Il y a le bracelet électronique, assez discret ma foi, et le bracelet psychologique qui l’est encore plus, et est souvent placé à vie.
Je vous parle de cet homme qui un jour vous aime d’amour sans doute presque vrai, ou qui en tout cas y ressemble, parce qu’il aime tant le regard que vous posez sur lui. Il se sent beau, fort, intelligent, intéressant. L’admiration pétille dans votre sourire qui lui renvoie alors le miroitement d’un verre de champagne. Il le savait, va, qu’il était tout ça. Beau, fort, intelligent et intéressant. Fascinant. Et vous, qui êtes unique, vous avez tout de suite remarqué ce zeste de différence qui le rend unique également. Qu’il vous aime donc fort, pour avoir cet émoi tremblant sur le visage quand il apparait ou parle. Pour le guetter dans la foule et il le voit bien, va, qu’à vos yeux il semble entouré d’une aura si lumineuse qu’elle efface la bouille morose et le jargon oiseux des autres.
Puis il y a eu quelques couacs. Un jour il a eu une expression de gargouille alors que vous devisiez en confiance et vous êtes laissée aller à dire une chose trop subtile, ou trop bête, ou trop intellectuelle, ou trop superficielle, bref, une petite chose qui l’a piqué comme un dard et vous ne saurez jamais pourquoi, mais toujours est-il que la gargouille vous a craché quelques mots haineux qui vous ont remise à votre place : n’en sortez plus s’il vous plait, car votre place est en-dessous, dans le rayon plus bête, plus naïve, plus insignifiante.
Votre place est en position d’adoratrice, pas d’actrice. Même si votre médiocrité dévalue quand même un peu l’éclat de votre amour pour lui, mais bon… il ne peut pas vraiment exiger la perfection et, magnanime, accepte cette réalité.
Cependant, d’autres étincelles ont crépité ici et là. Même si, beau prince, tel un père fier de sa créature, vous aviez droit à l’une ou l’autre tape dans le dos accompagnée d’un compliment. Enfin… C’est à dire que par exemple vous l’étonniez, il ne s’attendait vraiment pas à ce que votre cerveau produise de temps à autre une perle d’humour ou de bon sens, hein, aussi il vous bénissait d’un 9 sur 10.
Vous ne vous en apercevez pas, mais un jour après l’autre il enserre vos pensées de bracelets psychologiques. Vous évitez de l’irriter. Vous évitez l’opposition, les réparties. Vous évitez de croire à tout ce qu’il vous annonce de merveilleux et qui est supposé arriver si vous attendez la récompense assez (très très très ) longtemps : il quittera sa femme ou sa maîtresse, il perdra du poids, il fera un travail commun avec vous (et là, de toute façon, ce ne serait que pour mieux te saucissonner, mon enfant….), il cessera de trop boire ou trop manger, il libèrera du temps et l’offrira à votre amour, qui, il le rappelle fidèlement, est tellement unique. Malgré les failles (qui sont les vôtres, entendons-nous bien) bon, mais jamais il n’a connu ça avec personne, et vous devriez vous sentir couronnée de cette constatation. D’ailleurs, à la moindre bouderie ou fâcherie de votre part, il brandit la bannière « amour exceptionnel » et l’agite furieusement devant votre nez, vous reprochant de ne pas être à la hauteur d’une telle grâce, et de tout gâcher parce que vous manquez de profondeur, êtes superficielle, égocentrique, impatiente, et sans doute aussi – si pas certainement mais il est tellement magnanime, ne l’oublions pas – plutôt déséquilibrée. Genre bipolaire. Si pas pire. En régression, en tout cas…
Un jour, un mois, une année plus tard (c’est d’ailleurs rarement un ou une, car plus le temps passe et mieux le bracelet émet ses bip-bip infernaux…) vous le quittez. Sur la pointe des pieds, avec le bras déjà levé devant le visage et là, stupeur, il resplendit de sagesse, vous dit qu’il comprend, que rien n’est à expliquer, et il vous souhaite une merveilleuse et riche vie sans lui, il vous serre amicalement dans ses bras, avec cet air padre-padrone bienveillant qui non, ne criera pas contre sa victime chérie, cette fois. Il est grand, noble, serein, courageux, vous dit combien vous compterez encore pour lui, qu’il sera, d’ailleurs, toujours là pour vous… Ses dents grincent sans bruit en vous voyant ébranlée, troublée devant cette grandeur dans la souffrance.
Il vous tient, mais vous n’en savez rien. Il vous tient car il vous a si bien bernée dans cette séance de rupture parfaitement civile que vous allez vous poser des questions : et si j’avais tout exagéré ? Imaginé, même… ? Il vous contacte avec tact ici et là, sans insistance, une photo, une phrase du genre souviens-toi, ou je pense à toi avec tendresse, tu es le plus beau souvenir de ma vie mais va, sois heureuse ! Deux ou trois mois de cette marinade et il lui suffira de tendre les bras pour que vous vous y effondriez, repentante, et qu’il vous mette sur le champ un autre bracelet psychologique à chaque cheville. Il accueillera votre repentir avec noblesse, et ne vous fera passer à la caisse (la casse…) pour votre immonde comportement que le lendemain. Et tout recommencera, mais en pire.
Fuyez à toutes jambes et ne vous retournez pas…