffrait car, soutenait-elle, c’était bien parce qu’elle avait été trop mauvaise et qu’ils n’avaient pas le courage d’en parler une bonne fois pour toute, lui ôtant toute chance de s’amender.

Pauvre, survivant de petits boulots, la bouche parée d’un dentier tristement en série, la joie de vivre jaillissait de ses yeux et la sagesse de l’essence de la vie teintait toutes ses réflexions.

A un pow wow Indien où nous l’avions conduite en voiture, nous nous sommes gentiment chamaillées sur le charme d’un tout jeune Sioux que nous admirions. Je l’ai vu la première, gloussions-nous. Le beau jeune homme, heureusement, ignorait jusqu’à notre existence. La danse est affaire sérieuse et même les jolies indiennes aux nattes lisses ne l’intéressaient pas.

Connie, long life to you, Indian Princess!

Rajula … une femme dont la grâce m’avait laissée sans voix. Une femme d’un âge certain mais dont le sourire avait 15 ans au plus. Il vous caressait le visage, entrant loin en vous, si elle vous le donnait. Ce qui prenait du temps. Elle était cliente là où je travaillais. Parfois revêtue d’un sari coloré, mais d’autres fois son corps souple et vigoureux était tout simplement vêtu d’un pantalon et d’un pull gris sombre, avec un châle somptueux qui chantait tout seul.

Et puis nous avons parlé un peu. Rajula avait été danseuse de danses traditionnelles indiennes et avait donné des représentations en Europe. Voilà l’origine de sa classe et de sa longue démarche. Et elle, elle était fascinée parce que j’écrivais, et enthousiaste parce que j’aimais beaucoup Jhumpa Lahiri, une auteure indienne qu’elle aimait aussi. Oh, soyons amies, avons-nous un jour décidé, restons en contact. Aimez-vous la nourriture indienne ? m’a-t-elle alors demandé avec son sourire dans lequel on se noie presque de joie.

Nous nous sommes perdues de vue (de courriels, plus exactement), mais sans en prendre la décision. Mais je sais que nous ne nous sommes pas perdues de pensées.

Clément … oh Clément ! Cher sot Clément … ! Venu du Nigéria pour faire fortune, il avait deux boulots, un de jour et un de nuit. Une femme et deux enfants. Et le week-end, il prêchait dans une de ces nombreuses sous-sous-églises qui naissaient comme des champignons là-bas.

Minuteman

Notre amitié a commencé par une engueulade, lorsque je gérais l’imprimerie Minuteman Press (que le propriétaire suivant, un Coréen, prononçait Minimum Press, chose qui m’amusait au plus haut point). Il avait commandé des affiches pour son église, et c’était urgentissime pour tel jour. J’ai mis plein gaz (en râlant) et … il est venu, tout calme, une semaine en retard. Je lui ai presque arraché les yeux et la langue, le pauvre. Yeux qu’il dardait sur moi dans une rondeur stupéfaite. Il avait toujours une explication. Do you know what happened to me? Et une histoire à arracher des larmes toute prête. A chaque commande, la même chose se représentait. Je lui hurlais que non, je ne voulais pas savoir ce qui lui était arrivé, qu’il était un clou dans mon cercueil, qu’il me tuait à petits feux, et que c’était bien la dernière fois que … et tout recommençait, car je l’adorais. Et il le savait.

Nous avions des fous-rires, admettant que nous étions deux imbéciles qui avions payé notre voyage pour devenir esclaves dans le Land of Opportunities, qu’on n’avait même pas l’excuse d’avoir été enlevés et enchaînés dans la cale. Nous nous étouffions de rire quand il me racontait que tout le monde dans son village pensait qu’il trouvait l’argent par terre et lui demandait des cadeaux et encore plus de cadeaux quand il revenait, alors qu’à lui tout seul il travaillait plus que tout le village.

Il me présentait ses enfants, sa femme Grâce. M’appelait sista, sœur. Me rendait folle. Me rendait affectueuse tiens Clément, prend mon écharpe, tu tousses, tu vas attraper la crève. Le rire de Clément, avec sa grande bouche pleine de dents de requin, irrégulières et terrifiantes, déclenchait toujours le mien. Cet homme riait toujours. Fatigué, las, usé, n’ayant que des nuits minuscules, il riait.

Le jour où une de mes clientes, blancheur bonux et coeur de fonte, m’a dit de lui, alors qu’il s’en allait, qu’il puait à en faire tomber mort tout le quartier, je lui ai froidement rétorqué que ce n’était que de la sueur, et que tout le monde a cette odeur quand une journée ne vous offre que 5 heures de sommeil…

Il est parti au Texas et a ouvert son église. Il est venu faire des photos de moi avant de partir, et il ne riait plus autant. Il allait perdre sa sista. Il me manque. Clément, oui, je voudrais bien savoir ce qui t’est arrivé, cher sot !

Bien entendu, tous mes animaux d’alors me manquent aussi…

Ma gentille Clara, dinde sauvage des bois qui répondait à son nom...

Ma gentille Clara, dinde sauvage des bois qui répondait à son nom…

Et ma Fifi qui m'a suivie en Europe et est morte à 19 ans et demi

Et ma Fifi qui m’a suivie en Europe et est morte à 19 ans et demi

Cacafougnas en dents de scie

Ces moments exceptionnels, qui nous poussent à les raconter dès que possible, et puis que parfois on oublie pendant des années. Un jour Boum ! il sortent comme des cacafougnas, et nous amusent ou nous indignent une nouvelle fois.

À l’attention de ceux ou celles qui penseraient que le wallon n’offre aucun intérêt, voici la traduction de cacafougna, mot wallon que j’emploie avec entrain et fierté…

Cacafougna: Ancien jouet à ressort qui le plus souvent faisait sortir un diable d’une boite. Qualifie quelqu’un ou quelque chose d’hirsute.

Bref, voici donc les cacafougnas du jour :

Oscar de l’imbécile fier de l’être : Quand je vivais à Turin en 1986, l’ami d’un ami, employé de banque. Le fait d’aller travailler en costume et col blanc (avec cravate griffée, of course) lui tendait le mollet, allongeait sa démarche et sa gambette. Il croyait mesurer 5 cm de plus que ce qu’il avait, et en levant le menton il soupçonnait arriver à en gagner 3 autres. Un guichetier impérial, quoi. Un soir il a tenté d’épater la galerie (nous, le petit groupe d’amis en pizzeria Corso Unione Sovietica…) en relatant, indigné, ce qui suit : une touriste japonaise était venue à son guichet et n’avait vraisemblablement pas remarqué sa stature impressionnante, lui demandant simplement s’il parlait l’anglais. Et notre guichetier couronné de laurier avait secoué sa toge en affirmant que non, il ne parlait QUE l’italien. « Je parle l’anglais, cazzo (pas très poli, je ne traduis pas…), mais elle est en Italie et c’est en italien qu’on parle ici !!! ». Une ouverture d’esprit stupéfiante, un sens du service remarquable, et un homme que l’on rêve d’avoir en face de soi pour une discussion profonde et humaine.

Oscar des gentils poussins : Là, j’étais à Aix-en-Provence, encore toute jeunette et pimpante. J’étais dans ce que j’appelais alors « un restaurant », une gargote bien sympathique avec des tables et chaises de formica et métal, de la vaisselle dépareillée, une mère et sa fille au service table, et une furie aux fourneaux minuscules, la grand-mère qu’on entendait hurler comme Vulcain. Deux jeunes garçons avaient fini leur repas, et faisaient de la musique avec la scie du couteau sur le verre, les cuillers faisaient percussion sur l’assiette, bref ils arrivaient je ne sais comment à produire quelque chose d’assez brésilien, et moi, qui ne les connaissais pas, je me dandinais sur ma chaise en terminant ma bière. Ils ont payé et sont partis, puis un des deux est revenu en courant comme pour la course du lièvre à travers les champs, dans le but très galant de m’embrasser sur la joue pour repartir aussi rapidement. J’y repense souvent.

Oscar de la trop familière : Aux USA, alors qu’on cherchait à acheter une maison, il nous fallait trouver une compagnie qui s’occuperait des démarches de crédit. La personne qui s’occuperait de la vente nous avait trouvé cette « perle ». Sauf que quand j’ai téléphoné à la perle pour compléter des informations, non seulement elle mastiquait du chewing gum (heureusement elle ne faisait pas de bulles cependant le bruit de mastication mouillée me parvenait et me faisait retrousser les babines…), mais elle a eu le toupet de m’appeler Honey. Mais où se permet-on de s’adresser à un client par Honey ??? Avec un bruit baveux, en sus ???? J’ai refusé tout net de faire affaire avec cette malotrue, tout comme j’ai refusé de confier mes chaussures à réparer il y a très longtemps à Bruxelles parce que le cordonnier m’a vue arriver et m’a dit « et pour la petite dame, ce sera… ? ». Il ne l’a pas dit naïvement, ou sans y penser, il a eu cet air condescendant qu’il devait avoir envers toutes les femmes qui devenaient aussitôt des petites dames. Ce fut rien, pour la petite dame qui s’en alla ailleurs avec ses chaussures.

Oscar de la bonne volonté : Vacances en Autriche avec Papounet. On arrive au bord de l’Achensee, où Papounet a loué un chalet pour l’été. Vu l’allure où on circulait, le fait qu’on cherchait quelque chose était évident, et un dévoué habitant du coin nous a fait de grands signes amicaux, suivez-moi, suivez-moi, et on l’a suivi pour se retrouver … dans un camping, où on n’allait pas du tout ! On l’a remercié avec des sourires épanouis, attendu qu’il s’en aille après sa bonne action, et repris nos recherches…

Oscar de la pauvre dame qui n’y comprend rien : J’étais en pension à Bruxelles, rue de la Charité (chez les sœurs de Jésus-Marie, pour ceux qui veulent des preuves de mon éducation catholique). Mais j’étais aussi, depuis une semaine, en proie à des colites et une crise d’appendicite. Je marchais comme Quasimodo qui aurait un tournevis planté dans le ventre, avais perdu 4 kgs, et souffrais le martyre. Voici enfin le vendredi, le jour de mon retour à la maison (je ne savais pas ce que j’avais et pensais avoir mal au ventre…). Je fais ma valise, et me rends à l’arrêt de tram, agonisante, direction la gare. J’enregistre qu’il y a une dame à ma gauche. Puis je me rends compte que je vais m’évanouir car je ne vois plus rien et ai très froid, suis couverte de sueur, je me tourne alors vers la dame (que je ne vois pas…) et lui dis « Je vais m’évanouir, pouvez-vous me conduire rue de la Charité ? ». On remarquera au passage que je suis vraiment très organisée. Le hic c’est que la dame parlait néerlandais, avait compris mais pas trop, d’autant que je devais prononcer comme si j’avais une pierre brûlante en bouche, aussi la malheureuse me demande-t-elle, très embêtée : « à la maternité ? à la maternité ? »… Qu’on se rassure, j’ai survécu comme en témoignent ces lignes.

Oscar de la furie de mauvaise foi : Aux USA. Une opulente dame noire aux airs langoureux se présente dans notre copy-shop afin de commander des cartes de visite en papier glacé rose pour son business. Elle rebondit, assez sensuellement je dois dire, de tous les coins où on peut rebondir, et ma foi, elle en jette. Elle porte ses bourrelets, bonnets F et robe moulante avec un aplomb fascinant qui ne manque pas de charme, et m’envoie des mèches de sa perruque au nez tout en me donnant les indications pour la fameuse carte de visite super pro. Elle veut trois noms dessus, trois amies sans doute. Trois jours (ou plus, ou moins…) après, elle revient chercher ses rectangles roses, et j’imagine que sur ce court laps de temps, elle a eu le temps de se disputer avec une des trois « amies », la menacer de la scalper et de lui trouer le dos avec un pic à glaces, que sais-je, toujours est-il qu’elle a le culot de me demander « mais d’où sortez-vous ce nom-là ? Elle ne travaille plus dans la boite ! ». Ma bouche a dû faire « clac » et certainement mon expression a frôlé l’hébétude momentanée. J’étais soufflée de l’aplomb de la femme d’affaire aux dents longues que j’avais en face de moi, la poitrine bondissant de fureur. Mais je tiens bon, et lui explique calmement que non, je ne lui rends pas ses arrhes, car ce nom honni, je ne l’ai pas rêvé, c’est bien elle qui l’a mentionné. Et là, je me retrouve face à un King Kong femelle ayant absorbé de l’ergot de seigle, et j’ai dû m’accroupir sous le comptoir pour échapper au lancer de tout ce qui se trouvait dessus, album d’invitations de mariages ou de Sweet Sixteen, tampons encreurs, agrafeuse, échantillons de cartes de visite, le tout avec en fond des imprécations sonores et à censurer même dans un film de gangsters et pornographes…

Oscar du chevalier blanc à l’armure étincelante : En Yougoslavie, et j’avais 19 ans. Nous étions tout un groupe, des Italiens pour la plupart, sous une clairière champêtre où on servait du petit vin blanc qu’on boit sous la tonnelle, et des ćevapčići délicieux. Des ramures au-dessus de nous tombaient parfois de grosses chenilles jaunes, et des feuilles. Un trio de paysans jouait de l’accordéon et je ne sais quoi d’autre. Le petit vin blanc coulait trop à flot, et moi je m’amusais si bien que je pensais en être encore et toujours au premier verre, qu’on me remplissait avec empressement. Bref, vint le moment où j’aurais dû aller me poudrer le nez, comme on dit dans les vieux films, mais j’étais bien consciente que jamais je ne pourrais enjamber le banc de notre longue table avec élégance, et encore moins aller sans détours suspects vers la cabine aux mille courages (le genre de lieu qu’on n’oublie jamais : la fosse septique qui empeste, pas de papier, pas de verrou, pas de lunette, pas de lumière et la fête qui bat son plein dehors, zim boum boum). À côté de moi, Adolfo, mon Adolfo, avec qui il n’y avait rien d’autre pour moi que de le suivre comme son ombre dans le but unique d’être près de lui. Il le savait et me tolérait avec mansuétude. Je savais avoir de la chance car il avait un fan club féminin long comme le serpent à plumes. Et j’ai demandé à mon Adolfo s’il voulait bien m’accompagner vers ce lieu pestilentiel, et de veiller que je n’y tombais pas. Et il l’a fait. Et il a aussi fait la garde devant cette horrible guérite, et m’a raccompagnée devant mon assiette de ćevapčići comme si rien n’était arrivé. Il n’en a jamais parlé à personne, et a poussé l’esprit chevaleresque jusqu’à l’oublier ! Pas moi…

Objets à secrets

Lorsque je suis revenue des USA, j’ai pu pratiquement meubler et habiller d’objets mon appartement avec une multitude de choses qui me venaient de chez mes parents, ainsi que d’une parente de mes demi-frères et soeur. Le plaisir d’avoir de vieilles choses qui ont vécu et savent des choses inavouables parfois est renforcé encore par leur beauté, parfois usée, brisée ici et là, mais jamais dégradée.

Dans les cartons de mystères qui me sont  arrivés de chez Lovely Brunette se trouvait… une étole d’hermine !!! Un peu miteuse… Jamais je n’avais touché de fourrure aussi douce, et je l’ai fait en pensant que les hermines l’auraient bien gardée sur elles, cette neige somptueuse mouchetée de touches noires… Mais le crime a eu lieu il y a bien longtemps, car le souvenir d’un juge dans la famille n’est pas arrivé jusqu’à moi… Appartenait-elle à un juge, ou simplement à ma coquette d’arrière-grand-mère, Justine au sourire malicieux ?

Pas plus que ces nappages marqués MV… quelles étaient ces deux familles, pourquoi avons-nous leurs nappes ? Comment ont-elles fini chez moi ? Qui donc  serait si contente de les retrouver, ces souvenirs de goûters chez une grand-mère à la joue poudrée qui peut-être vivait ses premières années de bonheur insouciant après le décès d’un mari bien gentil mais difficile… ? Bien sûr, il ne faut pas être trop injuste avec les messieurs, ceux de jadis et ceux d’aujourd’hui, car il est bien possible que la grand-mère à la joue poudrée ait eu une poigne de fer sous ses mitaines de dentelle et que le malheureux époux n’ait pu trouver la paix qu’en s’enfuyant les pieds devant… qui sait ?

Qui donc pouvait avoir plaisir à garder dans sa chambre ce terrifiant crucifix d’ébène décoré de têtes de morts en zinc ? J’ai été tellement perplexe quant à savoir où le mettre pour qu’il ne me donne pas de cauchemars, que j’ai alors décidé de l’offrir à une brocanteuse qui m’a affirmé que non, Jésus ne pouvait pas porter malheur voyons! … Lovely Brunette, la grande exilée du sein de l’Eglise par la gentry catholique de notre petit coin du monde avait gardé ce croquemitaine de luxe malgré tout…

J’ai retrouvé mon chapelet, oui ! Et j’y tiens, car il m’a été offert par des amis de Lovely Brunette, un Portugais charmant du nom de Georges, qui avait spécialement prié St Georges pour moi afin qu’il me protège. J’étais assez fière de cette demande spéciale et  continue de considérer Saint Georges comme mon preux chevalier attitré. Sans que je doive m’appeler Georgette. Il avait aussi fait mon portrait d’après photo, et dessinait très bien.

Et moi qui aime les corbeaux…  j’aime ma tabatière (qui a son pendant, une petite soeur tabatière) en Delft polychrome surmontée d’un corvidé, et décorée d’un village dont le ciel frémit d’un vol noir… Elle est en mauvais état et « ne vaut pas tripette » nous a dit le dernier expert – l’avant-dernier proclamait sa valeur inestimable ! Mais ma grand-mère l’a époussetée en prenant soin de ne pas plus la casser qu’elle ne l’était déjà, l’a trouvée belle, a rêvé devant la vue du village et du clocher… un peu de ses sourires suspendus dans le temps s’y trouvent encore accrochés…

J’utilise tout. Tant  pis. Assiettes, tasses, plats ne sont que les survivants de grands services d’autrefois, partagés entre les héritiers nostalgiques de leurs repas de communions ou mariages, et très malmenés pour la plupart.

Oui, tout avait de la valeur quand c’était complet et en état pimpant, maintenant c’est moi qui m’en sers, et on ne dira à personne que chez moi, c’est devenu la vaisselle de tous les jours.

 

Le souffle chaud de la lumière

Noël et son esprit, eh bien malgré toute ma bonne humeur, non.

Je fais partie de ceux – très nombreux! – qui attendent nerveusement que les fêtes s’en aillent, emportées loin par la Befana, les rois Mages ou les camions poubelles qui ramassent les sapins morts et les bouteilles de champagne laissées au pied des containeurs débordants.

Les regrets et les absents pèsent bien plus lourd pendant « les fêtes » et il me faut vraiment aller plonger dans mes réserves d’optimisme pour ne pas faire une cure de sommeil qui ne me réveillerait une fois les Mages passés et partis derrière la Befana. Et il ne s’agit pas seulement du poids des absents, mais aussi de cette abondance de tout qui donnerait la nausée : trop d’huitres, de gibier, de bouteilles impertinentes, de homards recroquevillés, de bling-bling, de bousculades, de trotte-trotte pour être à temps, de cadeaux inutiles (ah, ces pochettes avec l’assortiment de bain douche, shampoing, savonette etc…. Mais mention spéciale aux paniers gastronomiques…).

Pourtant, paradoxe, je tiens au repas de Noël, enfin… à un « bon repas » de préférence en famille. Quand c’est possible, car avec une famille éparpillée et moi qui ai fêté tant de Noëls ici et là et surtout là, ça tient du coup de bol miraculeux. Mais bon, le Miracle de Noël est bien ce que les téléfilms nous démontrent exister, non?

Les seules décorations de Noël chez moi sont les vœux reçus. Je n’ai jamais fait de sapin, crèche ou guirlandes. Cependant si je reçois, ma bonne humeur est bien réelle parce que pétrir et dorloter la nourriture fait bouillonner la vie en moi, en dépit de tout. Ca sent bon, ça grésille, les épices s’unissent, la chaleur ambiante titille l’appétit, on parle de banalités qui font rire et unissent en douceur.  On fait tchin tchin avec tendresse, on s’est faits beaux et belles, on laisse la santé capricieuse, les factures et les soucis sur le trottoir. On évoque les images d’autres Noëls lointains, Tante Marguerite et son sapin qui prenait toute la place, les cheveux d’anges qui coupaient les doigts mais à l’attrait desquels on ne pouvait résister, les pinces porte-bougies qui faisaient ployer les branches du sapin, le chat de la maison qui perdait la tête devant les boules, l’ange du sommet qui n’avait plus de couleur tant il était vieux, et le fait que nous ne croyions pas au Père Noël et savions très bien qu’il n’existait pas, alors que Saint Nicolas, lui… c’était du sérieux, et en prime on ne devait pas aller à la messe pour lui.

Je fête le solstice, la lumière qui revient, avec ses promesses de chaleur et de vérité. De triomphe sur la mort, l’engourdissement, la torpeur, le non-vivre, le mal-vivre. Ce n’est pas une résurrection, une explosion, non… c’est le signal d’un lent cheminement qui va frissonner sans cesse jusqu’à ce qu’il se fasse passage bourgeonne, grandisse, fleurisse et produise des fruits de soleil. Dans le sol des veines iridescentes se gorgent et soupirent au chant muet de la lumière, courant d’un bulbe à l’autre, d’une racine à l’autre, caressant le pelage de ces petites boules hibernantes et respirant à peine. Dans le ciel la vie scintille et souffle une haleine qui traverse le gel d’une buée subtile et le transforme en perles éphémères. Dans les eaux une multitude d’étincelles fugaces court en léchant les roches, les algues, les écailles et les peaux de la vie fluide, lui annonçant que la vie va rebondir et exulter.

Puissiez-vous donc célébrer ce solstice avec ceux qui vous sont chers en pensée ou en proximité, et suivre la lumière qui vous éclaire le chemin du futur ! Et si vous l’appelez aussi Noël, vous avez raison… (On a toujours raison d’être sincères…)

C’est pas moi qui vais là, c’est là qui vient à moi

Une constatation mantra qu’on nous assène souvent, à nous les ridés, ceux qui souvent se demandent pourquoi leur corps a vieilli et pas ce qu’il abrite, cette jeunesse interminable chez certains, et indomptable aussi : « tu vis dans le passé ».

Mais non, aucunement. Je suis dans le présent, et si le passé y a tant de place, c’est que non, je n’y pénètre pas, mais je l’attire tout contre moi. Et le miracle opère toujours.

Nismes, près du Pou volant - 1953

Nismes, près du Pou volant – 1953

Ma mère vit encore et a toujours 35 ans, elle est très belle et est plus jeune que moi (tiens donc !) ; Papounet me fait calculer le volume d’eau de tous les châteaux d’eau sur la route, mais je sais que non, ce n’est pas un rêve, mais plutôt une rêverie et je ne dois pas vraiment calculer, juste m’en amuser avec tendresse ; tous mes chers animaux sont vivants et jouettes : Poussy-poussinette-enfant-de-Paris, Fritz, Pompon l’amour, Flay-flay, Gros pète, Zouzou, Minette, Bari, Kiddy, Monsieur Poupet et tous les autres, tant d’autres… ah oui sans oublier Bruno, le chien de tante Yvonne qui accueillait tous les visiteurs en violant leur jambe ; je peux encore porter ma robe de bal empire en fils d’or et argent (je ne dirai pas l’horrible fin qu’elle a connue et dont je ne suis pas responsable) ; je pose avec Teddy devant le Pou volant à Nismes, et souris de toute ma joie de 5 ans; Joujou fait des photos de moi (il est depuis devenu photographe de profession et renommé) et me dit « allez, pense à Adolfo et puis regarde-moi » car Adolfo, c’était le rival invisible pour Joujou et les autres (il était plus beau, plus gentil, plus mystérieux, plus inoubliable, plus adorable, plus grand, mince, calme, patient… il avait toutes les qualités, Adolfo, sauf qu’il était quelque part à mille kilomètres de là et que vingt ans passeraient avant que je le revoie !) ; j’envoie des lettres anonymes aux autres filles du pensionnat avec Suzon, et nous en avons mal au ventre de rire, surtout quand on a écrit à une pauvre fille très coincée qu’elle déchaine des passions inavouables ; je bois quelque chose de très mauvais et écoeurant en diable qu’un Indien d’Amazonie a offert à notre petit groupe et je sais qu’il faut faire honneur et que demander avec quoi c’est fait va me déprimer.

Je tire la langue à la méchante Sœur Je-ne-sais-plus-qui (et non, que Dieu n’ait pas son âme…) ; je hurle de peur en touchant le corps un peu trop raide de notre gentil jardinier mort ; je bois du champagne avec Bon-Papa Jules et y trempe un boudoir, ce qu’il m’a bien recommandé de ne pas faire car ça saoule plus vite ; je crois que Bonne-Mammy Edmée a vraiment une jambe de bois et le dis fièrement en classe ; je crois d’ailleurs aussi que les chewing gums sont faits avec des os de Chinois morts, ce qu’on m’a dit pour m’en dégoûter et qu’au contraire je trouve encore plus fantastique ; je trempe mes biscottes Heudebert dans du bouillon en rentrant de l’école en hiver ; je suis envoyée manger « avec les poules » au fond du poulailler si je ne me suis pas bien comportée à table ; je vois en vrai de vrai la main gantée de Saint Nicolas jetant des bonbons par la porte entrouverte de notre chambre à jeux ; j’ai peur des gendarmes et change de trottoir si je les vois, des fois que j’aurais fait un méfait sans le savoir ; je crois parler allemand en émettant des schwei schwarz nein zum pfaffei papieren à une Suissesse allemande qui s’évertue à me dire qu’elle ne me comprend pas, mais puisqu’elle répond… c’est qu’elle comprend, c’est magique !

J’ai des fous-rires en réunion de travail et les yeux révolvers de mon chef ne font que les amplifier ; je chante avec Lovely Brunette en polissant l’argenterie ; je me brûle avec la cire à épiler et ai des croûtes au lieu de poils …

Tout ça est terminé, oui, mais si près encore que j’en sens le déplacement d’air quand ça défile. Tout ça vient chez moi, et pas le contraire. Tout ça est encore plus émouvant depuis que je réalise que c’est un capital mental, sans lequel je serais une autre. Le passé est toujours là, comme une aura d’émotions.

On ne vit pas dans le passé, il vit en nous, c’est toute la différence, et c’est bien pour ça que l’on part parfois dans les campagnes enregistrer les vieilles dames qui se souviennent des comptines de leur enfance, ou qui n’ont pas perdu l’usage d’un langage d’antan que les écoles nous avaient lavé au savon sur la bouche quand il surgissait. Quand le passé va passer, on se met à la recherche de ceux qui l’abritent encore et on l’attire ainsi dans le quotidien d’une demi génération de plus, voire une génération entière… Et ce n’est pas vivre dans le passé que de l’abriter en soi, de respecter ce précieux document, ce précieux héritage, ces précieux moments, cette inépuisable preuve que nous avons vraiment traversé une époque… Plus vite que nous ne l’aurions cru.

Dans l’angle du tombeau, l’amour

« Seul, l’amour subsiste dans l’angle du tombeau ». Un ami très cher m’a donné cette phrase il y a longtemps. Elle avait suspendu la course de son coeur pendant un instant alors qu’il lisait Les mille et une nuits. Et dès lors, elle fit partie de lui. Il la prononçait avec une profondeur solennelle et une surprenante humilité dans la voix.

Il n’est plus. Tout au moins, c’est la formule consacrée pour qui a épuisé son temps de vie avec nous. Son tombeau n’a pas d’angle, pas de pierre; aucune larme ne s’y abîme : il a été incinéré. Mais que cette maxime retentit joyeusement dans mon être. Car oui, de lui il ne me reste que la tendresse et les éclats de rire, que ses amis et moi chérissons avec enthousiasme. Quelle chance nous avons eue de le connaître et de l’avoir laissé planter en nous le germe de cette joie bouillonnante qui resurgit à son évocation.

Ma mère, – Lovely Brunette – , a son nom sur une stèle. Et d’elle je n’ai gardé que les chansons, les recettes de cuisines, les surnoms ironiques, les souvenirs de bonheur qui luisent comme une bougie dans le noir. Les disputes et les maladresses, je les éloigne d’une chiquenaude quand elles se rappellent à moi. Oh, ça n’a rien laissé, les mots durs, les bouderies. C’était du temps perdu alors, pourquoi le perdre deux fois? Par contre, ce qui se tient dans l’angle du tombeau, c’est le son de sa voix me lisant Les aventures de Plumet – et je me demandais, émerveillée, comment elle connaissait la voix de Plumet, puisqu’elle avait son timbre normal quand elle était le narrateur et une petite voix excitée quand Plumet s’exprimait -, son “c’est bon mais c’est bourrant” amusé après avoir goûté mon premier dessert au moka – une recette de l’Institut Sainte Claire, des petits beurres cimentés deux à deux avec du sucre et du nescafé pétris dans de la margarine! Bourrant en effet -, les centaines de lettres que nous nous sommes échangées au fil des années, et toutes ses pitreries qui me reviennent aux moments les plus surprenants et me font rire avec elle. Oui, avec elle.

J’ai des souvenirs d’amour en telle quantité que je n’en manquerai jamais. Et lorsqu’on me dit que je lui ressemble de plus en plus, je souris, amusée. Avec elle. Ah, cette lueur heureuse qu’avait eu son regard quand son petit-fils lui avait dit qu’elle et moi avions le même rire. Si on arrive à passer son rire … oui, seul l’amour subsiste dans l’angle du tombeau.

Mon Papounet qui se faisait encore « beau » pour regarder une vidéo envoyée de Malaisie par son petit-fils alors qu’il se remettait d’une double broncho-pneumonie, et nous disait, ravi « il n’y a plus qu’une chose que je fais encore bien : c’est dormir »! ; un ex beau-frère si joyeux que je le pensais éternel et qu’il me manque même si je ne l’ai plus vu depuis près de trente ans; une ex belle-mère avec laquelle j’ai croisé le fer comme un mousquetaire pour finir par comprendre qu’elle était insupportable, oui, mais qu’elle avait lutté comme un lion toute seule et que ça l’avait rendue insupportable, des grandes-tantes radieuses dans leur vieil âge au point qu’elles vous éclaboussaient de leur plaisir d’avoir vécu… tous ces gens m’ont tant donné, et l’amour est, oui, toujours assis dans l’angle de leur tombeau, envoyant à qui les aimât des flèches de pensées chargées de vie…

 

Marguerite, Germaine et les autres…

La petite Marguerite – qui allait devenir Tante Marguerite pour nous, et ma petite Marga pour sa mère et son époux vraiment très tendre, est née en Belgique en novembre 1883. Et dès l’été 1884, hop, traversée pour Buenos Ayres ! Elle fera 4 fois cette même traversée avant le retour définitif à l’âge de 14 ans. Sa sœur Germaine s’arrangera pour naître en Belgique en 1886, tandis que les trois autres enfants – dont mon grand-père – naîtront en Argentine.

On passe à table!

Et notre Marguerite, l’aînée, se souvenait assez bien de ces interminables voyages d’un mois, avec, selon la compagnie, escale à Londres, dont l’une a d’ailleurs nourri son imagination pour toujours car… Jack l’éventreur en personne se dissimulait dans le port, ainsi sans doute que le brouillard. D’autres escales avaient lieu à Ténériffe, et Rio de Janeiro où il arriva une fois que tout le monde dût rester en rade sous un soleil « tapant » car il y avait une épidémie de fièvre jaune au Brésil. Lors de la visite d’une île déserte elle s’était émerveillée devant les orchidées, des forêts de fougères, des plantes à la beauté généreuse et un aigle survolant le tout, impassible et attentif, qui aurait quand même pu foncer pour emporter le serpent qui faillit mordre sa maman, la gentille Louise, et leur éviter une terrible frousse. Mais bon… un aigle a des soucis d’aigles et pas de garde du corps… Et on mangeait bien, du frais puisque les vaches étaient embarquées pour garantir le lait frais et le nuage de crème, voire, en cas de malheur… finir en rôti.

Ces années en Argentine sont restées pour elle une enclave paradisiaque dans une vie par la suite bien bourgeoise, même si elle a vécu deux guerres comme toute sa génération. Je l’ai connue âgée, toujours un peu agitée, avec trop de rouge aux joues et les cheveux teints d’une couleur entre le roux et le noir, souriante et autoritaire avec ses frères et sœurs dont elle s’attirait les moqueries pas toujours affectueuses. La tante Marguerite était la tante qui faisait marcher tout le monde à la baguette du côté de mon père, comme la tante Didi l’était pour le côté de ma mère. Chacun son sergent major…

En tout cas lorsque je l’ai connue, Marguerite tenait à recevoir toute la famille chez elle pour le Nouvel An et comme nous étions nombreux et son logis petit, nous arrivions à des heures différentes, et en bon stratège qu’elle était, je pense qu’elle évitait ainsi avec maestria de convier à la même heure des gens incompatibles, aussi ai-je pas mal de cousins que je n’ai jamais rencontrés ! Elle annonçait cependant qu’untel ou unetelle venait de repartir avec les enfants, quel dommage que vous ne les ayez pas vus, si seulement vous étiez arrivés une demi-heure plus tôt, mais nous avions droit à un résumé des derniers épisodes – glorieux, tout le monde travaillait bien en classe contrairement à nous… – de leurs derniers faits et gestes. Elle s’agitait comme une abeille, la cafetière d’argent à bout de bras, des fournées de biscuits Mirou – de petites brioches aux éclats de chocolat – faits par ses blanches mains encore tout chauds sur un plateau. Je les ai faits spécialement pour aujourd’hui, claironnait-elle, aussi les petits biscuits Mirou de la tante Marguerite nous faisaient-ils rire à l’avance.

Il faut dire qu’un trait que l’on retrouvait sur beaucoup d’entre nous était les yeux asiatiques, et ma cousine Françoise et moi leur donnions à tous des surnoms « japonisants », ce qui fait que tante Marguerite était devenue Tantou Margueritou, et que notre cousine Mireille, forcément, était devenue Mirou. Du coup, nous associions les fameux biscuits Mirou à la gentille et discrète Mirou. J’adorais le mari de tantou Margueritou, Édouard que tout le monde appelait Édou – sans la moindre conscience que ça faisait notre affaire, à Françoise et moi. Et doux, il l’était. Et mignon « comme tout ».

C’est bien grâce à son fils unique, Robert (onclou Robertou), qui en a transposé une partie dans un de ses livres, que mon côté de la famille connaît les aventures et mésaventures de Marguerite en Argentine, même si Françoise m’a raconté une anecdote étant arrivée à sa propre grand-mère, Germaine. La petite sœur de Marguerite. Mais il y eut aussi, comme inoubliables faits, les tremblements de terre, les fêtes de Noël au soleil avec le sapin garni dans le jardin…

La maison était d’importance, une construction carrée de style espagnolisant, avec une grille solide – n’oublions pas que les revoluciones succédaient aux revoluciones et donc aux hordes de bandits et pillages – et un charmant patio décoré de palmiers en pots. Tante Germaine se souvenait avoir entendu que l’on étranglait quelqu’un derrière la porte lors d’une des revoluciones. Marguerite, elle, n’avait pas oublié les ambulances qui ne cessaient de pim-pon-pim-ponnner tandis que le canon tonnait, tout ça en prime un jour où le petit frère Roland était malade et qu’ainsi le médecin ne pouvait arriver. Larmes et larmes de la mère et ses filles aînées. Roland a survécu, je l’ai connu, toujours dandy même dans ses dernières années. Elle évoquait aussi une femme que l’on avait égorgée derrière la porte, peut-être la même scène évoquée par Germaine. Et l’habitude d’avoir des vivres à la maison pour tenir trois semaines perdure encore ici et là dans la famille, c’était la norme transmise par mon arrière-grand-père Servais, que mon Papounet a mise d’application, très sagement, lors de ses années africaines.

La vie était encore imprégnée d’accents colonialistes. Dans cette jolie demeure vivaient Servais le père, Louise la mère, Mademoiselle Antoinette l’institutrice française, l’oncle Adolphe, frère de Louise, et la jeune fratrie, nés à Buenos Ayres dans le cas des trois derniers : Roland, Albert et Mariette-Eleonore-Julie, dont j’ai trouvé l’acte de baptême sous le nom de Maria Julia Leonor, baptisée à Nuestra Señora del Socorro, Ciudad de Buenos Aires. Papounet – qui lui fut baptisé Tiago Juan Alberto des années plus tard, ce qui enchantait l’âme rêveuse de Lovely Brunette qui n’aurait pas aimé épouser un Alfred ou un Gérard tout banal – trouvait que la servante que l’on voit sur la photo ci-dessus ressemblait à Charles Aznavour, et ça l’amusait beaucoup. L’oncle Adolphe « en a fait de belles » et en tout cas est mort et enseveli là-bas, on n’a jamais dit tout haut ce qui lui était arrivé. Il était bien beau c’est un fait, et je sens du parfum de femmes à plein nez. Diablement beau, riche, et célibataire, l’ingrédient idéal pour une fin romantique et tragique… L’employeur de ces messieurs – acheteurs lainiers – était Monsieur Dedyn, de Roubaix, et il venait loger avec son épouse lors de leurs visites « sur place ». L’oncle Henri, frère de Louise et de feu-Adolphe, rendait de fréquentes visites lui aussi, et je suis amoureuse de son souvenir, un aventurier casse-cou et plein d’humour, à la « bouille » délicieusement heureuse sur les photos.

Quand on ne voulait pas être compris « des autres », le truc était tout simple : on parlait en wallon. Pas en français mais en wallon. Après tout, le grand poète wallon Corneil Gomzé, auteur de la Barcarolle vèrvîtwèse (la barcarolle verviétoise, écrite en l’honneur de Rodolphe Closset – Anna Closset était la meilleure amie de Louise, et Marguerite épousera son fils Edou des années plus tard) était à la fois l’oncle et le parrain de Servais mon arrière-grand-père – c’est d’ailleurs du côté Gomzé que sont arrivés les yeux asiatiques -, et qui diable en Argentine allait comprendre le wallon ?

Les retours en Belgique

La jeune fratrie parlait le français à la maison et avec Mademoiselle Antoinette, qui les accompagnait lors de leurs retours en Belgique. Mais pour le reste de leur existence, c’était l’espagnol, leur langue.

Ils avaient une maison de campagne à Belgrano. Dont je ne sais rien. Et l’oncle Henri avait des actions qui ne valent plus un sou au vélodrome Palermo ce qui est dommage car j’en ai une. Et elle a fière allure…

Marguerite a confié à son journal ses soupirs écrits évoquant son retour en Belgique, alors qu’elle avait 14 ans. Ils n’avaient gardé de leur passé sud américain que les objets et les vêtements… peut-être même son mouton sur roulettes, que l’on devine sur la photo dans le patio. Mais la vie et ses lumières étaient restées dans les murs de la belle demeure. Le petit pays pluvieux lui semblait pire qu’un corset de béton, étriqué d’un millier de choses qu’on ne disait ni ne faisait si on était quelqu’un de « bien ». La maison familiale, pourtant bien belle que son père fit construire alors, n’avait pas le vent de la pampa faisant courant d’air, et le dulce de leche que faisait Louise n’avait pas le même goût, parce que ce n’était pas le même lait, les vaches ici aussi étaient confinées dans des prairies certes plus vertes et grasses, mais plus petites que celles de leurs cousines lointaines. Après une liberté infinie elle s’asphyxiait dans la mesquinerie et la cruauté des autres jeunes filles jalouses et donc narquoises. Là pourtant la revanche était de parler en espagnol pour ne pas être compris ! Son frère Albert, mon grand-père, a toujours ressenti la même chose, il détestait la ville natale de son père. Il y mourut, en vaillant patriote, mais a semé chez son fils Le Papounet l’envie d’ailleurs. Le besoin d’ailleurs. La bougeotte.

Un monde multicolore

Mon grand-père était acheteur de laine. Verviers et la laine, c’était une longue histoire d’amour qui passait de génération en génération et unissait les familles comme un tissage bien serré – et bien chaud. Même les kilts écossais y étaient tissés, c’est dire, et des liens amoureux aussi puisque mon arrière-grande-tante Léonie a épousé son vaillant homme des Highlands…

Les mêmes noms se retrouvaient depuis plusieurs générations, unis à d’autres même noms. Les réputations n’étaient plus à faire. Et les Verviétois s’en allaient pour affaires avec leur famille, leurs enfants voyaient le jour sous d’autres cieux et revenaient en visite après de longues traversées en bateau, ahuris devant ces familles qu’ils découvraient et qui ne ressemblaient pas aux visages basanés de leur quotidien.

L’oncle Edouard fumait le cigare, se souvenait encore mon père – Crevette –  et le hall de la maison de son grand-père maternel Henri était gigantesque. Rien à voir avec la leur, aux formes simples et proportions modestes d’Uruguay. L’oncle Charles racontait des plaisanteries dont il ne saisissait pas le sens – du genre « voyons Jacquie, peux-tu deviner combien de petits pois il y a sur ma fourchette?» – et en général tous les adultes tentaient d’intéresser ce petit garçon quelque peu perdu malgré tout. C’est en Belgique qu’il a fait son premier voyage en train et il était émerveillé devant les talus verts et fleuris, si différents du décor de ses jours à Montevideo.

Et la vie était tout autre d’un côté à l’autre du monde. On ne mangeait pas la même chose. Le climat n’était pas le même. Les faits divers non plus. D’un côté on avait envoyé l’aînée à Sainte Julienne au mariage de la pauvre petite X*** dont le père n’avait cessé de pleurer pendant toute la cérémonie à laquelle personne n’était venu ! (La pauvre petite X*** était-elle enceinte et forcée de se marier ? Le mari était-il peu recommandable ?) et de l’autre Albert devait son salut à un Indien dans la pampa…

Pocitos, 1920

Car Albert, mon grand-père, s’est un jour égaré dans la pampa. Il était à cheval, et la nuit était tombée. Pas de vraie route, juste une vague piste qu’il avait quittée sans le remarquer. Une lueur au loin l’a attiré, c’était une petite maison rudimentaire habitée par un Indien qui lui a cédé son lit et qui, le matin, l’a accompagné sur son cheval jusqu’en vue du prochain bourg qui le remettrait sur la bonne direction…

Et le même Albert rapportait à la maison des anecdotes du genre « j’ai logé dans un « hôtel » où une petite pancarte demandait aux caballeros d’enlever leurs éperons pour dormir… Et racontait comment la laine arrivait en ballots tirés par des boeufs…

Transport de la laine

Les badinages avaient décidément un accent différent même s’il s’agissait de la même famille…

Les casseroles de Bon-Papa

Quand mon Bon-Papa Jules est mort, Lovely Brunette a été déchirée de voir qu’elle ne pouvait pas tout récupérer de sa vie. La vie de son père. Je ne parle pas des choses importantes et chères qui ont été partagées comme ça se passe souvent lors des successions (nul besoin d’être plus claire je pense…), mais surtout de la « bimbeloterie » souvent très mal en point et non-monnayable comme par exemple son service en Limoges pour 48 personnes entreposé dans un buffet, des lames de couteaux échappées de leurs manches, des manches orphelins d’autres lames, des survivants de verres à vin blanc et rouge, à porto, à cognac, à je ne sais plus quoi… Il les avait gardées, ça venait de son mariage à lui, ou de celui de ses parents, il avait pris soin de tout ça, et voilà qu’elle se lançait dans Save the Private Useless avec passion.

J’ai ainsi hérité, en partie, de ça aussi quand ce fut son tour de disparaître. Enfin, de ce qu’elle a sauvé parce qu’elle avait la place pour les entreposer, mais moi je n’ai ni greniers ni mansardes ni placards ni cave. Et moi, j’utilise, je mets dans le lave-vaisselle, quand ça casse c’est bye-bye, et comme tout est de plus en plus dépareillé, il m’arrive d’offrir deux petites tasses à moka ici et là pour célébrer l’amour de quelqu’un, n’est-il pas bon d’avoir deux jolies tasses au passé presque historique pour apprécier un bon petit café en tête-à-tête, surtout quand elles bourdonnent d’amour, ces têtes ? Bref, je suis moins respectueuse qu’elle, place oblige.

Inutile d’expliquer que le service de Limoges a été vendu à un prix défiant toute concurrence, comme on dit, en grande partie au décès de Bon-Papa Jules, car qui fait encore des réunions de 48 personnes, hein ? À part les pensionnats ou homes, qui peut-être auraient grand plaisir à servir les repas dans du beau pour changer. Ça leur vaudrait des noms changeant la donne : Les enfants de Versailles, et Vieillir à Schonbrünn

Lovely Brunette avait notamment repris… les casseroles de Bon-Papa, de très belles casseroles de fonte émaillées d’une belle couleur vert tendre (petits pois de printemps….), et dont elle n’avait aucun besoin puisqu’elle avait les siennes. Mais je me souviens d’avec quelle dévotion elle suggérait : prends la casserole de Bon-Papa pour les pommes de terre…

Impatiente, je ne comprenais pas. Elles pesaient plus lourd qu’une enclume (avec le marteau et une grosse dame assise sur le tout…), on avait les poignets mutilés et les paumes grillaient sur les poignées, alors qu’on possédait désormais des petites casseroles légères, avec des oreilles de bakélite, et les motifs design de l’époque, ceux qui reviennent à la mode et me font frémir aujourd’hui. Des petites frises à carrés et triangles sur fond crème… comme chez les Femmes de Stepford, et il fallait presque les cheveux laqués et le regard d’une poupée (avec cils pelucheux) pour être assortis aux casseroles « nouvelle vague » que je préférais à celles de Bon Papa. Je réalise que nous n’étions pas du tout assorties et je ferai amende honorable quand je saurai à qui.

Oh ciel, j’allais oublier le fer à repasser de Bon Papa, qui devait déjà avoir dix ans et a vécu vingt ans de plus. Et son horloge à carillon Westminster qu’on avait mise au mur de la cuisine, pour profiter de son appel very british. Oui, c’était le chant de Big Ben…

À présent que ma Lovely Brunette n’est plus, pas plus que mon Papounet, je comprends cet attachement qu’elle avait pour ces vieilleries. Je comprends, disais-je, parce que tout ça, c’était des petites choses quotidiennes qui la reliaient à son père, lui permettaient de l’évoquer mine de rien, de toucher ce qu’il avait touché, de sentir sa trace, son passage, de retrouver une anecdote. Je le comprends puisque moi-même je me suis mise à polir avec amour ce que je lui ai vu cirer si souvent, me disant « ce saint bonhomme était en bas de l’escalier chez Bonne – son arrière-grand-mère – et elle me l’a laissé ». Le saint bonhomme est un moine tenant un crâne dans la main, l’air assez surpris ce qui est sans doute assez normal : une chope de bière aurait mieux sa place dans cette main monacale. Comme à la maison nous l’avions mis sur une commode dans le vestibule, mon oncle Yves s’amusait à enfoncer sa cigarette dans un des orbites oculaires pendant qu’il enlevait son manteau…

Je mange mes œufs à la coque dans de petits coquetiers en argent qu’elle a sauvés de je ne sais où, très abîmés d’ailleurs, ils ont perdu tout ce qui pourrait faire dire « ooooh, tu manges dans de l’argent, quel chic … » car franchement, ils ont piètre mine. « Ça fait pouilleux », aurait-elle d’ailleurs dit, en riant !

Mais voilà… moi aussi j’aime toucher ces petites choses anodines, délaissées qu’ils ont touchées, et ainsi établir un contact matériel entre eux et moi. Eux, mes « chers disparus », pas oubliés mais juste disparus derrière le mur…

Mais où sont les hommes d’antan?

J’ai grandi à la fin d’une époque. L’avant-féminisme. L’avant milliers de questions. Le cinéma et les romans que j’aimais lire m’avaient expliqué que l’homme était sûr de lui, protecteur et toujours dans le vrai.Les histoires étaient plus simples qu’aujourd’hui.

Peu « d’autres femmes » ou alors c’était une gouvernante folle et criminelle ou une sœur vieille fille rancie. On n’oubliera pas non plus la mère de Norman Bates. Mais il y avait cette simple évidence : un homme rencontrait une femme et hop, tout se déroulait entre eux deux sur fond de guerre, d’espionnage, de business. Il n’y avait pas le retour des ex, ou un(e) autre attendant son heure en haletant au moindre signe de désaccord. L’homme aimait avec élégance, certain de ses sentiments qu’il cachait au mieux, la femme restait une faible créature un peu tête de linotte, en proie aux crises de nerfs et de larmes, pompette à l’occasion – juste de quoi rire un peu sottement et avouer sa passion – et persuadée qu’un tel homme ne pouvait vraiment l’aimer elle, humble chose, ce qui permettait de faire tenir le suspens jusqu’au happy end qui couronnait le long baiser effaçant tous les doutes !

Ou bien c’était une femme fatale en apparence, le jeu de paupière menaçant comme la danse d’un papillon vénéneux et la lèvre aux courbes écarlates, et elle finissait par se prendre quelques claques qu’elle savait avoir méritées et qui avaient le mérite de faire d’elle un chat dont les yeux envoient des étincelles d’adoration. Trophée inestimable pour le dompteur qui épouserait sa mégère apprivoisée qui ne se soumettrait qu’à lui.

L’amour était celui d’une vie. S’il y avait une ex, elle était morte.

Il m’est arrivé aussi de voir notamment un film que je crois être « le fils de Robin des Bois » où le fils en question était un magicien de la lame et du saut dans les branches sans déchirer ses collants, mais l’amour de la gente dame le rendait si perplexe que c’était elle qui, lasse de panser ses bobos et de changer de poulaines tous les jours pour le séduire sans qu’il le remarque finissait par lui déclarer « Vous m’aimez, Robert ». Et il se rendait à l’évidence, régalant le public du long baiser final tant attendu. Mon frère et moi étions très choqués de cet aplomb et avons joué cette scène plus d’une fois en riant devant son étrangeté.

Moi j’ai grandi dans un monde que l’on dira macho peut-être mais où l’homme « normal » était gentil et ferme, faisait des cadeaux, protégeait – soutenait le coude pour traverser, retenait les portes, ouvrait la portière de sa voiture, mettait à l’abri du vent et de la pluie, portait les objets lourds. Il trouvait toujours les mots et promesses pour calmer les chagrins. Tout ça avec une tranquillité rassurante.

Maintenant… Le cinéma nous montre un homme névrosé en face d’une femme blessée par son passé. Ou le contraire. Pendant la durée du film ils se tournent autour comme deux fauves en chaleur et affamés… quel instinct l’emportera-t-il sur l’autre ? Fini la femme qu’il fallait aider et préserver, car dans le cinéma d’aujourd’hui bien souvent elle grimpe aux échelles et barricades, attache son homme aux montants du lit pour en faire sa chose, rentre en nage le matin de son jogging forcené, tandis que l’homme mijote des petits plats, va chez le psy, donne la bouillie aux gosses et attrape des boutons quand il entend la formule « pour toujours ». Et il jure comme aucun muletier n’aurait jamais osé jurer autrefois, car ses mules l’auraient éventré à coups de sabots.

Le doute et l’hésitation colorent tous les films… L’homme pleurniche et déprime, la femme a parfois les biceps de Rosie the Riveter (Norman Rockwell). Il faut résister aux tentations des autres… ceux et celles dont les rencontres sont devenues si faciles. Il faut accepter d’être en sueur, échevelé(e) et hurlant(e) lors des ébats conjugaux et ne pas avoir de tabous frustrants qu’un(e) rival(e) n’aura pas. Et tout comme autrefois la souriante épouse était fière de sa table bien dressée, nappée de frais d’un tissu immaculé qui avait claqué contre l’air du salon, fleurie d’un bouquet du jardin, il faut avoir le cœur à rapidement allumer trente-six chandelles dans la chambre à coucher – ça aide certainement pour la température en hiver – et choisir judicieusement l’arôme de l’huile de massage. Il faut savoir se remettre de joutes verbales effroyables au cours desquelles on vide son sac jusqu’à ne plus avoir de sac d’ailleurs, pour aller courir sous la pluie en larmes en appelant Dieu ou notre mère la terre à la rescousse.

Oh… où donc êtes-vous passés, Gregory Peck, Cary Grant, Rosanno Brazzi et les autres ? Et Audrey et Katharine Hepburn, Grace Kelly, Loretta Young, Danielle Darieux, Alida Valli?